Groningue, Verdun, Hiroshima : villes jumelées

27 mai 2016

Groningue, 1672. Hollande.
Le premier traité sur l’interdiction des poisons dans les armes de guerre a été signé le 27 août 1675 à Strasbourg par des conseillers du roi Louis XIV et de Léopold Ier de Habsbourg, empereur du Saint Empire romain germanique. Dans ce pacte sur l’échange des prisonniers pendant la guerre de Hollande, il a été précisé « qu’il sera fait défense aux soldats des deux partis de se servir de balles empoisonnées et de balles ramées et que s’il se trouvait des soldats saisis ou convaincus de s’en être servis, le parti dont ils seront sera obligé d’en faire une justice exemplaire ». A cette époque, les manuels d’arquebuserie et les stratèges recommandaient d’incorporer aux balles de l’arsenic et des venins végétaux. La balle ramée était un ensemble de 2 à 3 balles de fusil ou de boulets de canon enchaînés par un fil de laiton. « Ce qui rend l’effet extrêmement dangereux, c’est qu’en sortant du canon les 2 balles se séparent et occupent un grand espace » (dictionnaire des Arts et des Sciences, Thomas Corneille, 1694). Les balles ramées étaient des ancêtres des obus Shrapnel et autres grenades ou munitions à billes, à clous et à fragmentation.

Balles empoisonnées, balles ramées, pots puants, le siège de Groningue par l’archevêque de Münster a été un lieu d’expérimentation et d’innovation militaire. Juillet-août 1672. Plus de 10.000 morts.

 

Verdun.
Quand on va dans le 14-18*, on déplore à perte de vue des cimetières de soldats dévastés venus de tous les continents et on comprend que cet épisode monstrueux a été le feu vert à la brutalisation, à l’industrialisation et à la mondialisation de la guerre. Une artillerie métallurgique délirante, convulsive et adjuvantée s’est alliée pour la première fois sur les champs de bataille à des munitions chimiques, lacrymogènes, vomitives, sternutatoires, aveuglantes, asphyxiantes et mortelles.

Pour le moment, l’escalade s’est arrêtée à Nagasaki et Hiroshima avec le nucléaire.

Un milliard d’obus de tous calibres ont été tirés entre 1914 et 1918. 6% contenaient des gaz de combat soit 60 millions. Le corps médical et les corps des soldats ont été trahis et démunis face aux innovations et aux détournements de l’industrie allemande, française et anglaise. Des raticides ont été renforcés pour devenir homicides. La branche des colorants a trouvé dans la Grande guerre un nouveau marché. Elle a brusquement changé de braquet passant de la teinture des uniformes militaires à un usage offensif de ses matières intermédiaires. Le chlore et un précurseur de l’ypérite servaient à la préparation de l’indigo et du noir, le phosgène entrait dans la composition des teintures de coton. Même si elle a été prise de court par Bayer et BASF, la France n’a pas été à la traîne dans la course aux armes chimiques. Elle a été la première à utiliser dans les tranchées des grenades lacrymogènes et suffocantes au bromacétate d’éthyle sur le modèle de celles qui avaient permis l’arrestation-spectacle de la bande à Bonnot en 1912 puis des grenades au chlore et à l’acétone mises au point par l’Institut Pasteur. Grâce à la « section spéciale des produits agressifs », des obus mixtes au trichlorure d’arsenic et à l’acide cyanhydrique ont été tirés par milliers en Picardie en 1916 sans toutefois atteindre les taux de mortalité que l’Etat major français espérait. C’est en milieu fermé et 26 années plus tard que l’Allemagne avec l’épouvantable succès que l’on sait prouva l’efficacité de cette innovation française.

Un siècle après Verdun, la Grande guerre fait de la résistance. Elle pollue les champs, les cultures, les clairières et l’eau du robinet. Plusieurs regroupements de munitions chimiques ou de terres polluées par leurs résidus sont incrustés sur le territoire français. Près de 300 tonnes de munitions chimiques sont entreposées dans le camp militaire de Suippes.

« Dès l’arrivée, à la descente de voiture, l’ypérité grave est dans un état de prostration prononcée. La peau du visage rouge cuite présente déjà des placards chagrinés qui laissent deviner l’imminence des phlyctènes ; le jetage nasal est abondant, les lèvres sont boursoufflées. De la bouche entrouverte s’exhale une odeur fade de cadavre frais indiquant la mortification précoce des muqueuses, qui est d’un mauvais pronostic », Paul Voivenel et Paul Martin, La Guerre des gaz 1915-1918, 1919, Postface du Dr Bernard Marc (2ème édition 2005).

Aujourd’hui encore des munitions chimiques à l’ypérite, au phosgène ou au phosphore sommeillent dans les sols et peuvent à tout moment être réveillées par un coup de pelleteuse, une charrue, un chantier ou déterrées par un enfant ou un cueilleur de champignons.

 

* Pas-de-Calais, Nord, Somme, Oise, Aisne, Marne, Ardennes, Meuse, Moselle, Vosges

 

Sources :
Soigner et sauver à Verdun. Le Service de Santé dans la Grande Guerre. Editions Italiques, 2009.
Traité fait entre leurs Majestés très chrétiennes et impériales pour l’échange et rançon des prisonniers de guerre, 27 août 1675. La transcription de ce traité depuis le vieux français n’est pas disponible dans la documentation du Ministère des Affaires Etrangères. Robin des Bois a fait appel à un généalogiste paléographe.
Jacques Basnage, Annales des Provinces-Unies Tome II, Editions Charles Le Vier, La Haye,1726.

Anciens sites de destruction d’obus Clere & Schwander – Muzeray, Vaudoncourt et Loison (55)
L’Europe, Prix Nobel de la guerre !, communiqué du 9 novembre 2012
En attendant les démineurs, Inventaires des déchets de guerre du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2011
Inventaire des déchets de guerre Régions Atlantique-Manche, 1er janvier 2008-31 décembre 2013
Comment la France gère-t-elle les munitions chimiques anciennes ?, communiqué du 19 décembre 2013

 

 

 

 

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