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CITES : 11 hauts et un bas

Communiqué CITES CoP19 n°5
Panama

Tensions diplomatiques

[1]En décortiquant toutes les propositions d’inscription à l’Annexe I ou à l’Annexe II, la délégation chinoise a relevé 15 “inexactitudes” sur les qualifications de Hong Kong, de Macao et surtout de Taïwan. “Taïwan est une partie inaliénable du territoire chinois. Le principe de la “Chine unique” est une des normes fondamentales régissant les relations internationales. Tout acte qui crée “deux Chine” ou “une Chine, un Taïwan” viole le droit international.” La délégation chinoise visait en particulier la proposition des USA de déclassement de l’Annexe I à l’Annexe II des albatros à pieds noirs (Phoebastria albatrus). La Chine a par ailleurs contesté la “japonisation” des îles Senkaku consécutive au traité de Shimonoseki signé le 17 avril 1895 entre l’Empire du Japon et la Dynastie Qing. D’après la Chine, les îles Senkaku s’appellent les îles Diaoyu (“îles de la pêche aux poissons”). La République populaire de Chine revendique sa souveraineté sur cet archipel. La délégation japonaise a immédiatement protesté contre la déclaration de la délégation chinoise.
Le Sénégal, la Guinée, le Gabon, le Mali, le Niger, le Ghana, le Nigéria, le Libéria, le Congo, la République centrafricaine, la Gambie, le Burundi, le Bénin, le Togo, le Kenya et la Guinée-Bissau sont intervenus collectivement contre la proposition portée par l’Union européenne et le Vietnam d’inscrire le dragon d’eau vert (Physignathus cocincinus) à l’Annexe II. Il s’agissait en fait pour le bloc des pays d’Afrique de l’ouest et d’Afrique centrale de protester contre le torpillage par l’Union européenne des propositions concernant l’inscription à l’Annexe I des hippopotames et de tous les éléphants d’Afrique. L’Union européenne a mal vécu cet épisode et tente depuis d’éteindre le feu. L’esclandre des pays africains n’a pas, comme c’était prévu, empêché l’inscription à l’Annexe II de l’espèce (81 pour, 27 contre et 20 abstentions). Les dragons d’eau verts sont des lézards semi-aquatiques et arboricoles. Ils sont associés aux cours d’eau rocheux dans les dernières forêts vierges de Thaïlande, du Vietnam, du Laos, du Cambodge et du sud de la Chine. Les dragons d’eau verts sont depuis des décennies des “objets” recherchés par le commerce international des animaux de compagnie.

Grenouilles de verre (Centrolenidae)

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Cochranella granulosa © Shanelle Wikramanayake

Arboricoles, nocturnes, mesurant de 2 à 5 cm de long, les grenouilles de verre vivent dans les forêts tropicales humides d’Amérique centrale et d’Amérique du sud jusqu’à 3500 m d’altitude. Elles communiquent par des cris courts et stridents adaptés à l’environnement sonore intense des cascades d’eau. Elles contrôlent les populations de moustiques vecteurs du paludisme, du virus Zika et de la dengue.
Les grenouilles de verre sont menacées d’extinction par la demande exponentielle du commerce international des animaux de compagnie. Leurs grands yeux et la peau transparente de leur ventre en font une cible de choix sur les marchés fauniques des Etats-Unis, du Canada, du Japon et de l’Union européenne avec aux premiers rangs, l’Allemagne, pays pionnier de l’extinction des reptiles et des amphibiens avec sa foire de Hamm, les Pays-Bas, la France et l’Espagne. Surnommée “Kermit la grenouille” par les experts en marketing de l’extinction, leur contrebande a explosé. Des trafiquants allemands et russes ont été récemment arrêtés au Costa Rica avec des dizaines de grenouilles de verre dans leurs bagages. La mortalité pendant le transport est élevée. L’increvable pandémie de Covid-19 a entraîné une réduction des opérations de lutte contre le trafic dans la plupart des pays de l’aire de répartition. L’inscription à l’Annexe II va améliorer la traçabilité du commerce et renforcer les sanctions à l’égard des collecteurs et des contrebandiers.
Cf. également “Panama, la grande braderie des animaux et des végétaux sauvages [3]“, communiqué du 14 novembre 2022.
L’Argentine, le Costa Rica, le Brésil, l’Equateur, le Salvador, Panama, le Pérou, la République Dominicaine, les Etats-Unis d’Amérique, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Guinée, le Niger, le Togo proposaient l’inscription en Annexe II de toute la famille Centrolenidae qui comprend 158 espèces dont deux découvertes en 2022.
L’Union européenne avait déjà fait échouer cette proposition en 2019 à Genève. Elle a encore une fois tenté le coup à Panama. Poussée par le lobby de l’aquariophilie, elle a été la seule avec le Canada à exprimer fermement son opposition. Jusqu’au dernier moment, la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne est restée inflexible malgré la priorité proclamée dans son communiqué du 16 novembre 2022 [4] de “renforcer la protection des espèces ayant des marchés dans l’Union européenne”. Par contre, 28 pays latino-américains, caribéens, africains et asiatiques (dont l’Indonésie) ont fait bloc en faveur des grenouilles de verre pendant la session de nuit. L’Union européenne, comprenant que la partie était perdue, a renoncé à demander un vote. La proposition a été acceptée par consensus.

Tortues terrestres et aquatiques
Les tortues sont les victimes ancestrales, innombrables, muettes et globales du grand bazar international des animaux de compagnie. Les tortues ne pleurent pas, les tortues ne se défendent pas sauf les tortues serpentines, les tortues ne fuient pas. Elles se ramassent comme des pierres ou des gros cailloux dans les marais et les rivières. Elles sont manipulées, expédiées et parfois abandonnées par millions chaque année. Des espèces invasives comme la tortue de Floride entrent en compétition avec les espèces locales.
“A la Trace”, le trimestriel d’information et d’analyses sur le braconnage et la contrebande d’animaux menacés d’extinction publié par Robin des Bois, mentionne dans chaque numéro des trafics par camion, par train, par avion, par colis postal, des saisies sur les marchés et dans les foires à reptiles. Le gang des kachugas à front rouge sévit en Inde et rayonne jusque dans le sud-est asiatique.
Les tortues étoilées de l’Inde ont été inscrites en Annexe I en 2019 à la 18ème session plénière de la CITES à Genève. Les kachugas à front rouge (Batagur kachuga) et les tortues-boîtes à front jaune (Cuora galbinifrons) y accèdent à la 19ème session plénière à Panama. Quant à elles, les tortues géographiques (Graptemys barbouriG. ernstiG. gibbonsiG. pearlensis et G. pulchra), les tortues serpentines (Macrochelys temminckii et Chelydra serpentina) et les tortues matamatas (Chelus fimbriata et C. orinocensis) accèdent à l’Annexe II. Sur le marché des animaux de compagnie, les kachugas à front rouge se vendent 2000 € par individu à Singapour ou en Thaïlande, et les tortues matamatas 800 € par individu en Europe et aux USA.

Bulbul à tête jaune (Pycnonotus zeylanicus)

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© CheongWeei Gan

La Malaisie, Singapour et les Etats-Unis d’Amérique proposaient un transfert de l’Annexe II à l’Annexe I. Seule l’Indonésie a prétendu que l’Annexe II était suffisante pour lutter contre le trafic. Elle cherchait plus à protéger les éleveurs d’oiseaux que les oiseaux. Elle demandait au moins un délai de 24 mois avant entrée en vigueur. Elle a obtenu un délai de 12 mois et la proposition a été acceptée par consensus.
Cf. “Panama, la grande braderie des animaux et des végétaux sauvages” [3], communiqué du 14 novembre 2022.

Shama à croupion blanc (Kittacincla malabarica)
“L’inscription de cette espèce en Annexe II est urgente” a déclaré la Malaisie. Sa proposition portée conjointement avec Singapour a été acceptée par consensus. L’Indonésie a suggéré un délai de 18 mois avant entrée en vigueur. Cette option qui aurait favorisé un rush des trafiquants et des commerçants n’a reçu le soutien d’aucun pays et l’Indonésie n’a pas insisté. Cf. “Panama, la grande braderie des animaux et des végétaux sauvages” [3], communiqué du 14 novembre 2022.

Scinque à langue bleue (Tiliqua adelaidensis)
La proposition de l’Australie d’inscrire cette espèce de scinque à langue bleue à l’Annexe I a été acceptée par consensus. Des spécimens se vendent jusqu’à 10.000 € en Europe, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne. En mars 2021, les autorités de l’Etat d’Australie-Méridionale ont constaté que des terriers de lézards Tiliqua adelaidensis avaient été fouillés et dégradés en vue de capturer des spécimens vivants ou de collecter des œufs. Leur zone de répartition, inférieure à 500 km2, est de plus en plus fragmentée et colonisée y compris par des implantations de parcs éoliens.

Bonne nouvelle pour les rhinocéros
La proposition de l’Eswatini (ex-Swaziland) de reprendre le commerce des cornes de rhinocéros depuis son territoire a été refusée par 85 voix contre (dont le Vietnam), 15 pour (dont la Chine) et 26 abstentions. Robin des Bois note que la Chine, bien qu’elle ait fermé son marché domestique aux cornes de rhinocéros, a voté en faveur de la proposition. Elle avait adopté la même position paradoxale pour l’ivoire d’éléphant. Cf. ” Les hauts et les bas de la CITES” [6], communiqué du 21 novembre 2022. Il faut sans doute voir là un effort de la diplomatie chinoise pour se faire bien voir des gouvernements de l’Afrique australe et du Zimbabwe.
L’aéroport international du roi Mswati III est une porte de sortie de cornes de rhinocéros importées illégalement d’Afrique du Sud et d’autres pays d’Afrique australe. Une tentative de contrebande de cornes de rhinocéros depuis l’Eswatini vers Taïwan a été contrée en mai 2020 (cf. “A la Trace n°16 [7] p.70). Alors que le Sénégal s’exprimant en français s’opposait fermement à cette proposition, la traduction en anglais lui faisait dire l’inverse. Il en a été alerté à temps par les autres délégations d’Afrique de l’ouest.

Mauvaise nouvelle pour les rhinocéros
La proposition du Botswana et de la Namibie visait à déclasser les rhinocéros blancs du sud de l’Annexe I à l’Annexe II pour la seule population de la Namibie et à autoriser le commerce international des trophées de chasse et des animaux vivants uniquement à des fins de protection in situ. La population de rhinocéros blancs est estimée en Namibie à 1237 individus. 57 braconnages de rhinocéros blancs ont été officiellement reconnus dans ce pays entre 2013 et 2020 et 12 en 2021. Entre janvier et août 2022, 48 rhinocéros ont été braconnés en Namibie, dont 32 noirs et 16 blancs. Le braconnage des rhinocéros qu’ils soient noirs ou blancs est en augmentation malgré les campagnes de décornage préventif. Entre avril 2021 et mars 2022, 59 cornes ont été saisies. Elles proviennent de rhinocéros noirs et blancs.
La proposition a été acceptée par 83 voix pour, 31 contre et 13 abstentions avec un amendement de l’Union européenne restreignant ce déclassement aux “animaux vivants, uniquement à des fins de protection in situ dans l’aire de répartition naturelle et historique de l’espèce en Afrique”. Pour mémoire, la proposition initiale concernait aussi l’exportation de trophées de chasse.
Il ne s’agit donc pas d’une réouverture du commerce international de la corne mais ce déclassement de l’Annexe I à l’Annexe II sera tout de même perçu par les filières de contrebande comme un allègement de la protection de l’espèce non seulement en Namibie mais aussi au Botswana où le braconnage fait rage. L’approbation de cette proposition va faciliter les délocalisations de rhinocéros d’un pays à l’autre sur de longues distances. Ces transferts imposent une anesthésie de chaque individu et provoquent des mortalités.

 

Tous les autres communiqués de Robin des Bois sur cette CITES au Panama:
“CITES : Un couac et 9 notes justes”, [8] 25 novembre 2022 (CITES CoP19 n°6)
“CITES : 11 hauts et un bas“, 23 nov. 2022 (CITES CoP19 n°5)
Les hauts et les bas de la CITES [6]“, 21 nov. 2022 (CITES CoP19 n°4)
Bonne nouvelle pour les macaques [9]“, 18 nov. 2022 (CITES CoP19 n°3)
Bonne journée pour les arbres [10]“, 18 nov. 2022 (CITES CoP19 n°2)
Panama, la grande braderie des animaux et des végétaux sauvages [3]“, 4 nov. 2022 (CITES CoP19 n°1)