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L’Union européenne complice d’un armateur esclavagiste

L’Union européenne, via la Direction générale de la santé et de sécurité alimentaire, a approuvé pour l’exportation de son bétail le Nader A et le Janay, deux navires sous-normes qui accumulent les infractions techniques, sociales et environnementales. Derrière la société écran Abdin M enregistrée en Suisse et derrière la société écran Princess Maya Shipping entregistrée aux Iles Marshall, le véritable propriétaire de ces deux galères est AMJ Marine Services, 1195, Old Saida Road, Choueifat (Liban).

[1]Nader A, janvier 2021, Tenes (Algérie). © Tenes Maritime
En mer, le blanc masque souvent la rouille

Nader A (ex-Youzarsif H, ex-Uni K, ex-Vima Alfa, ex-Lem Alfa, ex-Duke, ex-Dana Iberia, ex-Commodore Clipper, ex-Hamburg, ex-Jan Kahrs). OMI 7611547. Ex-cargo polyvalent converti en 2013 à l’âge de 36 ans. Longueur 81 m. Construit en 1977 à Hambourg (Allemagne) par Norderwerft. 46 ans.
Détenu à Sète (France) en 2015 et 2016, à Midia (Roumanie) en 2017 et à Rasa (Croatie) en 2021. En mai 2017, il a été banni des ports du Mémorandum de Paris pour une durée de trois mois. Entre 2018 et 2022, il a cumulé 1 détention et 63 déficiences dans les ports d’Alger (Algérie), Aqaba (Jordanie), Alexandrie (Egypte), Midia (Roumanie), Rasa (Croatie) et Sète (France). Sa dernière position connue le 17 janvier 2023 est Famagouste (République turque de Chypre du Nord) en provenance de Misrata (Libye). Le 5 septembre 2022 en provenance de Sète, il a été refoulé d’Alger avec 787 bovins d’abattage à cause d’un litige portant sur 3 taurillons vaccinés contre la rhinotrachéite infectieuse bovine. Le 19 septembre de retour à Sète, il a été déclaré par l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) comme un foyer potentiel de fièvre aphteuse imposant des mesures radicales de désinfection.
Le Nader A est approuvé pour le transport de bétail par l’Union européenne jusqu’au 9 mars 2023.
Il a quitté Famagouste (République turque de Chypre du Nord) où il était arrivé le 17 janvier 2023 en provenance de Misrata (Libye) et il est attendu à Sète (France) ce lundi 20 février au soir.

[2]Janay à quai à Carthagène (Espagne), mars 2019. © Salvador Garcia Garcia

Janay (ex-Mara, ex-Justo). OMI 7015509. Ex-cargo polyvalent converti en 2011 à l’âge de 41 ans. Longueur 74 m. Construit en 1970 en Trondheim (Norvège) par Orens MV; rallongé en 1979 de 59 à 74 m. 53 ans. Le Janay est le recordman, toutes catégories confondues, d’infractions techniques, sociales et environnementales avec 132 déficiences entre 2019 et 2022. Il a été détenu à 18 reprises en 1998 à Rotterdam (Pays-Bas), en 2004 à Augusta (Italie), en 2005 à Koper (Slovénie), en 2007 à deux reprises à La Valette (Malte) puis à Rades (Tunisie), en 2008 de nouveau à Koper puis à Porto Nogaro (Italie), Catania (Italie), La Valette et Rijeka (Croatie), en 2009 à Monfalcone (Italie) et Alexandrie (Egypte), en 2010 à Mersin (Turquie), en 2013 et 2014 à Kalymnos (Grèce), en 2019 à Batumi (Georgie) et en 2021 à Midia (Roumanie). Il était approuvé par l’Union européenne jusqu’au 26 juillet 2022. Il a fait ses dernières escales dans des ports européens à Kalymnos (Grèce) et Sulina (Roumanie). Depuis il a fréquenté les ports non européens de Jeddah (Arabie Saoudite), Beyrouth (Liban), Digna (Soudan), Suez (Egypte), Port Saïd (Egypte). Sa dernière localisation le situe en mer Rouge à Suez (Egypte).

Derrière la société écran Amin Shipping enregistrée au Honduras, AMJ Marine Services est aussi le propriétaire multi défaillant de l’Onda. L’Onda fait partie des 106 navires sous-normes repérés par Robin des Bois dans le numéro 59 de “A la Casse” [3] paru en mai 2020:

Onda (ex-Trader, ex-Kuki Boy, ex-Elisabeth Boye). OMI 8912467. 33 ans. Longueur 77 m. Pavillon inconnu depuis 2018. Société de classification Det Norske Veritas/Germanischer Lloyd. Construit en 1990 à Soby (Danemark) par Soby M&S. Propriétaire Amin Shipping Co c/o AMJ Marine Services (Liban). Détenu en 2001 à Grundartangi (Islande), en 2002 à Aveiro (Portugal) et Glasgow (Ecosse, Royaume-Uni), en 2004 à Novorossiysk (Russie), en 2014 à La Rochelle (France) et Setubal (Portugal), en 2015 à deux reprises de nouveau à Novorossiysk, en 2016 à Chanea (Grèce) et en 2019 à Tin Can Island (Nigéria). Banni des ports européens en mars 2016 pour une durée de 3 mois.

[4]Elisabeth Boye (futur Onda), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe, France), février 2013 © Bertrand Gréaux

Banni dans les ports européens et ciblé comme navire à haut risque, l’Onda s’est replié à partir de 2017 en Afrique de l’Ouest. AMJ Marine Services pendant qu’il faisait des affaires en Méditerranée avec le bétail de l’Union européenne a multiplié les abandons d’équipages et les arriérés de salaires impayés en Afrique. D’abord avec cinq marins indiens en 2018 dans le port de Tiko au Cameroun. Sous les menaces et les intimidations d’AMJ Marine Services et malgré des contacts avec les consulats indiens au Cameroun et au Nigéria et le soutien de l’ITF (International Transport Workers’ Federation), les cinq marins indiens n’ont pas eu d’autre solution que de débarquer au bout de quelques mois.
Un nouvel équipage de sept hommes a été recruté par AMJ Marine Services. L’Onda s’est livré pendant quelques mois à des trafics inconnus et de nouveau l’équipage a été abandonné avec des arriérés de paiement, cette fois au mouillage en face de Douala. La pandémie de Covid 19 démarre alors. L’armateur justifie son inaction par les difficultés logistiques et se répand en promesses jamais tenues. Quatre marins originaires du Cameroun et de Sao Tomé et Principe restent à bord. L’ITF vient encore une fois à leur soutien. L’Onda n’a plus de société de classification ni d’assurance depuis trois à quatre ans. En février 2021, une fois de plus, les marins débarquent après avoir touché une petite partie de leurs arriérés de salaire. Bien que son statut officiel dans la base de données Equasis soit “en attente” laid-up) depuis 2020, l’Onda reprend ses trafics en Afrique de l’ouest avec un nouvel équipage. Il abandonne le pavillon du Togo pour celui du Guyana mais cette immatriculation est usurpée. Dans le cadre du Mémorandum d’Abuja, il a été inspecté dans les ports de Warri (Nigéria, 9 mars 2021), Takoradi (Ghana, 22 mars 2021) et Freetown (Sierra Leone, octobre 2021). 10 déficiences ont été relevées.
En décembre 2021, l’Onda est à nouveau au mouillage, cette fois dans la zone d’attente du port de Dakar (Sénégal). Il a des besoins urgents de réparations structurelles.
En février 2022, les inspecteurs sénégalais relèvent 22 déficiences dont l’indisponibilité des moyens de sauvetage et l’assignent à résidence. Autrement dit, l’Onda est en détention. Le port de Dakar refuse son remorquage et sa mise à quai dans un secteur protégé.
En juillet 2022, l’armateur libanais se dit en difficultés financières à cause de la réforme bancaire en cours au Liban. L’équipage de l’Onda est une nouvelle fois abandonné; quatre marins originaires du Cameroun, du Liban, du Nigéria et de Syrie restent à bord avec peu de choses à manger et beaucoup de salaires impayés. AMJ Marine Services dit vouloir vendre le navire pour les payer. Personne n’y croit, il a déjà fait le coup aux précédents équipages.

[5]12 août 2022, à bord de l’Onda. © ITF

Le 6 février 2023, la justice sénégalaise sollicitée par l’ITF et les marins de l’Onda autorise la saisie du navire aussi longtemps que l’armateur ne paiera pas les 84.000 US$ de salaires impayés. La prochaine étape pourrait être la vente aux enchères du navire qui en tout état de cause ne pourra pas avoir d’autre issue que la démolition.

Cet article est en avant-première de “A la Casse” n°68 qui sera publié demain.