Déchets sans frontières

17 déc. 2002

La Corogne

 

Trois ans après le naufrage de l’Erika, l’Europe et ses Etats-membres n’ont toujours pas de plan de gestion des conséquences à terre des catastrophes maritimes. Comme la France en 1999, l’Espagne face à la marée noire du Prestige improvise depuis plusieurs semaines, se reposant sur les autorités de Galice, les pêcheurs et la population. Les déchets collectés en mer et sur le littoral sont rassemblés dans tous les contenants possibles : bennes, bacs à ordures, fûts, seaux, sacs plastiques, big-bags. Les sites de stockages intermédiaires et lourds n’ont pas été présélectionnés et préparés. Les filières de traitement fiables et non-polluantes sont encore à découvrir. Les Galiciens et les Basques évitent cependant de décaper les plages au bulldozer et tamisent pour séparer le fuel du sable, ce qui contribue à limiter le volume de déchets et l’érosion du trait de côte.

Lorsque les conditions climatiques le permettent, les barques et les chalutiers côtiers font front contre les nappes, récupérant en mer de grande quantité de fuel mélangé à de l’eau. Les pêcheurs espagnols, plus nombreux et mobilisés que les pêcheurs français, n’ont pas hésité à maculer leurs bateaux et à mettre à disposition leurs criées. Cet élan n’a pas été soutenu par la mise à disposition de moyens de protection, de collecte et de stockage à bord ou dans les ports. Une fois à terre, les aires de stockage sont créées hâtivement et mal confinées. Il n’est pas rare d’observer des relargages de fuel dans les bassins portuaires, faute de bennes étanches.

Sur le littoral, l’organisation des chantiers de dépollution souffre de grandes disparités. Des bénévoles et des militaires sont déployés sur les plages touristiques, tandis que des côtes plus isolées et plus touchées sont abandonnées à la bonne volonté des riverains, comme à Sardineiro de Abaixo près du Cap Finisterre. Lorsque le fuel arrive en boulettes et en gouttes, le tamisage est une œuvre de patience à renouveler à chaque marée. S’il n’est pas effectué, un ” mille-feuilles ” de fuel et de sable se forme. En haut de plage, les déchets et les protections individuelles souillées sont séparés. Des bacs de collecte d’ordures ménagères sont abondamment fournis par la municipalité de Vigo. Ils manquent ensuite pour le ramassage habituel. Ces bacs sont étanches, mais non adaptés à la viscosité du fuel: ils ne sont utilisés que pour une rotation, finissant mélangés aux déchets dans les sites lourds. Les bennes des camions rarement étanches dispersent du fuel sur leur trajet.

L’absence de préparation à la lutte contre les pollutions marines est flagrante lors des visites des deux sites lourds de regroupement des déchets. A Somozas, la société Sogarisa spécialisée dans le stockage et le traitement des déchets industriels a dû en urgence affecter sa lagune de décantation aux déchets du Prestige, pénalisant la gestion des effluents liquides du site. 7.000 tonnes de fuel, d’eau, de sable et de macro-déchets sont entreposées. Les capacités de l’alvéole vont être augmentées en rehaussant les merlons. A Lendo, la carrière d’argile d’une briquetterie a été aménagée à la va-vite. Une alvéole de 5.000 tonnes est pleine, une seconde contient déjà 7.000 tonnes. Les géomembranes ne sont pas soudées, ce qui génère des risques d’écoulements en pied de décharge. En vue d’un traitement incertain, une pelleteuse extrait du magmas les poubelles et les bâches et les agite pour en séparer le maximum de fuel.

Pour tous les déchets du Prestige, des pistes de traitement sont en cours d’exploration. Un bricolage a été tenté il y a deux semaines pour produire des briques à partir d’argile et de sable pollué. Les émissions de polluants atmosphériques n’ont pas été sérieusement évaluées. Des consultations multiples sont en cours pour trouver des solutions, y compris auprès d’industriels français. Là encore, l’information passe mal : trois ans après l’Erika, la France n’a pas de solution fiable pour ses déchets de marées noires et cherche des exutoires en Hollande et en Belgique.

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