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Les cargos de déchets voyagent malgré la pandémie Covid-19

Italie-Tunisie : déchets ménagers et hospitaliers

En avril 2020, un porte-conteneurs a quitté Naples avec 282 boîtes en direction du port tunisien de Sousse. La cargaison était destinée à Soriplast dans la zone industrielle de Sidi Abdelhamid. Soriplast prétend être spécialisée dans le recyclage des plastiques usagés. Les conteneurs étaient bourrés d’ordures ménagères et de déchets hospitaliers. Le 13 novembre 2020, le directeur de l’Anged (Agence nationale de gestion des déchets) a été limogé par le chef du gouvernement tunisien, Hichem Mechichi. Selon le président de la Commission de la réforme administrative et de la lutte contre la corruption, le directeur de l’Anged n’est qu’un fusible, « des hauts fonctionnaires du ministère de l’Environnement sont impliqués dans ce crime ». Une information judiciaire est ouverte. Soriplast aurait signé un contrat d’importation de 120.000 tonnes de déchets en provenance d’Italie en contrepartie de 48 €/tonne. Comme le dit sur son site le média L’Economiste Maghrébin, ce contrat visait à transformer le pays d’Hannibal en dépotoir de Rome. 70 conteneurs restent sous scellés dans le port de Sousse. La Tunisie est en négociation avec l’Italie pour qu’ils soient retournés à l’envoyeur. On se croirait revenus à l’époque des déchets « jette set » quand à la fin des années 80, l’Italie jouait un rôle pivot dans ce type de trafic. La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination est entrée en vigueur en 1992. Elle devait mettre le holà à la sarabande des bateaux transportant des poubelles. Elle était désirée. Mais elle s’est au fil des années endormie dans son lit sous l’édredon des négligences, de la paperasserie et de la corruption.

Sousse, novembre 2020 © Tunisie Numérique

Monténégro-Espagne-Norvège : déchets de site pollué

Après un siècle de construction et de réparation navale, après le torpillage de l’ex-flotte yougoslave en 1944 et après le tremblement de terre de 1979, le chantier de réparation navale de Bijela est un des sites les plus pollués du monde maritime. C’est à Bijela que l’Erika en automne 1999 a été rafistolé avant de se casser en deux au large de la Bretagne en décembre. La conversion de ce site historique en plateforme de maintenance de yachts des grosses fortunes en Méditerranée est un programme phare de la Banque Mondiale. La filiale monténégrine de la société française Valgo, spécialisée dans l’assainissement des sites pollués, a été sélectionnée par la Banque Mondiale à l’issue d’un appel d’offres international. L’option du tri, de l’inertage et de l’éventuelle valorisation des déchets sur place ou à proximité a été dès le départ écartée par le gouvernement du Montenegro considéré comme le producteur des déchets. Une première livraison par voie maritime en Ukraine s’est soldée par un fiasco et des démêlés judiciaires. Les déchets en provenance du chantier naval de Bijela sont pour la plupart des produits de sablage, c’est-à-dire des déchets de peintures au plomb, au tributylétain et autres métaux et substances toxiques comme les PCB provenant du décapage des coques, des ponts, des citernes et des cales des navires en cours de rénovation. Les teneurs en toxiques des déchets reçus en Ukraine auraient été supérieures aux teneurs préalablement annoncées. En tout état de cause, il est déplorable que la Banque Mondiale et le secrétariat général de la Convention de Bâle ne se soient pas opposés à un transfert de déchets aussi dangereux vers l’Ukraine dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas connue pour ses compétences dans ce domaine. Dans un deuxième temps, courant 2019, 40.000 tonnes de déchets ont été expédiées en Andalousie (Espagne) à bord du Muzaffer Bey (pavillon Panama), du Marit et du Rose (Pays-Bas), du Luca (Antigua-et-Barbuda) et du Lady Nurgul (Panama). Après déchargement dans le port de Séville, les déchets du Monténégro ont été transportés par camions dans la décharge de Nerva près de Huelva. Ces arrivages massifs et successifs ont déclenché la colère des riverains et des associations locales et régionales. Elles sont excédées par la saturation et la gestion de ce qui est selon eux « les chiottes de l’Europe » et maintenant des Balkans. La Banque Mondiale n’en a que faire de ces protestations. Dans un rapport intermédiaire de juin 2020, elle assurait que le gouvernement espagnol allait autoriser un nouvel arrivage de 45.000 tonnes en Andalousie dès que le confinement Covid-19 serait levé. Il n’en est rien. L’Espagne est résolue à améliorer la gestion des déchets produits sur son territoire et ne tient pas du tout à accueillir une nouvelle salve de 40.000 tonnes de produits de sablage auxquels s’ajoutent des huiles contaminées et de l’amiante. Une nouvelle option est en vue. Tous les déchets seraient transportés par mer sur l’île de Langoya, au large du fjord d’Oslo en Norvège. Il y a des paradis fiscaux dans l’Union Européenne et dans l’Association Européenne de Libre-Echange et il y a aussi des paradis pour des déchets que le diable lui-même hésiterait à accepter en enfer. Sur l’île (15.000 habitants), les anciennes carrières de calcaire ont été fermées en 1985. Les cavités dont les fonds sont à 50 mètres sous le niveau de la mer se remplissent depuis 1994 de déchets de toutes sortes et de toutes origines, des liquides, des solides, des pulvérulents en provenance d’Allemagne, de Suède, du Danemark et d’autres pays européens.

France-Suède : CSR et déchets de bois

Les CSR (Combustibles Solides de Récupération) proviennent du broyage de la filière éco-mobilier. Ils contiennent des fragments de plastiques, de caoutchouc, de mousse de polyuréthane, des résidus de vernis, de colle et autres adjuvants provenant du mobilier et de la literie dont les populations se défont. Les cargos affrétés ont une capacité d’emport de 2000 à 3000 tonnes. Ils sont capables de se faufiler dans les fleuves côtiers et les fjords. Lorient et Brest figurent parmi les ports d’exportation. Par exemple, le Sydborg a quitté Brest en juillet 2020. Après 7 jours de mer, il est arrivé à Södertälje, une ville suédoise de 100.000 habitants. Les risques pour l’environnement marin de ce trafic ne sont pas négligeables. En mars 2020, un autre petit cargo parti d’Irlande en direction de la Suède avec 2000 tonnes de CSR s’est planté sur un récif au large de l’Ecosse. Il a été renfloué et vidé de sa cargaison. 30 tonnes de fuel sont parties à la mer. Le naufrage d’un cargo bourré de CSR serait une catastrophe majeure pour l’Atlantique Nord. Des millions de micro-déchets flottants partiraient à la dérive, empoisonneraient les poissons, les oiseaux et les mammifères marins. Le surplus atterrirait sur le littoral. La Suède dispose d’une quarantaine d’incinérateurs qualifiés de chaufferies collectives. La vapeur issue de la combustion des déchets alimente des réseaux urbains de chaleur. Les cheminées rejettent des dioxines et d’autres polluants toxiques. Les cendres volantes récupérées dans les fonds de chaudières sont des déchets dangereux. Chaque année, la Suède exporte environ 100.000 tonnes de cendres volantes sur l’île de Langoya en Norvège (cf. ci-dessus).

Des déchets en provenance de plateformes de broyage de bois issus des déchetteries, des activités économiques et des chantiers de BTP sont aussi chargés sur des cargos à destination de la Suède. Le trafic s’accentue depuis le début de l’année notamment depuis le port de Caen dans le Calvados.

 

Royaume-Uni-France : le deal du plutonium

Sans doute pas de deal sur la pêche avant le 31 décembre 2020. Le 1er janvier 2021 se dressera la falaise du Brexit dans les eaux britanniques. Les premières campagnes de pêche de l’année risquent d’être noires et amères pour les marins-pêcheurs et les armateurs de Bretagne, de Normandie et du nord de la France. Par contre, question plutonium, l’entente est parfaite et c’est le grand amour sans masque entre le Premier Ministre français et son homologue britannique. Venu de Barrow-in-Furness, le Pacific Egret a débarqué à Cherbourg le 24 novembre 2020 « quelques centaines de grammes de plutonium » selon le communiqué officiel. Le plutonium est le pire déchet qui soit. C’est le rebut du retraitement des combustibles nucléaires usagés, une pratique obsessionnelle et compulsive dont la France est à la fois la victime et l’agent de propagation. La France a un stock d’environ 50 tonnes de plutonium sous sa responsabilité, de quoi empoisonner tout l’hémisphère nord. Dans la bombe de Nagasaki, il y en avait 9 kilos. Mais la France en veut encore, elle est plutovorace. Orano, grossiste français en plutonium, souhaite prendre possession du stock anglais et incorporer en douce ce déchet dans les combustibles neufs des centrales nucléaires mondiales. Le Pacific Egret, pour la deuxième fois, a livré de quoi faire des essais préliminaires.

Pacific Egret © Michael Thomas

Le mystère du Georgios Alexios

Fin juin 2020, le Georgios Alexios a chargé au Havre sur le quai de l’horreur, le quai Citron (ex-Centre International de Traitement et de Recyclage des Ordures Nocives) 2350 tonnes de terres polluées. Le Georgios Alexios est ensuite remonté en Mer du Nord sans que sa destination finale soit à ce jour connue. L’hypothèse privilégiée est que ces terres polluées provenaient des chantiers d’excavation du Grand Paris après un transit dans une décharge de la zone industrialo-portuaire du Havre. A suivre !

Georgios Alexios quai Citron au Havre © DR