« A la Trace » n°29 – le bulletin de la défaunation

30 mars 2021

A la Trace n°29 – avril, mai et juin 2020
990 évènements sourcés, accompagnés d’analyses,
de documents iconographiques, de cartes et d’archives historiques
182 pages (pdf), 11.6 Mo

« A la Trace 29 » réfléchit la contrebande et le braconnage qui ont sévi dans le monde entre avril, mai et juin 2020. Ce numéro est imprégné par la pandémie Covid-19. Contrebandiers et douaniers sont masqués. Plus d’une centaine d’évènements analysés et rapportés par Robin des Bois portent la marque Covid-19 dont quelques bravades comme le « festival du confinement » (et du braconnage) dans le Nagaland, la « nique à la Covid-19 » d’un notable au Brésil qui s’affiche en vidéo cuisinant un tatou d’une main avec un verre dans l’autre ou bien encore en Argentine la virée pour « vivre une aventure avec la nature » et rompre le confinement en compagnie d’enfants, de fusils et de 8 chiens de chasse (bilan : 6 guanacos braconnés).

Les effets de la pandémie sur le braconnage et le trafic d’espèces sauvages sont multiples.

Les circuits longs de contrebande internationale par voies aérienne et maritime ont commencé à subir les contrecoups de la paralysie logistique globale. Les filières sont en panne, faute de véhicules. Les planificateurs remettent à plus tard les livraisons et seuls des conteneurs frelatés partis courant mars avant l’imposition de l’immobilisme mondial et la rupture du commerce entre les pays exportateurs de ressources fauniques et les pays consommateurs sont partis cahin-caha à l’aventure. Quelques-uns sont sans doute arrivés à destination et sont encore planqués dans les zones portuaires s’ils contiennent des marchandises fauniques non périssables comme les bois de cerfs, les défenses d’éléphants, les os de félins. Le déstockage viendra quand le business et l’agitation reprendront. D’autres conteneurs aisément identifiables par les brigades canines ou même l’odorat humain ont été cueillis par les douanes.

Dans les pays immenses où le nord et le sud, l’est et l’ouest, sont séparés par des milliers de kilomètres reliés par un réseau complexe de rails, de routes et de voies d’eau, et barrés par des frontières intérieures, le trafic d’animaux vivants ou de leurs parties a lui aussi décéléré. Il est impossible de transporter par train ou par autocar des milliers de tortues quand les trains et les autocars ne circulent plus. Il est probable que, pour un certain nombre d’espèces maniables et transportables dans des sacs et des cageots, la Covid-19 puisse être considérée comme un répit sauf que dans certaines régions du monde comme le sud-est de l’Asie, les « stay at home order » et l’incapacité de se déplacer et d’être au contact avec ce qu’il reste de la nature ont encouragé l’achat coûte que coûte d’animaux sauvages de compagnie urbaine au premier rang desquels les oiseaux chanteurs et multicolores.

Les circuits courts de contrebande de l’ordre de grandeur de 100 à 1000 km ont connu un rebond dès la suspension des activités commerciales et industrielles ou leur mise sous cocon en mars/avril 2020. Des foules de gens ont quitté les villes pour se réfugier à la campagne. En temps normal, la tendance est à l’exode rural, en temps Covid, la renverse a été brutale et sur tous les continents, la surdensité humaine a exercé une pression sans précédent sur le tissu rural et les milieux naturels. Si à Paris on a pu assister à la fuite vers les campagnes de centaines de milliers d’habitants aisés dont les voitures étaient bourrées de vivres, dans le Madhya Pradesh par exemple, des millions de travailleurs, cousins, frères ou sœurs ou enfants, chassés des mégapoles par le chômage et par la peur ont débarqué pour la plupart les poches vides. Ces afflux de populations sur le temps long ont provoqué une pénurie alimentaire et l’angoisse de l’estomac vide. La Covid-19 a incontestablement provoqué l’augmentation du braconnage diffus à des fins de consommation personnelle ou de trafic commercial de proximité. Les pièges de toutes sortes y compris électriques et toxiques ont proliféré. Toute la faune sauvage en souffre d’abord et en meurt ensuite, des herbivores aux carnivores, du cerf au tigre, de la girafe au banteng, de l’orignal à l’ours. Tous les marchés sont fermés par des barrières de sécurité sauf le marché noir de la viande de brousse et de la viande de mer, y compris d’oiseaux marins. Dans ces temps Covid où les milieux ruraux deviennent des refuges pour les expatriés urbains, l’intolérance vis-à-vis de la faune sauvage est exacerbée. Le lynchage des léopards était arrivé en quelques années à un niveau de raffinement et de fréquence intolérable, il a encore gravi quelques échelons supplémentaires en ce trimestre de l’année 2020. De même, en Europe, la hantise de la Covid-19 n’a pas gommé la hantise des loups et des ours. Les randonnées et autres activités de pleine nature ont été interdites en France et dans d’autres pays mais les loups, les ours et les rapaces continuent à tomber sous les balles de quelques « justiciers » anonymes.

La fermeture des tribunaux et le respect des gestes barrières permettent à beaucoup de braconniers de par le monde d’échapper à la détention préventive et d’être renvoyés chez eux jusqu’à ce que les affaires judiciaires reprennent leur cours. Le sanitaire prime sur le judiciaire, à l’exception de la Chine où les procès sans public mais retransmis vont bon train.

Bien entendu, comme pour d’autres substances animales, d’opportunes rumeurs ont fait courir le bruit que la corne de rhinocéros broyée était susceptible de prévenir ou guérir la Covid-19 et le braconnage des rhinocéros est reparti à la hausse en Inde et en Afrique australe hors Afrique du Sud.

L’activité des braconniers dans les parcs et autres aires protégées est facilitée par l’absence de touristes qui en temps normal sont en quelque sorte les auxiliaires des rangers en leur signalant des présences suspectes ou des cadavres cachés de gros mammifères.

Comme le résume le professeur Darimont, expert en faune sauvage de l’Université de Victoria en Colombie-Britannique (Canada) : « dans ces temps d’incertitude, les gens se lancent dans la chasse et la pêche illégales. En fait, pendant les séismes économiques, en particulier pendant la Dépression des années 30, il y a une recrudescence du braconnage. »


Dès le 7 février 2020, la South China Agricultural University a jeté en pâture le pangolin en en faisant le vecteur probable de la pandémie Covid-19. Cette hypothèse qui s’effiloche au fil des mois a été reprise en chœur par la presse du monde entier qui en a fait un fait établi ou presque. Comme pour se racheter de la bévue et éviter des représailles sur les pangolins frappés par la malédiction, la presse chinoise fait depuis acte de repentance. Les articles se multiplient sur les sauvetages attendrissants de pangolins égarés par des agriculteurs, des instituteurs, des automobilistes ou des forces de l’ordre, sur les émerveillements des témoins et l’affectueuse remise en liberté des rescapés.


« A la Trace » est réalisé par l’ONG Robin des Bois depuis 2013 avec le soutien de la Fondation Brigitte Bardot, de la Fondation Franz Weber et du ministère de la transition écologique et solidaire français.

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https://robindesbois.org/wp-content/uploads/A_LA_TRACE_29.pdf

 

 

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