67 naufragés sur les quais

11 mai 2001

Certains cargos ne sont pas seulement en mauvais état, couleur fleur de rouille ou cache-misère. Ils sont aussi le lieu de travail et le domicile de travailleurs expatriés, tenus en laisse faute d’argent et de visas.

Ces gens du voyage, nouveaux exclus, sont coincés sur les quais et dépendent pour leur survie des bonnes volontés locales qui n’ont pas toujours les moyens d’accomplir leur mission dans la continuité. Au fil des semaines et des mois, quand la routine s’installe, l’isolement des hommes s’aggrave et aussi leur difficulté à vivre ensemble, sur un lieu unique, mal entretenu, une sorte de prison à quai où des hommes de cultures, de religions, et d’horizons divers sont condamnés à vivre dans l’oubli et parfois le conflit.

Aujourd’hui dans les ports français des navires sont immobilisés avec à leur bord des dizaines d’hommes, saisis et immobilisés, comme du matériel. C’est le cas de 3 cargos à Rouen et à Sète.

Le White Clipper, ex Conti-Rose , a changé de nom en mer. Dégradé et sans propriétaire identifié, dépourvu d’assurances et de société de classification, le White Clipper bat pavillon de Sao Tomé, une petite “république” insulaire d’Afrique centrale qui héberge une centaine de cargos en mauvais état et qui n’a pas de représentation diplomatique en France. 16 ukrainiens sont à bord.

Le Florenz, dont l’armateur suisse est enregistré à Lugano, est immobilisé depuis début janvier. Abonné aux détentions pour défauts techniques dans les ports d’Europe (8 détentions entre 1998 et août 1999, dont un arrêt d’un mois à Anvers pour 60 déficiences), il a quitté les eaux européennes en 2000. Mais son dernier voyage entre Port-Gentil (Gabon), Bata (Guinée Équatoriale), Kribi et Douala (Cameroun), et Sète lui a été fatal. Des billes de bois – le Florenz est un grumier – se sont désarrimées pendant le voyage; dans des conditions difficiles – nuit et tempête – il a fallu ressaisir les grumes, à la lumière de quelques lampes de poche; un travail très dangereux pour l’équipage inexpérimenté, sous-équipé et sous-dimensionné. Initialement immobilisé pour des raisons techniques, le Florenz fait désormais l’objet d’une saisie conservatoire. En attendant la vente qui n’interviendra pas avant l’automne, l’équipage non-payé fait en quelque sorte partie des meubles. 16 matelots de nationalités camerounaise, congolaise, ghanéenne, croate et russe sont confinés à bord du Florenz, pavillon panaméen, encadrés par 6 officiers grecs.

Le Vasiliy Belokonenko est saisi à Sète depuis février 2001, pour des créances globales de 100.000 dollars. 29 marins ukrainiens dont 3 femmes n’ont pas été payés depuis 8 mois. Un officier s’est suicidé à Pâques. Selon les bruits de quai, son corps serait dans une chambre froide du navire.

Et le gouvernement français dans tout cela ? Il tente de renvoyer chez eux les marins du Florenz avec un pécule de 2000 dollars, le même tarif que pour les marins pakistanais du Han en décembre 2000. Ce genre d’obole, accompagnée d’une confiscation des passeports et d’une reconduite à Roissy pour prendre le premier avion vers leur pays d’origine, est parfois saluée comme un progrès social. Certains marins préfèrent d’ailleurs tirer une croix sur leur passeport et l’obole pour tenter la chance sur le territoire français. C’est en fait un marché de dupes imposé, et qui permet de continuer à utiliser une main-d’oeuvre internationale bon marché pour exporter du ciment, du blé, du sucre fabriqués en France par une main-d’oeuvre protégée. La protection sociale s’arrête au bord du quai.

Sources: visite de terrain/”L’Hérault du Jour”/”Paris Normandie”/CGT Marine-J.P Hellequin.

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