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L’éléphant entre deux eaux

Nairobi

La 11 ème session plénière de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) s’est déroulée du 10 au 20 avril 2000 au siège du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), à Nairobi, au Kenya. Après la 10 ème réunion d’Harare (Zimbabwe), la volonté des Parties était de désamorcer le conflit entre partisans de la reprise du commerce de l’ivoire et défenseurs de l’éléphant. Le PNUE invitait dès le 9 avril à un “moment de réflexion”, pour que la réunion se déroule dans une atmosphère “de paix, tolérance et dialogue”. Dans ce jeu de compromis, l’Europe a eu un rôle important et s’est posé en médiateur politique plus qu’en défenseur des espèces animales et végétales menacées d’extinction. Mais cette fois encore, certains sujets ont divisé la communauté internationale, comme les poissons, les baleines et le bois. Les sujets sensibles ont été réglés à bulletin secret. Robin des Bois, observateur à la CITES depuis 1988, était à Nairobi.

Rappel:
– l’annexe I regroupe les espèces considérées comme menacées d’extinction et n’autorise le commerce international que dans des circonstances exceptionnelles échappant aux transactions commerciales.
– l’annexe II regroupe les espèces qui ne sont pas considérées comme menacées immédiatement par le commerce mais qui pourraient le devenir si ce commerce n’était pas assujetti à délivrance de permis d’exportation et d’importation.

Éléphants (Loxodonta africana): En 1990, les éléphants d’Afrique ont été inscrits en annexe I de la CITES. Ils rejoignaient ainsi l’éléphant d’Asie. En 1997, les populations d’éléphants du Zimbabwe, du Botswana et de la Namibie ont été déclassées en annexe II pour un commerce “expérimental” vers le Japon. Le retour en annexe I de toutes les populations d’éléphants devait intervenir si ce commerce “expérimental” n’était pas accompagné d’un renforcement des contrôles douaniers et si une recrudescence du braconnage était observée. “Tout en notant les limites des données disponibles [seuls 8 pays ont renvoyés leurs questionnaires], le Comité Permanent CITES a conclu qu’il n’était pas établi que le commerce expérimental a entraîné une intensification de l’abattage illicite d’éléphants. Le Comité Permanent a ainsi estimé qu’aucun effet négatif du commerce expérimental n’avait été décelé et que des mesures correctives [retour en annexe I] n’étaient pas nécessaires” – communiqué final 7 avril 2000 -. Pourtant, lundi matin, la présidente du groupe africain confirmait les témoignages du Kenya, de la Tanzanie et de la Côte d’Ivoire et les rapports des ONG, en lisant une déclaration reconnaissant une recrudescence du braconnage des éléphants à travers l’Afrique, depuis 1997. Le 16 avril 2000, entre la poire et le fromage, l’Europe a convaincu le Kenya et l’Inde que leur proposition de réinscription de toutes les populations d’éléphants en annexe I ne passerait pas. Un compromis a donc été trouvé: les populations du Zimbabwe, du Botswana et de la Namibie restent en annexe II mais avec un quota d’exportation de zéro. Le terrain est préparé et les stocks d’ivoire vont s’accumuler d’ici la prochaine session, en attendant les quotas d’exportation. Le dispositif comprend le déclassement des populations d’éléphants d’Afrique du Sud en annexe II. Ce classement dans différentes annexes d’une espèce migratrice n’est pas conforme à l’annexe 3 de la résolution 9/24 qui recommande de ne pas inscrire une espèce sur des listes différentes, en raison des problèmes de contrôle. Si le commerce international de l’ivoire est en principe interdit, le commerce des peaux peut être entrepris et les vendeurs japonais avaient déjà contacté les grands couturiers français. Aujourd’hui, le “Daily Nation” titre “L’interdiction du commerce de l’ivoire n’est pas une victoire pour le Kenya”.

Requins: Les propositions d’inscriptions en annexe II du requin pèlerin (Cetorhinus maximus) et du requin baleine (Rhincodo typus) ont été refusées à bulletin secret ainsi que la proposition d’inscription en annexe I du requin blanc (Carcharodon carcharias). Le malheur des requins, c’est qu’ils sont des poissons. Les grandes puissances de la pêche comme le Japon et la Norvège se sont fortement opposées à ces propositions, prétextant de la compétence de la FAO (Food and Agricultural Organisation). Pourtant, la FAO n’est pas compétente pour interdire ou contrôler le commerce international d’espèces menacées et de leurs sous-produits comme les mâchoires (jusqu’à 250.000 FF pour celles du requin banc) et les ailerons.

Cétacés: Le Japon proposait le déclassement des rorquals de Minke (Balaenoptera acutorostrata) et de la baleine grise (Eschrichtius robustus) en annexe II de la CITES. La Norvège proposait le déclassement des rorquals de Minke de l’Atlantique Nord Est. Toutes ces propositions ont été refusées par vote à bulletin secret. La Norvège a essayé de soumettre une nouvelle proposition amendée ce matin, mais elle a également été rejetée. L’Union Européenne et les États-Unis ont rappelé que la Commission Baleinière Internationale était compétente pour la gestion des baleines. La prochaine réunion de la CBI est prévue en juillet 2000, en Australie.
La proposition d’inscription de la population australienne de Dugong (Dugong dugong) en annexe II a été adoptée. La proposition de transfert en annexe I du dauphin à museau court de la Mer Noire (Tursiops truncatus ponticus) n’a pas été acceptée car l’Europe devait s’abstenir, mais elle s’est trompée en votant …

La condition animale et la CITES: La Convention stipule que les animaux vivants doivent être “traités et expédiés de manière à réduire le plus possible le risque de blessure”. La délégation du Kenya a présenté un document se référant à un rapport établi par la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals traitant de l’expédition et de la mortalité des animaux pendant le transport, et a demandé une meilleure définition de l’expression “traités”. La Suisse s’est opposée à ce que la CITES s’intéresse à cette question. Le groupe de travail sur les transports du Comité pour les animaux a été chargé de formuler des recommandations pour la prochaine session.
La délégation du Kenya a également demandé à ce que l’expression “destinataires appropriés et acceptables” qui permet l’exportation d’animaux vivants inscrits aux annexes de la CITES soit mieux définie. Ce document a été élaboré suite à l’envoi de 30 éléphanteaux du Botswana vers l’Afrique du Sud, notamment pour des zoos. Les Parties se sont refusées à préciser une définition contraignante.

Viande de brousse: La CITES a formé un groupe de travail pour étudier l’ampleur et les conséquences du commerce de la viande de brousse. Aucun pays africain ne s’y est opposé. Ce marché a fait son apparition au cours de la dernière décennie. Il exerce une pression supplémentaire sur des espèces déjà menacées d’extinction comme le gorille (Gorilla gorilla), l’éléphant (Loxodonta africana), le mandrill (Mandrillus sphinx), le chimpanzé (Pan troglodytes) et le pangolin géant (Manis gigantea). Il est aussi dangereux pour les populations forestières, tels les Bantou ou les Pygmées, dont le gibier s’épuise ou fuit. Traditionnellement, la chasse est axée sur les petits mammifères. Le commerce de la viande de brousse, notamment à destination de l’Europe, est favorisé par le développement de l’exploitation forestière industrielle qui créée des routes, pistes et layons et ouvre ainsi des accès faciles aux braconniers. Les grumiers servent à acheminer de grandes quantités de gibier en dehors de la forêt.

Acajou (Swietenia macrophylla) et gaïac (Guaiacum sanctum): Lors de la dernière CITES, la proposition d’inscription en annexe II de l’acajou a été rejetée. Un groupe de travail informel avait été établi. Il est maintenant transformé en groupe formel, malgré les réticences du Brésil qui ne voit pas comment la CITES pourrait aider à la conservation de l’acajou. Les Pays-Bas ont proposé que ce groupe étudie la possibilité d’inscrire l’acajou en annexe II.
La proposition de transfert de l’annexe II à l’annexe I du gaîac a été retirée mais un groupe de travail a été formé.
Robin des Bois a distribué à chaque délégué un dossier sur le pau rosa (Aniba duckei). La France, à travers la Guyane Française, est un pays de l’aire de répartition de cet arbre menacé d’extinction utilisé en parfumerie. Robin des Bois mène campagne depuis 1997 pour qu’une proposition d’inscription en annexe II soit présentée et a reçu le soutien des utilisateurs comme Chanel et la Fédération Française des Industries de la Parfumerie. La prochaine session plénière de la CITES devrait se tenir en 2002 à Santiago du Chili.

Pour plus de renseignements sur les plantes, les crocodiles, le pangolin, le rhinocéros, la hyène brune, la vigogne, la perruche d’Ouvéa, les tortues, le crapaud vert du Sonora la tarentule de l’hémisphère Est et les autres, la délégation de Robin des Bois sera de retour lundi à Paris.