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Comment la France gère-t-elle les munitions chimiques anciennes ?

Mise à jour :

Un arrêté ministériel du 14 octobre 2013 autorise la société ASTRIUM à construire l’usine SECOIA à Mailly-le-Camp.

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Robin des Bois travaille depuis 13 ans sur les déchets de guerre dont les munitions chimiques. Il est utile aujourd’hui de faire le point sur la doctrine et les pratiques de la France au regard de la Convention internationale sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, dite Convention sur les armes chimiques. Les munitions chimiques principales à détruire sur le territoire français sont à base de phosgène et de chloropicrine, d’ypérite et de chlorobenzène, de tétrachlorure de zinc, d’arsenic et de cyanure.

La France a joué un rôle majeur dans l’élaboration de cette Convention. Elle l’a signée le 13 janvier 1993.

Le programme SECOIA (Site d’Elimination des Charges d’Objets Identifiés Anciens) a été imposé par décret en décembre 1996. Il confère au Ministère de la Défense la responsabilité de détruire les munitions chimiques anciennes.

La Convention est entrée en vigueur en avril 1997.

En octobre 1997, le projet SECOIA (version n°1) est divisé en 3 étapes : faisabilité, conception, exploitation. Il est dimensionné pour détruire 100 tonnes de munitions par an en régime de croisière pendant 30 ans et si nécessaire jusqu’à 300 tonnes par an.
Chaque préfet de zone de défense est alors appelé à faire un état le plus précis possible des stocks de munitions chimiques connus ou supposés y compris les regroupements dans des lacs, des cavités géologiques, des forêts en s’appuyant en particulier sur la mémoire collective.

En 2001, il est décidé d’implanter SECOIA (version n°2) à l’intérieur du camp militaire de Suippes dans le département de la Marne avec un régime de croisière de destruction de 25 tonnes par an et si nécessaire jusqu’à 90 tonnes par an. Le camp a une superficie de 15.000 hectares. Les premiers essais étaient prévus pour 2005.

En 2002, l’option Suippes est abandonnée pour des raisons d’incompatibilité avec des exercices militaires au profit du camp de Mailly-le-Camp dans l’Aube, à 60 km de Suippes. Le projet (version n°3) prévoit de traiter pendant 30 ans 20 tonnes par an en régime de croisière et si nécessaire 85 tonnes par an. La mise en route était prévue pour 2007.

Mais l’affaire s’enlise dans des ornières financières, techniques et juridiques, Thales étant soupçonné d’avoir bénéficié d’informations confidentielles de la part de la Délégation Générale pour l’Armement avant de répondre à l’appel d’offre européen. Une autre complication juridique a servi de prétexte à la suspension du projet. En effet, quelques stations de fleurs protégées ont été repérées pendant l’étude d’incidence et ont semblé pendant plusieurs années constituer un obstacle infranchissable.

En 2009, le projet (version n°4) ressurgit avec un nouvel appel à candidatures. Il est dimensionné pour détruire 42 tonnes par an pendant 16 ans, tout juste de quoi traiter le stock existant de Suippes et les découvertes au fil de l’eau. Pas de place pour l’imprévu ou les regroupements cachés.

L’appel d’offre est attribué en été 2011 à Astrium. Le Ministre de la Défense annonce une mise en service pour 2015.

C’est seulement en avril 2013 que l’enquête publique a lieu.

Un avis favorable est donné en juin 2013 par le commissaire-enquêteur.

Sur le papier, la phase d’exploitation est reportée à 2017 soit 20 ans après le décret SECOIA et 100 ans après la Grande Guerre où pour la première fois des armes chimiques industrielles ont été déployées.

En attendant la disponibilité de SECOIA, 20 tonnes supplémentaires s’ajoutent chaque année à l’entreposage du camp de Suippes. En 2001, 55 tonnes, 86 tonnes en 2003, 200 tonnes en 2008 et 250 tonnes réparties en 17.000 munitions en 2012. Les armes chimiques sont entreposées dans d’anciennes cellules en béton qui accueillaient des missiles nucléaires et qui ont été rénovées en enceintes frigorifiques. L’accumulation est importante et pourrait l’être davantage. En effet, les munitions chimiques découvertes pendant des travaux publics, privés ou agricoles sont souvent détruites à ciel ouvert au plus près des découvertes et au mépris de la Convention qui oblige à réduire les émissions atmosphériques issues des destructions. Dans son inventaire « En attendant les démineurs [1] » publié en août 2012, Robin des Bois relate ces comportements avec par exemple en 2010 à Gauchy dans l’Aisne le cas de plusieurs obus au phosgène qui ont été détruits sur place et à l’air libre.

A défaut de moyens techniques et financiers, à défaut d’une volonté politique continue et cohérente, la France s’est dotée récemment de moyens juridiques innovants. Une ordonnance de 2005 stipule que « l’immersion des munitions ne pouvant être éliminées à terre sans présenter des risques graves pour l’homme ou son environnement peut être autorisée par le représentant de l’Etat en mer ». Il y a donc à l’heure actuelle une porte de sortie légale qui peut être ouverte par les préfets maritimes pour procéder à l’immersion des munitions chimiques et perpétuer une pratique initiée dans les années 1920. La loi du 15 juillet 2008 dite « Loi archives [2]» interdit sans prescription de temps la consultation des archives publiques susceptibles d’aider à la localisation des armes chimiques. Cette interdiction d’accès aux archives empêche les historiens, les élus, les aménageurs, la société civile de contribuer à l’inventaire exigé par la Convention et de prendre les mesures nécessaires avant de délivrer des permis de construire ou d’engager des travaux de remaniement des sols .