Les munitions abandonnées sur le sol français par les belligérants des trois dernières guerres sont des déchets industriels en manque de filière. Elles sont soumises à des découvertes inopinées, des stockages confus, à des centres de destruction très éloignés des centres de “production”, et à des transferts inattendus – c’est ainsi qu’on retrouve des bombes dans les déchetteries, des grenades dans des sacs de patates originaires du nord de la France, un obus dans un lot de sable marin livré à un centre équestre -. La loi du silence s’applique à ces objets et substances. Il est impossible de connaître l’état des stocks des ex-munitions chimiques et dans le même temps des Armes de Destruction Massive sont quasiment abandonnées en plein champ, comme à Mars-la-Tour (54), en contradiction avec la Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage, de l’emploi des armes chimiques, et sur leur destruction. Ces abandons exposent l’environnement et la sécurité publique à des risques de pollution, de vols et de chantages. La construction et même la localisation d’une usine de destruction de ce type de munitions est toujours différée. Avant leur libération dans le civil, les emprises militaires désaffectées ne font l’objet que d’une dépollution de surface et de sub-surface jusqu’à 50 cm de profondeur, laissant aux promoteurs la responsabilité de la dépollution en sous-sol.
Les munitions chimiques dont le mode d’action est l’empoisonnement des populations civiles ou militaires, et les munitions conventionnelles dont le mode d’action est la destruction physique des personnes et des biens sont toutes des sources de pollution de l’air, des sols et des sédiments aquatiques. Les armes chimiques sont des armes pesticides, et les matières explosives se dégradent en DNOC (DiNitroOrthoCresol), un herbicide toxique connu depuis 1930 et interdit en Europe depuis 2000.
Les ouvriers de travaux publics, les agriculteurs, et les marins-pêcheurs sont les corporations les plus exposées aux vestiges de guerre. Dans les forêts, les jardins, sur les plages, au bord des rivières, les familles et les enfants sont les principaux acteurs de la remise à jour. Les travaux de dragage et d’extension portuaire révèlent des réservoirs pyrotechniques. Sur le chantier de Port 2000 au Havre, 60 munitions ont été relocalisées ou aspirées par les engins de dragage, dont des bombes françaises et anglaises, y compris une Tall Boy, la plus grosse bombe jamais utilisée sur un champ de bataille en Occident. Comme ces 60 cibles ont été relevées après que les constats d’achèvement des opérations de déminage aient été rendus par le Ministère de la Défense, elles n’ont fait l’objet d’aucune procédure d’alerte et d’évacuation auprès des habitants du Havre ou des usagers du port ! Ces agrégats de vestiges sous-marins menacent particulièrement les ports de la façade atlantique et le linéaire côtier entre Menton et Toulon; ces configurations sont explosives, elles mêlent souvent usines Seveso, bombes et tourisme.
Longtemps après, les guerres continuent à menacer et à tuer. Dans les régions marquées, Nord-Pas-de-Calais, Lorraine, Picardie, Normandie, Bretagne, Pays-de-la-Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur, il est souhaitable que plus d’informations pédagogiques soient distribuées dans le cadre de la gestion des déchets, sur le littoral, avant les chantiers, dans les milieux agricoles et scolaires. Les conditions de collecte, de transit, de stockage et de destruction des munitions explosives et chimiques imposent des investissements techniques, fonciers et financiers toujours reportés.150 démineurs récoltent, bon an, mal an, 300 t de munitions non explosées. Les pertes humaines ou les mutilations sont régulières parmi ce corps d’élite et chez les particuliers, inventeurs fortuits ou collectionneurs maniaques de vestiges de guerre.
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