Les liaisons dangereuses de CMA CGM

22 avril 2020

11h50

L’ONG Robin des Bois recommande que le gouvernement français mette sous tutelle la compagnie CMA CGM, troisième armateur mondial dans le secteur stratégique des porte-conteneurs.

Le CMA CGM Jacques Saade en construction à Shanghai © Wartsila Corporation

Du haut de sa tour marseillaise, la famille franco-libanaise Saadé affiche volontiers des statistiques mirifiques de conteneurs manipulés et floute des bilans financiers dévastateurs dus à une croissance externe aventureuse et à des commandes massives et à contre-courant de méga porte-conteneurs.

Le 25 mars 2020, en pleine crise Covid-19 venue de la Chine, CMA CGM a cédé à China Merchants pour 912 millions d’euros sa participation majoritaire dans 8 terminaux portuaires internationaux renforçant ainsi l’hégémonie de la Chine sur le commerce mondial. Avant cette transaction qui lui donne une bouffée d’air en cash, l’armateur avait obtenu de son pool bancaire dont font partie Paribas et la Société Générale un report de 3 ans du remboursement d’une ligne de crédit d’environ 480 millions d’euros.

En 2012, l’endettement de CMA CGM était de 5 milliards d’euros.

Fin 2019, avant même l’effondrement des échanges commerciaux provoqué par la pandémie, l’endettement de l’armateur français atteignait 19 milliards d’euros.

Ce maelström financier n’empêche pas le tout nouveau président d’Armateurs de France, par ailleurs président de la Compagnie du Ponant, de rallumer la flamme de Colbert et de Louis XIV et de comparer CMA CGM à la Compagnie des Indes qui avait pour mission de “procurer au royaume l’utilité du commerce avec l’Asie et d’empêcher que les Anglais et les Hollandais n’en profitassent seuls comme ils l’avaient fait jusqu’alors”.

En fait CMA CGM pourrait bien être la Compagnie des Dupes et ça n’a pas échappé à l’agence de notation Moody’s qui dès septembre 2019 dégradait sa perspective CMA CGM de stable à négative.

Depuis 2 décennies, CMA CGM s’appuie sur 2 béquilles pour sauvegarder son équilibre précaire et poursuivre sa fuite en avant :
– L’homme d’affaires turc Robert Yildirim, en 2010 et 2011, a injecté environ 450 millions d’euros et acquis 24% du capital de la CMA CGM quand la compagnie secouée par la crise planétaire financière de 2009 était tout près du quai de la faillite. Le groupe Yildirim est investi dans le secteur du charbon, des engrais, de la chimie, des mines, de la construction navale et cherche avec succès à devenir un acteur de premier rang dans la logistique multimodale et la gestion des terminaux portuaires. Le 2 avril 2020, M. Yildirim a tenté de rassurer les créanciers de CMA CGM en déclarant au journal Lloyds List qu’il était prêt à réinjecter des capitaux dans le groupe en soulignant que ce n’était pas nécessaire “pour le moment”. Cette nouvelle assistance financière serait évidemment assujettie à une nouvelle montée en puissance du groupe turc dans le capital du groupe français. L’intervention de M. Yildirim suivait de quelques heures une nouvelle notation négative de Moody’s. M. Yildirim est pour le moment considéré comme un investisseur ami de la France. A ce titre, il a été invité par le président de la République en 2018 au château de Versailles dans le cadre de l’évènement “Choose France”.
– L’autre béquille du groupe français est la Chine. Depuis la visite à Marseille en 2015 du premier ministre Li Keqiang, Cosco l’armateur étatique, les chantiers navals et les banquiers chinois sont devenus les amis, les partenaires et les soutiens financiers conditionnels de CMA CGM. Plusieurs porte-conteneurs portant la marque CMA CGM sont en fait la propriété de la Shanghai Pudong Development Bank. Entre 2017 et 2019, le groupe français a commandé 10 porte-conteneurs de 15.000 boîtes et 9 porte-conteneurs de 23.000 boîtes à CSSC (China State Shipbuilding Corporation) basée à Hong Kong. Le montage financier est complexe et financièrement douloureux. Les 20 porte-conteneurs construits dans les chantiers chinois resteront la propriété de CSSC leasing et seront affrétés sur le long terme par l’armateur français. En 2019, le temps de l’amitié est devenu le temps de la dépendance. Premier de cordée de la série des 23.000 boîtes, le CMA CGM Jacques Saade est en cours d’essai en mer de Chine. Son coût est estimé à environ 120 millions d’euros. Propulsé par 10.000 m3 de Gaz Naturel Liquéfié, il affiche triomphalement, abusivement et dangereusement la livrée verte du marketing de la transition écologique et sera avec ses sister-ships l’ambassadeur itinérant de cette innovation porte-conteneuriale chinoise. Son inauguration est jusqu’alors prévue en juin 2020 à Marseille en présence d’Emmanuel Macron, président de la République.

Mise à l’eau, 25 septembre 2019 © CMA CGM

CMA CGM va monter à l’assaut du ministère de l’Economie et des Finances, si ce n’est déjà fait, pour bénéficier de la garantie post Covid-19 de l’Etat et tenter d’engranger des prêts bancaires supplémentaires.

L’Etat français, actionnaire ultra-minoritaire de CMA CGM via la Banque Publique d’Investissement, doit en prendre la barre le temps qu’il faudra pour éviter le surendettement mortel, l’échouage du premier armateur français et son renflouement par un pays tiers.

CMA CGM résulte de l’absorption en 1996 de la Compagnie Générale Maritime (CGM) par la Compagnie Maritime d’Affrètement (CMA) fondée en 1978 par Jacques Saadé. A ce jour, CMA CGM dispose d’environ 500 porte-conteneurs sous diverses marques. A titre d’exemple, la marque CMA CGM SA The French Line dispose de 135 porte-conteneurs. Ils arborent pour la plupart les pavillons de Malte, de Chypre, des Bahamas, du Liberia, du Panama. Une trentaine arbore le pavillon français ou celui du Registre International Français (RIF). Hormis le commandant et un ou 2 officiers, tous les équipages sont de nationalité étrangère. Les sociétés de classification des 135 unités sont le Bureau Veritas et Det Norske Veritas/Germanischer Lloyd. Le groupe est aujourd’hui dirigé par Rodolphe Saadé, fils de Jacques Saadé.

 

 

 

 

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