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Le Japon voit rouge

Liberté de Thon – n°1
Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l’Atlantique et des eaux adjacentes– CICTA.
17-27 novembre, Paris

Le Japon dans les premières heures de la réunion s’est montré intraitable sur l’origine et la traçabilité du thon rouge dont il est au monde le principal consommateur. La délégation japonaise a démoli le système de suivi et de contrôle mis au point par la CICTA et appliqué par les Etats-pêcheurs. Les pays exportateurs ont été soigneusement mis sur le banc d’accusation. Selon le Japon, la pêche au thon rouge en Méditerranée est dans l’illégalité. Par miracle, tous les thons capturés pèsent 31 à 32 kg ; le poids minimal réglementaire est de 30 kg. Le Japon estime que la moitié des thons rouges capturés pèsent moins de 30 kg. Il s’amuse de ce que la compilation de 17 B.C.D., (Bluefin Catch Document, déclaration de capture de thon rouge), totalise 5.258 thons mis en cage d’engraissement pendant 6 mois et qu’il en ressort 6.350. De la capture en Méditerranée au marché aux poissons de Tokyo, la liste est longue des embrouilles et des infractions. La mortalité des thons pendant les différents transports que subissent les spécimens vivants avant l’abattage final n’est pas comptabilisée. Le parcours du thon capturé dans les filets est en effet très long depuis la zone de pêche jusqu’à la cage d’engraissement distante de 500 à 800 milles nautiques en Espagne, à Malte, en Croatie, en Grèce, en Tunisie. Le convoyage en remorque dans les cages de transit jusqu’à la cage finale d’engraissement peut durer jusqu’à 2 mois et la mortalité atteindre 20 à 25%. Les thons morts pendant le transport disparaissent des quotas de pêche attribués à chaque pays. Ils sont consommés par les équipages et font surtout l’objet d’une commercialisation informelle. L’Etat de la ferme d’engraissement met en cage les thons sans l’autorisation écrite de l’Etat du pavillon du remorqueur. Précisons que cette anomalie n’a rien d’étonnante quand des remorqueurs immatriculés au Honduras, pavillon noir de la communauté maritime, sont utilisés par des pays de l’Union Européenne pour convoyer les thons vers leurs fermes d’engraissement. Le Japon estime que la fermeture des fermes marines deviendra nécessaire si des mesures additionnelles de contrôle et de suivi ne viennent pas contrarier les mauvaises habitudes et la routine. Le principal consommateur de thon rouge exige que la CICTA interdise les opérations de pêche conjointe qui mobilisent plusieurs navires battant pavillon de plusieurs Etats. Il demande à ses fournisseurs que chaque ferme marine suive statistiquement le grossissement des thons capturés et communique les résultats. Le Japon estime aussi qu’un autre point capital est l’embarquement d’observateurs internationaux à bord des remorqueurs qui font le lien entre les navires de pêche et les fermes marines.

« Si vos pêches sont mal documentées, ne les exportez pas » lance le Japon aux délégations de l’Union Européenne et de l’Afrique du Nord, estomaquées. La posture de consommateur responsable du Japon est louable ; il serait utile qu’elle s’étende avec autant de détails et de rigueur à la chasse à la baleine que la flotte japonaise s’apprête une nouvelle fois à mener en Antarctique (voir communiqué Robin des Bois [1]) et à la commercialisation des viandes.

Des observateurs dans l’incapacité d’observer.
Pendant ces deux premières journées de la réunion extraordinaire de la CICTA consacrés aux non conformités aux règles et résolutions qu’elle entend faire appliquer, un premier bilan a été fait sur le fonctionnement du programme d’observateurs internationaux embarqués à bord des navires de pêche et dans les fermes marines.

La pêche hauturière aux thons rouges en Méditerranée se pratique avec des sennes, longs filets coulissants. 68 senneurs sur 93 ont fait l’objet d’une rapide inspection des équipements de sécurité. 13 navires étaient dépourvus de radeaux de survie, 3 étaient équipés de radeaux de sauvetage de capacité insuffisante, 1 était équipé d’un engin de sauvetage périmé, 3 n’avaient pas de gilets de sauvetage en quantité suffisante et 35 étaient dépourvus de balises de détresse, autant d’infractions à la Convention maritime SOLAS pour la sauvegarde de la vie humaine en mer. Ces constatations navrantes ont été réalisées pendant la campagne de pêche 2010 ! Elles confirment la déchéance sociale des marins-pêcheurs en Méditerranée, la négligence des armateurs et des inspections de sécurité dans les ports.

Pour ce qui est du comptage, pilier du plan de restauration du stock de thons rouges et instrument déterminant de la vérification des quotas attribués à chaque Etat, le tableau n’est guère plus rassurant. Il s’avère plus difficile de compter les thons capturés et transférés des sennes vers les cages de transit puis des cages de transit vers les cages d’engraissement que de compter les manifestants entre la place de la République et la place de la Bastille. « Tous les observateurs disent qu’il est impossible de faire une estimation visuelle du nombre de thons capturés ». A la différence des techniques de pêche conventionnelles, les poissons restent dans l’eau et les thoniers n’ont pas d’équipement permettant d’évaluer d’une manière fiable le nombre et le poids des captures. Le transfert des thons entre la senne et la cage de transit avec l’assistance de plongeurs faisant office de gardiens de prison constitue la meilleure séquence d’observation mais les thons ne passent pas un par un et dans la première phase du transfert qui dure pendant une heure, ils nagent dans les deux sens, de la senne vers la cage et de la cage vers la senne. Seuls des enregistrements vidéo de haute qualité permettraient après examen minutieux et dans le cadre d’une méthodologie numérique éprouvée de délivrer une estimation fiable de la quantité de thons et de leur poids. La vidéosurveillance est gérée depuis le remorqueur ou le navire auxiliaire des plongeurs. Dans les circonstances habituelles, ils quittent les lieux dès que l’opération est terminée et les observateurs ne sont pas toujours, loin de là, en capacité d’obtenir des copies des vidéos de transfert. Ils se contentent donc des vidéos de l’action de pêche, quand elles existent et qu’elles sont de bonne qualité.

Plusieurs délégations – Tunisie, Libye, Turquie, Maroc – qualifient en retour les observateurs de touristes, d’amateurs, de menteurs, de perturbateurs incapables de rendre dans des délais raisonnables des rapports clairs et étayés. Elles sont appuyées en ce sens par la Croatie et la Mauritanie qui s’étonne que des étudiants non assermentés prétendent relever des infractions présumées.

Le programme d’observateurs embarqués pour contrôler les actions de pêche et le va et vient des différents maillons de la filière thon rouge en Méditerranée est fortement critiqué. L’Union Européenne et les Etats-Unis reconnaissent que le système est perfectible, que les voies de progrès sont nombreuses ; ils insistent cependant sur l’absolue nécessité de maintenir le dispositif ; le sort du programme d’observation sera décidé ultérieurement et probablement soumis à un vote. « Le programme d’observateurs, ça devient un cauchemar pour le gouvernement du Japon ; comment on va s’en sortir pour y voir clair à la fin de l’année quand les thons engraissés vont arriver sur notre marché ?»

Une nouvelle grande ONG : La Libye.
Hussin Zaroug, chef de la délégation libyenne, a présenté le 18 novembre un appel vibrant et écrit en faveur de la sauvegarde du thon rouge. La Libye propose l’interdiction de la pêche au thon rouge dans l’Atlantique et la Méditerranée pendant 2 ans – 2011 et 2012 – Le délégué libyen estime que cette décision courageuse empêcherait les stocks de thon rouge de s’effondrer et préserverait les intérêts des générations futures.

Fidèle à son aversion pour la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), la Libye avait précipité dans les oubliettes de Doha la proposition d’inscription du thon rouge à l’annexe I (voir communiqué Robin des Bois, Un dîner de thons [2] du 18 mars 2010). Hussin Zaroug souligne que la proposition libyenne permettrait de sauver la CICTA de toute ingérence d’une autre convention internationale. Pour la Libye, il est clair que le principal danger qui guette le thon rouge, c’est la CITES avec ses pouvoirs de police et ses liens directs avec les douanes de tous les pays. Pour rappel, Robin des Bois est favorable à l’inscription du thon rouge à l’annexe II de la CITES qui autorise le commerce international tout en l’assujettissant à des modalités strictes et les organes directeurs de la CICTA se sont déclarés à plusieurs reprises favorables à une coopération avec la CITES et viennent de réitérer cette volonté dans le discours inaugural de la réunion de Paris.