Procès Erika. Extraits des conclusions en appel de Robin des Bois présentées à la Cour – 2009

4 nov. 2009

Extraits des conclusions en appel de l’association Robin des Bois présentées à la Cour le 4 novembre 2009

II – Les responsabilités aboutissant au naufrage de l’Erika

Dans la décennie 1990-2000, la communauté maritime italienne est dans une phase de régression et de transgression des réglementations nationales, européennes et mondiales. De nombreux navires chargés de déchets toxiques européens quittent les ports italiens de Marina di Carara ou de Gênes à destination de la Roumanie, de la Somalie, et des contrats entre des courtiers suisses et italiens et des gouvernements africains prévoient d’entasser sur le long terme des déchets dangereux en Afrique. Des informations non vérifiables à cette époque font état d’immersions volontaires de cargos et de cargaisons au large de la Sicile. Aujourd’hui ces immersions sont attestées par des vidéos sous-marines et par les déclarations devant la justice de membres de bandes organisées. L’Italie a clairement été au centre de ce chassé-croisé et de ces pratiques illégales et dangereuses pour l’environnement et pour les populations riveraines.

Il est hors de question de prétendre ou d’insinuer que des acteurs ou leurs partenaires de l’affaire Erika ont participé de près ou de loin à ce type d’opérations illégales et radicales. Mais nous sommes convaincus que le segment maritime italien a subi à cette époque une dégradation générale de ses niveaux d’exigence, notamment les ports, les assurances, les armateurs, les équipages, les services de sécurité et d’inspection maritime. Aussi dans le sillage de ce marasme et de ce cynisme, il n’est pas indifférent, loin de là, de constater que c’est grâce à l’inspection de l’Etat du port le 8 mai 1999 à Porto Torres en Sardaigne, visite dite « étendue », que l’Erika a pu regagner ses lettres de noblesse et échapper ainsi à des facteurs de ciblage pénalisants dans les ports du nord de l’Europe. En fait de visite étendue aux réalités du navire, il s’est agi selon le rapport du Bureau Enquête Accident d’une simple visite documentaire qui, à point nommé, a permis d’améliorer le profil de l’Erika et d’annuler la priorité de visite requise par les autorités norvégiennes un an plus tôt. Dans le même registre de l’opacité, le choix antérieur du chantier de Bijela est porteur d’insuffisances et de bricolages. Les armateurs italiens ont une vieille habitude de ce chantier mais à cette époque précisément le Monténégro est dans un régime de pénurie d’argent et de métal et une économie de guerre. Quand Charybde donne ses navires à Scylla, il ne peut en sortir que des chimères et des coques grimées. La déclaration de l’armateur de l’Erika selon laquelle le chantier de Bijela a dans ces circonstances renoncé au paiement comptant des quelques travaux réalisés est tout à fait paradoxale. RINA était une société de classification refuge pour les pétroliers de mauvaise qualité. En 2004, à l’entrée dans la communauté européenne de Malte, des dizaines de ses navires ont été transférés du pavillon maltais au pavillon refuge Panama et dans le domaine de la classification de RINA à des sociétés non membres de l’IACS (International Association of Classification Societies).

Le spécialiste de l’affrètement des navires chez Total a écrit peu de temps avant le naufrage : « Il faut parfois pouvoir adapter les niveaux d’exigence aux conditions du terrain. » Et le terrain en décembre 1999 est à la froidure. L’hiver est plus rigoureux que prévu, la pression sur le marché international du fuel lourd et des navires à l’affrètement est forte. Total a donc adapté ses niveaux d’exigence et à notre sens s’y est trop bien adapté en chargeant l’Erika à Dunkerque au rythme de 2.000m3/h au lieu des 1.000 m3/h du plan de chargement. Cette cadence de chargement n’est pas conforme aux précautions qui doivent entourer un navire qui n’est pas dans son état de référence et qui est en attente de diagnostic et de réparations demandées par la classe. Robin des Bois a pu constater les modalités expéditives de départ des navires en vigueur dans le port de Dunkerque ; en effet, deux membres de l’association sont montés fin décembre 1999, deux semaines après le départ de l’Erika, sur le navire Tango D, pavillon maltais, ex-Kifangondo, pavillon angolais, ayant été immobilisé pour des déficiences techniques pendant cinq ans dans le port du Havre. Cette action de Robin des Bois s’inscrivait dans la campagne contre l’exploitation des navires sous normes. Immédiatement après le chargement en sucre à destination de la Syrie, les remorqueurs en liaison avec les services de lamanage ont entrepris les manœuvres de départ malgré la présence à bord des deux « passagers clandestins » de Robin des Bois. Pour le port de Dunkerque et pour les chargeurs, un navire qui a reçu sa cargaison est un navire qui doit immédiatement partir pour, dans le cadre des trafics en flux tendus, laisser sa place à d’autres unités. C’est exactement ce qui s’est passé pour l’Erika, d’autant que les hydrocarbures sont des matières dangereuses, qu’un seul appontement était disponible sur la raffinerie et que d’autres pétroliers étaient attendus. La gestion en flux tendu et en « juste à temps » à l’heure de la mondialisation consiste évidemment à avoir des marchandises disponibles mais aussi à trouver très rapidement des vecteurs de transport et, que ce soit pour des camions, des avions et pour le sujet qui nous intéresse des navires, des concessions sont parfois faites aux règles de sécurité.

En conséquence, Robin des Bois considère que l’ensemble des acteurs, préposés et maillons de la chaîne concernés par la surveillance, la gestion, et l’utilisation de l’Erika a une responsabilité dans la catastrophe et a participé à la réalisation du dommage par une succession de manquements, d’imprudences, de maladresses, d’omissions, de non dits et de négligences caractérisées ou de fautes lourdes, c’est-à-dire Rina, Panship, Tevere Shipping, Selmont, Amarship, Total et ses filiales. C’est la synergie des erreurs de tous les acteurs qui a abouti à la ruine finale du pétrolier en décembre 1999.


III- Le préjudice écologique.

A- La complexité des préjudices écologiques.

Les effets d’une marée noire se déroulent en trois phases. La phase paroxysmale qui dure quelques mois, les phases chevauchantes de décontamination et de restructuration des écosystèmes qui ensemble peuvent durer 2 ou 3 décennies notamment pour les vasières, les marais, l’estran et le compartiment sédimentaire. C’est l’étude de cette troisième phase qui permet de repérer les maillons manquants par rapport à l’état de référence, de constater la régression de certaines populations ou la prolifération de certaines autres. Cf. l’ouvrage « Marée noire et environnement » (pages 178 à 180 production 36).

Certaines recherches post Amoco Cadiz se sont poursuivies vingt ans après le naufrage. C’est en particulier le cas pour les communautés benthiques de la baie de Morlaix. Faire disparaître les traces visuelles d’une catastrophe n’a rien à voir avec la disparition des conséquences écologiques de la catastrophe. Le suivi sur le long terme des marées noires historiques a permis, quand il a eu lieu, de découvrir que les faibles teneurs en hydrocarbures dans les sédiments pouvaient agir comme des hormones végétales stimulant la photosynthèse d’algues opportunistes et dés les années 80 au moment de l’explosion des « algues vertes », les résidus de marées noires ont été nommés comme l’un des facteurs de l’hégémonie et de l’amplification de cette espèce. Les efflorescences de plancton toxiques du genre dinophysis sont considérées par plusieurs scientifiques comme des effets différés et durables de la contamination du littoral et des eaux côtières par l’intrusion massive d’hydrocarbures des marées noires.

Les très faibles niveaux de pollution résiduelle peuvent avoir au contraire des effets délétères à long terme sur les capacités de reproduction et de croissance de tous les maillons des chaînes alimentaires marines y compris sur les oiseaux et les mammifères marins. Les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP) dont la teneur est importante dans le fuel de l’Erika sont cancérogènes. Certains organismes marins ont des mécanismes de détoxication et d’excrétion qui transforment le benzopyrène cancérogène en hydroxybenzopyrène encore plus cancérogène. Ces substances toxiques se concentrent dans les sédiments ou s’agrègent aux matières en suspension dans la colonne d’eau. Ces matières en suspension sont particulièrement denses dans les zones estuariennes et donc dans l’estuaire de la Loire dont la zone d’influence est au centre de la dispersion des déchets de l’Erika. Les HAP ne sont pas solubles dans l’eau mais ils le sont dans les lipides et s’accumulent donc dans les organismes marins à long cycle de vie comme des poissons, des crustacés et les mammifères marins. Ces mêmes substances sont en doses très faibles agressives et pénalisantes pour les stades primitifs de tous les organismes marins notamment pour les larves.

L’ensemble des interactions, des migrations et transformations des pollutions depuis la colonne d’eau, le compartiment sédimentaire, jusqu’au domaine du vivant impose un suivi sur le long terme.

L’évaluation financière des préjudices écologiques peut être faite par différentes méthodes comme nous le rappelions en première instance :

Pour ce qui concerne la destruction mécanique de la biomasse maritime, le professeur Claude Chassé, écotoxicologue émérite et pionnier de l’Université de Bretagne Occidentale a réalisé un bilan statistique de la perte en biomasse à valeur commerciale sur les 250 km les plus touchés par la perte de cargaison de l’Amoco Cadiz. Il est arrivé au bilan poids frais de 260.000 t de bigorneaux, patelles, berniques, oursins et crustacés planctoniques comme les crevettes, intégrant une quantité marginale de poissons d’estran comme les lançons. Dans le cadre de ce travail révolutionnaire en 1978 et qui le reste en 2009, le bilan monétarisé calqué sur les prix de vente en criée a abouti au total de 1 milliard 500 millions de francs 1978, supérieur au coût de nettoyage des côtes qui constitue depuis 40 ans le principal des doléances et des justificatifs en matière de demandes d’indemnités et d’indemnisations versées après les marées noires. Ce bilan de l’UBO a été critiqué par les économistes. Selon eux, la valeur monétaire de ces 260.000 t de biomasse commerciale était fictive car si la veille de la marée noire, on les avait retirées de l’estran, le marché n’aurait pas pu les absorber et elles auraient fini, elles aussi dans les décharges. La méthode Claude Chassé pourrait être complétée par la valeur monétaire d’espèces non commerciales au sens alimentaire du terme comme les hippocampes qui font l’objet d’un trafic international pour des prétendues vertus médicinales.

Lors de la marée noire de l’Exxon Valdez, certaines espèces ont fait l’objet d’estimations monétaires. Dans le cas de l’Erika, environ 80% des oiseaux touchés étaient des guillemots de Troïl, soit entre 64.000 et 120.000 individus.

Espèce Estimation USD 1989
Exxon Valdez
Nombre impactés
Erika (hyp. Basse)
Valeur théorique Erika
en USD 1989
Guillemot 274 64.000 17.536.000

Les travaux de Robert Costanza, professeur d’économie environnementale et directeur de ce département à l’université du Vermont, montrent que les services rendus à l’humanité par les écosystèmes océaniques peuvent être considérables : gestion du carbone, régulation climatique, recyclage des nutriments, habitats d’espèces menacées, production alimentaire, production de matières premières, aménités, valeurs esthétiques. La surface de l’océan couvre 71% de la Terre mais Costanza remarque que l’océan mondial offre au vivant 99% des milieux disponibles. Quand sur les continents, la vie bactérienne s’arrête à quelques dizaines de mètres de profondeur, des cachalots et des poissons chassent ou vivent à 3 km et à 10 km sous le niveau de la mer.

La valeur fonction d’un hectare d’écosystème côtier est évaluée par Costanza à 4.052 USD par an.
La valeur fonction d’un écosystème estuarien est estimée à 22.000 USD par hectare par an.
La valeur fonction d’un hectare de domaine marin est évaluée à 577 USD par hectare par an.

La superficie directement impactée par la marée noire de l’Erika est d’environ 9.200 km 2 et la superficie indirectement impactée est de 100.000 km2, avec 150 espèces commerciales de poissons, si l’on considère les limites de la zone 8A du golfe de Gascogne définie par l’ICES (International Council for the Exploration of the Sea).

Une autre méthode consiste à prendre le ratio des condamnations pour dégazage qui correspondent en moyenne à 1 tonne d’hydrocarbures purs rejetés en mer. Les condamnations financières au bénéfice des associations de protection de l’environnement des décisions et arrêts collectés sont de 1.500 à 10.000 euros. En prenant une moyenne basse de 3.000 euros, multiplié par 20.000 tonnes déversées par l’Erika, le total serait de 60 millions d’euros. Robin des Bois note que dans sa décision du 5 avril 2006 au sujet du Maersk Barcelona (pavillon Bahamas), le TGI Brest a reconnu l’effet de synergie des pollutions : « ce dommage [le dégazage] résultant directement des faits de pollution eux-mêmes, mais aussi en ce qu’ils concourent avec l’ensemble des rejets opérationnels des bateaux croisant au large des côtes bretonnes, que ces pollutions soit orphelines ou non, à la dégradation progressive de l’environnement marin français ». De même, dans son arrêt du 10 février 2005 concernant le Dobrudja (pavillon bulgare), la Cour d’appel de Rennes a précisé «que la répétition de ces actes de pollution sur des routes maritimes de grand trafic comme celle suivie par le Dobrudja justifie également que soit faite une application ferme de la loi pénale à chaque fait constaté et prouvé ». Nous invitons la Cour à prendre également en compte dans le cas de l’Erika cette synergie des pollutions et précisons qu’elle s’opère aussi avec les pollutions chroniques d’origine tellurique.

B- Le suivi de la marée noire de l’Exxon Valdez dite EVOS –Exxon Valdez Oil Spill-

Le 24 mars 1989, un pétrolier à simple coque, l’Exxon Valdez s’est échoué à la sortie du terminal pétrolier de Valdez en Alaska. La marée noire de pétrole brut est estimée à 36.000 t. En juillet 2006, l’Etat d’Alaska et le gouvernement fédéral américain réouvrent le dossier des dommages écologiques et réclament à la compagnie pétrolière 92 millions de dollars supplémentaires après avoir constaté la subsistance d’anomalies biologiques et la présence résiduelle d’hydrocarbures dans la zone impactée. Cette « réouverture » du litige se justifie donc par des préjudices non anticipés et des mesures nécessaires de restauration supplémentaires.

Il est très facile pour une marée noire de rentrer quelque part, il est très difficile de l’en sortir.

Suivent quelques exemples d’espèces ou de compartiments qui ont fait l’objet par l’autorité de gestion d’un suivi de plusieurs années et bientôt de 2 décennies avant que l’impact réel de l’EVOS soit déterminé.

L’organisme de gestion a considéré la population de pygargues à tête blanche, aigles américains (Haliaeetus leucocephalus) du Prince William Sound comme étant remise des impacts de la marée noire en septembre 1996, 7 ans après l’EVOS.

Les clams continuent à montrer des variations de densité entre les secteurs à marée noire et les secteurs de référence. Encore aujourd’hui, les clams sont considérés comme en voie de restauration mais sont encore porteurs de certains effets négatifs; leurs taux résiduels internes d’hydrocarbures sont encore notables et peuvent contaminer des prédateurs comme des oiseaux et des loutres de mer qui sont aussi sur la liste prioritaire des espèces à surveiller.

C’est seulement en 1997 et 2005 que les guillemots de Troïl (Uria aalge) et les plongeons (Gavia) sont considérés comme ayant retrouvé leur niveau de référence.

A partir de 1990, les huîtriers de Bachman (Haematopus bachmani), oiseaux qui vivent plus de 15 ans, sont considérés comme contaminés par les hydrocarbures. Ceux-ci sont mesurés dans les fientes. Des aberrations comportementales sont notées de même que des régressions pondérales des femelles et des œufs. En 1998, 9 ans après l’EVOS, ces signes négatifs ont tendance à diminuer tout en étant encore présents, un redéploiement de la population en cohérence avec la tendance régionale est observé.

En 2000, les huîtriers de Bachman ont été déclarés comme préservés des effets de la marée noire de l’Exxon Valdez et ayant pleinement récupéré le statut qu’ils auraient eu si elle n’avait pas existé.
En 2004, une nouvelle série d’analyses est menée sur des spécimens morts. Elles révèlent une exposition aux hydrocarbures en cohérence avec des découvertes récentes de nappes et de « mottes » d’hydrocarbures sous les sédiments et dans d’autres endroits de la zone intertidale et infralittorale. En conséquence, les huîtriers ont été reclassés en espèce vulnérable au regard de l’EVOS.

Les arlequins plongeurs (Histrionicus histrionicus) sont toujours considérés comme vulnérables du fait qu’ils se nourrissent dans les zones intertidales ou subtidales dont certaines sont encore des réservoirs à hydrocarbures. L’huilage de certains plumages et les teneurs en hydrocarbures des tissus des individus prélevés dans les zones impactées par l’EVOS sont supérieurs à celles des individus prélevés dans des zones non touchées par la marée noire de l’EVOS.

Les moules sauvages sont en cours de restauration mais certains bancs vivant dans des sédiments avec des teneurs résiduelles en hydrocarbures pourraient contaminer leurs prédateurs habituels que sont par exemples les arlequins plongeurs et les huîtriers de Bachman.

Les guillemots marbrés (Brachyramphus marmoratus) et les guillemots de Kittlitz (Brachyramphus brevirostris) sont toujours considérés comme impactés par la marée noire de l’Exxon Valdez. Les populations pourraient souffrir du manque de disponibilité de lançons et de harengs, deux espèces dégradées par la marée noire.

Enfin les guillemots colombins (Cepphus columba) dont 2000 à 6000 ont été tués par les effets immédiats de la marée noire de l’Exxon Valdez sont toujours considérés comme n’ayant pas recouvré leur niveau de référence. La population du Prince William Sound a souffert par la suite de la prédation renforcée des visons et des loutres de rivière à la recherche de proies extérieures aux milieux aquatiques pollués. L’impact supplémentaire de la marée noire de l’Exxon Valdez s’inscrit dans un contexte général de l’affaiblissement des populations régionales. La diminution est plus forte dans les secteurs touchés que dans les secteurs non touchés. Les poussins ne contiennent pas de teneurs significatives en hydrocarbures à la différence des adultes. Cette différence s’explique par le fait que les poussins sont exclusivement nourris de petits alevins de pleine eau tandis que les adultes se nourrissent de poissons et d’invertébrés benthiques qu’ils capturent dans les sédiments intertidaux avec leurs becs.

En plus des contaminations en hydrocarbures aromatiques déjà citées, les harengs seraient fragilisés par la réduction du zooplancton observée depuis 1990 et attribuée à l’EVOS. La taille moyenne des harengs a diminué et la pénurie alimentaire pourrait globalement affaiblir la capacité des harengs à résister aux maladies virales.

19 ans après la marée noire de l’Exxon Valdez, la surveillance du compartiment intertidal reste prioritaire. L’estran est considéré comme un habitat dont certaines parties se révèlent plus contaminées que prévu. Les espèces inféodées à l’estran peuvent être victime d’une contamination externe par contact ou interne par ingestion d’organismes fouisseurs comme les vers. Cette contamination peut se transmettre aux maillons de la chaîne trophique supérieure. L’échantillonnage des sédiments est considéré comme insuffisant.

Les loutres de mer sont toujours considérées comme impactées par l’EVOS. Le facteur privilégié est la pénurie alimentaire. Un problème similaire est observé pour les orques.

Le rapport 2009 de l’EVOS Trustee Council montre que les opérations de suivi et de remédiation notamment au regard de l’imprégnation de certains habitats par les hydrocarbures résiduels persistent.

Il est aussi constaté que l’EVOS et ses suites ont eu sur les communautés humaines enracinées sur le littoral impacté des effets de destructuration, de développement des divorces et des suicides et d’augmentation de la consommation d’alcool et d’antidépresseurs ; ces effets psychologiques n’ont jamais été étudiés après les marées noires en Europe.

C- Le suivi de l’Erika

Les travaux réalisés dans le cadre du suivi post Erika sont insuffisants. Robin des Bois avait déposé en première instance les rapports disponibles. La durée prévisionnelle décidée par le Comité Interministériel de l’Aménagement du Territoire le 28 février 2000 à Nantes était de 10 ans. Seule la première phase a été réalisée. Compte tenu des attributions de budgets et des délais de restitution des travaux, et du fait que des faits dommageables comme des arrivées d’oiseaux mazoutés se sont poursuivis jusqu’en mai 2001, les recherches de terrain et le plus souvent en laboratoire ont duré entre 2 ans et 2 ans et demi. La plupart des rapporteurs scientifiques regrettent que les recherches n’aient pas été prolongées au-delà de l’année 2004. M. Bretagnolle du CNRS, cité comme témoin par la LPO en première instance l’a d’ailleurs dit devant le Tribunal de Grande Instance.

Les recherches ont été concentrées sur une petite partie du domaine maritime impacté au sud et nord de l’estuaire de la Loire. Beaucoup de travaux sur l’écotoxicité du fuel ont été effectués en laboratoire au détriment du travail sur le terrain. Aucune investigation n’a été menée sur le plateau continental à l’ouest des épaves de l’Erika. Il n’y a pas de suivi sédimentaire en périphérie des épaves de l’Erika. Pratiquement aucune investigation sur le terrain ou en laboratoire n’a été menée sur les effets de la marée noire pour les différentes familles de planctons. Les recherches internationales sur les effets transfrontières de la marée noire ont été négligées notamment sur les poissons et les oiseaux migrateurs. On parle souvent de stocks chevauchants de poissons qui traversent tout au long de leur cycle de vie des Zones Economiques Exclusives différentes ; les pollutions elles aussi sont transfrontières, une marée noire de l’ampleur de celle de l’Erika ne peut pas être seulement considérée comme un évènement régional ou national.
Certaines conclusions de ces rapports préliminaires sont pourtant inquiétantes pour l’avenir. A titre d’exemple, les Buccinum undatum, c’est-à-dire les bulots, gastéropodes nécrophages sont en forte augmentation. Ces proliférations sont considérées comme « des anomalies ». Elles s’expliquent par le fait que les bulots se nourrissent d’animaux ou d’organismes en voie de décomposition ou affaiblis. Aucune référence n’est faite à la capacité des bulots et autres nécrophages à concentrer les hydrocarbures aromatiques et les métaux lourds composant le fuel de l’Erika. Il y a là un risque sanitaire à moyen terme pour les prédateurs supérieurs que peuvent être les oiseaux plongeurs et les hommes.
En ce qui concerne les soles, le chapitre impact à moyen terme du rapport final publié en février 2005 dit que « l’analyse la plus récente met en évidence un niveau historiquement bas du recrutement pour la cohorte 1999 (niveau inférieur de 40 % à la moyenne des 20 dernières années). La cohorte 1999 est celle qui a connu la plus forte exposition à la pollution de l’Erika, ses individus étant âgés d’un an durant la phase aiguë de la pollution. L’hypothèse d’une diminution du recrutement lié à la marée noire ne peut pas être écartée. Depuis 1992, le stock de soles du Golfe de Gascogne fragilisé en raison d’un fort niveau d’exploitation est considéré à risques pour sa capacité de reproduction. ». Là encore, on s’aperçoit que la pêche n’est pas la seule raison de la diminution des stocks de poissons. Les autres poissons plats comme les plies qui avaient longuement soufferts des suites du naufrage de l’Amoco Cadiz en particulier les femelles, n’ont pas été étudiés.
En ce qui concerne les sédiments, le rapport du Cemagref confirme l’impact du naufrage sur la qualité de l’eau du Traict du Croisic (2001) mais également sur « celle des sédiments à plus long terme. »

D- Le suivi demandé pour l’Erika

Les déchets de la marée noire de l’Erika ont fait l’objet d’une démarche administrative et technique innovantes. Dans les semaines qui ont suivi la catastrophe, des sites ont été réquisitionnés par les préfectures sinistrées et, au vu de la loi du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux, classés sous la rubrique 167-A de la nomenclature des installations classées en tant que station de stockage et de transit de déchets industriels. Ces déchets et déblais qualifiés de sables souillés par des hydrocarbures étaient de plus fermentescibles. Les membres de Robin des Bois en ont été témoins pour ne pas dire les victimes quand des explosions de méthane et d’hydrogène sulfuré ont émergé à la surface d’un stockage de transit dans le périmètre d’une fonderie à Caudan dans le Morbihan. Des phénomènes analogues ont été observés sur d’autres sites de regroupement. En effet, les sables souillés d’hydrocarbures contenaient aussi dans des proportions importantes des matériaux organiques comme des algues et des cadavres d’oiseaux. Robin des Bois a toujours considéré que les résidus de la marée noire de l’Erika relevaient directement des réglementations françaises et européennes sur les déchets à partir du moment où les hydrocarbures déversés en mer ne pouvaient plus être utilisés en tant que tels.

Alors que les déchets de l’Erika ont bénéficié du retour d’expérience des précédentes marées noires, il n’en a pas été de même pour le suivi écologique et écotoxicologique. Il est symbolique de constater que 10 ans après la catastrophe, le nom du site officiel « erika-suivi.info » est à vendre. En conformité avec ce délaissement, il faut noter que le jugement en première instance indique que les « Régions Bretagne et Pays-de-la-Loire ont été les plus touchées par une pollution d’une ampleur considérable, dont les effets ont perduré pendant au moins deux saisons touristiques. » La persistance des dommages écologiques n’a pas été prise en compte.

Il ne s’agit évidemment pas d’appliquer à l’Erika les modes de réparation et de restauration écologique appliqués en Alaska et aux Etats-Unis à l’EVOS. Les produits déversés sont différents ; les espèces mises en dangers ne sont pas toutes les mêmes. Le pétrole brut de l’Exxon Valdez est moins toxique que le fuel lourd de l’Erika tandis que la biodégradabilité dans les eaux subarctiques est moins rapide que dans les eaux tempérées de l’Atlantique. Il s’agit à notre sens de réaliser les suivis post-Erika avec le même soin, la même lenteur, la même auscultation des chaînes alimentaires que pour l’EVOS. Il s’agit d’appliquer le principe de précaution en vigueur en France depuis 1995 et la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement et de consacrer à ce suivi des moyens financiers proportionnels.

Il n’a pas été répondu à ce jour aux questions primordiales posées par le service de l’Inspection Générale de l’Environnement dans son rapport sur le fonctionnement du plan Polmar en date du 17 juillet 2000 :
o Quelles seront à long terme les conséquences sur les tissus, la croissance, et la reproduction des communautés végétales et animales impactées ?
o Les communautés les plus touchées seront-elles remplacées par des communautés opportunistes ?
o Quel est l’impact sur le domaine profond du plateau continental ?
o Quelles seront les incidences de la contamination sur les phases larvaires, planctoniques et sur les floraisons phytoplanctoniques printanières ?
o Quels seront la rémanence, la toxicité et le comportement du pétrole restant dans le milieu ?

La connaissance et la compréhension des impacts passe par des suivis à long terme, le recensement des biotopes, la mise en œuvre de moyens, de photographie et de cartographie aérienne et sous-marine, des campagnes d’observation spécifiques, des campagnes d’échantillonnage, des échanges avec les scientifiques et les naturalistes impliqués dans le suivi d’autres marées noires.

Un soin particulier devrait être accordé aux effets des hydrocarbures de l’Erika et aux éventuelles modifications consécutives aux pollutions par fuel lourd des forêts et herbiers d’algues marines et de zostères, de leur superficie, de leur répartition et de leurs capacités à fournir un habitat diversifié. Des vérifications s’imposent à ce sujet. L’impact à long terme sur les mammifères marins au sommet des chaînes alimentaires n’a pas été étudié.

La découverte récente et postérieure au procès en première instance de la contamination par le fioul de l’Erika des vases du port d’échouage de Pornichet dans la baie de la Baule prouve la rémanence de la catastrophe et la disponibilité résiduelle des hydrocarbures dans le milieu marin 10 ans après l’évènement (production 37). Cette vasière est un habitat pour les organismes benthiques mais aussi une zone de nourricerie pour les oiseaux et notamment des gravelots, les poissons plats et les crevettes. Robin des Bois a été informé par Total de cette situation en mai 2009 et a accepté le principe de participer au comité de pilotage visant à déterminer l’importance et la localisation des pollutions dues au fuel de l’Erika et à adapter en conséquence le mode de gestion des vases.

En conséquence, nous demandons à la Cour de condamner l’ensemble des prévenus conjointement et solidairement à financer un suivi écologique supplémentaire de 10 ans. Ce programme post Erika n’a pas pour vocation à se substituer aux suivis antérieurs. Il a pour but de les élargir, de les compléter, de les rénover, de les actualiser et d’impliquer les acteurs du commerce maritime international. Le monde du shipping et notamment les sociétés de classification et les armateurs doivent comprendre que l’océan mondial et en l’occurrence le Golfe de Gascogne et la Bretagne et son littoral ne sont pas seulement, loin de là, une voirie de surface où des poids lourds ont à transporter dans les délais les plus brefs des flux de marchandises.

Le suivi réalisé de 2001 à février 2004 a bénéficié d’un budget de 4,8 millions d’euros. Afin de réaliser un suivi supplémentaire de 10 ans, la somme de 14 millions d’euros est nécessaire à minima. Ce fonds selon les processus de mutualisation pourrait ensuite être alimenté d’une manière substantielle par d’autres bailleurs tels que l’Etat.
Ce suivi différé ne serait pas un précédent dans le domaine des marées noires. Huit ans après le naufrage du Haven en Méditerranée, le 11 avril 1991, un programme longitudinal de suivi écologique et si nécessaire de restauration a été entrepris grâce à un don de 16,4 millions d’euros du P&I Club.

L’association Robin des Bois demande donc que lui soient versés 14 millions d’euros qui seront constitués en un fonds fiduciaire placé sous la responsabilité d’un comité de pilotage intégrant les responsables du désastre Erika, les parties civiles, la communauté scientifique et l’Etat. Ce schéma est d’ailleurs soutenu dans l’ouvrage « Marée noire et environnement » (pages 338 et 339 production 38). Ce fonds aurait une obligation d’information vis-à-vis du public dans son action comme dans les résultats obtenus. Ce financement imposé aux responsables des pollutions constituerait une application du principe pollueur-payeur, les fonds recouvrés servant exclusivement à assurer le suivi, à dépister les anomalies et à initier d’éventuelles actions de restauration. Ce fonds servirait l’intérêt général, aurait une cohésion interrégionale, dépasserait les limites artificielles et administratives des collectivités et serait cohérent avec la globalité de l’écologie marine et littorale.

(…)

Par ces motifs il est demandé à la Cour de :

– Dire et juger recevable la constitution de partie civile de l’association Robin des Bois ;

– Déclarer irrecevable la demande de la société RINA SPEA tendant au bénéfice de l’immunité de juridiction reconnue à l’Etat de Malte ;

– Condamner conjointement et solidairement Messieurs Giuseppe SAVARESE, Antonio POLLARA, les sociétés RINA S.P.E.A., AMARSHIP et SELMONT en les personnes de Messieurs DUCCI Alessandro et CLEMENTE Mauro, TOTAL S.A./TOTAL Fina Elf/TOTAL et TOTAL TRANSPORT CORPORATION à verser au titre du préjudice écologique 14 millions d’euros à l’association Robin des Bois pour constituer un fonds fiduciaire dédié au financement des suivis environnementaux;

– Condamner conjointement et solidairement Messieurs Giuseppe SAVARESE, Antonio POLLARA, les sociétés RINA S.P.E.A., AMARSHIP et SELMONT en les personnes de Messieurs DUCCI Alessandro et CLEMENTE Mauro, TOTAL S.A./TOTAL Fina Elf/TOTAL et TOTAL TRANSPORT CORPORATION à payer la somme de 200.000 euros à l’association Robin des Bois au titre de son préjudice moral ;

 

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