Seveso Boulevard

10 déc. 2001

Robin des Bois a assisté ou participé à 8 tables rondes régionales sur les risques industriels à Caen, Rouen, Lille, Nantes, Martigues, Paris, Toulouse et Lyon. 3 de ses représentants assisteront au Débat National mardi 11 décembre 2001. Robin des Bois sera entendu le 18 décembre par la Commission d’Enquête de l’Assemblée Nationale sur les risques industriels. A ce stade, suivent des constats et des pistes de travail.

Études de dangers : Elles ne prennent pas en compte les scénarios majeurs et renvoient au public, et au personnel des sites une image réductrice et sélective des risques. En cas d’incendie, le risque induit par les sources radioactives est omis, de même que le risque pyralène des installations électriques. Les scénarios d’explosion et d’incendie des stockages gaziers et pétroliers sont sous-dimensionnés. Les risques périphériques – stockages, appontements, réseaux routiers et ferroviaires internes, décharges et débarras internes, canalisations souterraines – sont sous-estimés.
=>Les études de dangers doivent être loyales, complètes, intégrer la pollution toxique ou pyrotechnique des sols, sous-sols, mares, lagunes, et eaux souterraines. Ces pollutions doivent dans certaines circonstances être considérées comme d’éventuels facteurs déclenchant ou aggravant les accidents.

Information du public : Avant l’accident, l’information préventive est générique pour tous les types de risques, contradictoire, difficilement applicable, voire dangereuse pour les victimes. L’information est invisible, inaudible et non-actualisée.
Après l’accident, les radios de service public réquisitionnées par les préfectures diffusent par la voix des journalistes des informations sporadiques et sélectionnées qui ne rendent pas compte de la diversité des dangers et des risques de sur-accidents.
=> L’information préventive doit être fixe et spectaculaire sur les murs d’enceinte des usines, sur les boulevards industriels, et dans l’ensemble des bâtiments, immeubles et espaces soumis à des risques explosifs, thermiques et toxiques. Les supports de l’information doivent être multiples et renouvelés : bandes dessinées, films, affiches, exercices, rencontres entre riverains, personnels des usines et services de secours.
=> En gestion de crise, la cellule placée sous l’autorité du préfet ou du sous-préfet visant à organiser les secours et à informer le public doit intégrer des représentants des riverains et des associations environnementales. Les déminages du port du Havre et la catastrophe de Toulouse ont montré que les journalistes et les rédactions soumis au “ code d’alerte national ” (décret du 11 mai 1990) pouvaient avoir des difficultés à diffuser les informations officieuses. Les détenteurs et rédacteurs des informations officielles, à savoir les services de l’État, devraient utiliser leurs propres ressources pour diffuser dans toutes les radios locales privées ou publiques les consignes et les communiqués.

Urbanisation : Nous sommes tous “périmètrés” à un moment ou à un autre en train, voiture, bateau et même en avion à travers, à côté, ou au dessus d’une usine Seveso ou d’une grappe d’usines Seveso. Les dérogations s’accélèrent, permettant aux flux de transport individuel, collectif ou de marchandises de se rapprocher des usines à risques.
L’effet Bhopal est en route. Les périmètres Seveso sont occupés par des multiplex de cinéma et de sports, des aires d’accueil des gens du voyage, des parkings à camions, des activités non chimiques, des hôtels, des maisons de retraite et des jeunes, des établissements hospitaliers, scolaires et pénitentiaires. L’exemple de Toulouse est édifiant: qui a décidé d’installer à côté de la plate-forme chimique le dépôt de bus de la communauté urbaine, au risque -vécu- de voir les bus dévastés alors que la disponibilité des moyens de transport collectifs peut être une des modalités de gestion d’un accident majeur ?
Quant aux riverains des sites, la tendance est de leur promettre un avenir radieux, dans des abris fortifiés, orientés, protégés avec quelque part l’idée de leur faire accepter et assumer le risque. Ces dispositions constructives pourraient être appliquées au bâti existant et surtout aux nouvelles implantations selon l’orientation défendue par Mme Lienemann, Secrétaire d’État au logement.
=>Le développement de cette architecture sécuritaire dans les franges des usines créerait des fractures Seveso et encouragerait la ségrégation urbaine, à l’encontre de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain. Il est déjà observé autour des établissements à risques une concentration des résidents à revenus modestes. Le scandale des permis de construire et des équipements collectifs qui densifient les zones à risques, et piègent les usagers dans des nasses mortelles doit être dénoncé et réduit. Les responsabilités multiples des comités, commissions départementales et conseils d’administration, des élus, des Directions Départementales de l’Équipement, des préfets et des ministères de tutelle (Santé, Justice, Transports, Éducation Nationale …) doivent être clairement établies avant l’accident et mises en cause après l’accident. La traçabilité des responsabilités doit être mémorisée.

Le regard intérieur : Le CHSCT et autres institutions représentatives du personnel ne sont pas pleinement consultés ou entendus. Des fossés existent aussi entre les salariés organiques et les salariés intérimaires. Ces derniers sont le plus souvent non qualifiés, parfois illettrés, ou très faibles dans l’apprentissage de la langue nationale. On assiste progressivement aux phénomènes d’internationalisation et de sous-qualification observés sur les cargos battant pavillon de complaisance.
Les sous-traitants s’activent dans leur secteur, et prennent parfois des initiatives malheureuses qui ne correspondent pas à la culture d’entreprise. C’est ainsi que la société Brezillon, filiale de Bouygues qui sous-traite pour Total Fina Elf le traitement des déchets de l’Erika a provoqué en octobre 2001 à la suite de bidouillages des débuts d’incendie avec flammes à l’intérieur de la raffinerie de Donges, l’une des principales usines à risques des Pays-de-Loire.
=> Un décloisonnement apparaît donc nécessaire entre les différentes catégories de personnels et les différents ateliers, parfois fort éloignés les uns des autres, comme les hameaux dispersés d’un même village. Un effort d’intégration avec des procédures et des consignes écrites en plusieurs langues doit être réalisé.

Nucléaire et Seveso : Seveso II prévoit que les stockages chimiques des installations nucléaires peuvent être assujettis. Le surgénérateur de Creys-Malville et l’usine de retraitement de la Hague étaient, entre autres, ciblés. La transposition dans le droit français de la directive Seveso II exclut pour le moment cette possibilité. L’obstacle principal pour les opérateurs concernés (Cogema et EDF) est d’accepter le principe d’inconstructibilité ou de restriction d’usage dans les périmètres les plus exposés.
=>Le nucléaire a souvent été cité dans le cadre des débats comme un exemple à suivre en terme de fréquence des inspections, d’inventaire, de hiérarchisation et de retour d’expérience des incidents ou accidents. Les passerelles entre la culture de sûreté nucléaire et la culture de sûreté chimique n’existent pas. La directive Seveso doit en être une.

Les autres oubliés : Les disparités de traitement entre Seveso seuil haut, Seveso seuil bas et quasi Seveso ne facilitent pas la perception des dangers par le public et les personnels. Les silos et les installations de réfrigération à l’ammoniac, comme les gares de triages, les installations portuaires maritimes et fluviales et les canalisations souterraines ne sont pas concernées. C’est pourquoi le gazoduc Norfra qui vient de Norvège débouche à Dunkerque entre 2 sites Seveso, à 1 mètre de profondeur, mais n’est pas listé. C’est pourquoi Port 2000 au Havre, dans l’inconscience totale des risques, pourrait se construire à l’instigation du Ministère des Transports dans le périmètre de boil over du stockage pétrolier stratégique de la CIM et à la lisière de la zone léthale.
=> Les pouvoirs publics font semblant de prêter l’oreille au slogan des sinistrés de Toulouse, mais ils sont en train de préparer activement les catastrophes de demain. Robin des Bois dénonce l’absence d’étude de dangers relative à Port 2000 ainsi que les carences en matière de prévention et d’information sur les transports et les stockages aériens ou souterrains de gaz naturel et liquéfié.

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