Avis de marées noires sur l’océan mondial

10 sept. 2020

Alors que la Marine française colmate des fissures sur l’épave avant du Tanio (1980) au large de la Bretagne, les marées noires ou les risques de marées noires se multiplient. La pandémie de Covid-19 n’est pas étrangère à cette résurgence. Les équipages ne sont plus relevés. Confinés dans leurs lieux de travail, ils sont surmenés, coupés du monde et déprimés. Le commandant indien du Wakashio qui s’est échoué sur l’Ile Maurice était à bord depuis un an et d’autres membres de l’équipage depuis 9 mois. La maintenance minimale des navires marchands est aussi différée. Les conjonctures politiques sont d’autres facteurs aggravants à l’exemple de stockages flottants d’hydrocarbures qui en temps de paix “nourrissent” des tankers venus à vide du monde entier.

 

New Diamond, Sri Lanka, golfe du Bengale, océan Indien

 

New Diamond. Photo Indian Coast Guard

L’Europe est partie prenante. L’armateur New Shipping Ltd-Lib est grec. C’est une filiale du groupe familial Polembros. Ils sont tous les deux domiciliés au 57a avenue Poseidon(os) au Pirée. Le monstre de 333 m de long et de 60 m de large transporte 270.000 tonnes de pétrole brut. Le New Diamond venait du Koweït et se dirigeait sur Paradip, Etat d’Odisha (Inde).

Il est en feu depuis le 3 septembre au large de la côte est du Sri Lanka. Une chaudière a explosé dans le compartiment machines et tué un mécanicien philippin. Le feu a dévoré tout l’arrière du pétrolier. Une flottille des marines sri-lankaise et indienne, 2 unités de la marine russe, des remorqueurs et autres navires de lutte contre les incendies ont escorté et arrosé l’épave. Le New Diamond était alors à environ 70 km des côtes. L’état-major, 5 navigants grecs, et les soutiers survivants, 23 philippins, ont été évacués à terre.

Le 6 septembre, après avoir été tiré vers le large par un remorqueur sri lankais profitant d’une mer calme, il était à 75 km des côtes.

Le 7 septembre, l’épave poussée par des vents contraires est revenue à 60 km des côtes. Après un repli trompeur et une déclaration prématurée de son extinction, le feu a repris le 7 septembre en se rapprochant des citernes de pétrole brut. Il semble à nouveau circonscrit mais rien n’est définitivement joué. Les feux couvants sont traîtres. Une fissure déchire la coque au niveau des machines. Une partie des carburants de propulsion s’est répandue en mer avec les eaux résiduelles d’extinction.

Aujourd’hui 10 septembre, le porte-parole de la Marine sri lankaise redit que les fumées et flammes sur le New Diamond et autour ne sont plus visibles ou perceptibles. Une équipe de trois experts est montée à bord pour confirmer ce diagnostic. Le New Diamond traîne dans son sillage un panache de carburant long d’1 km. Il continue à être remorqué vers le large et se trouve à environ 76 km des côtes. Une marée noire globale serait catastrophique pour le golfe du Bengale et les pays riverains, en premier lieu le Sri Lanka et l’Inde. Le Bangladesh, la Birmanie, la Thaïlande et les îles du nord-ouest de l’Indonésie pourraient aussi être menacés.

Les sauveteurs n’affichent pas une stratégie positive de mise en sécurité. Ils continuent à éloigner le pétrolier des côtes, un réflexe courant dans ce genre de crise. La doctrine de l’abri refuge où le pétrolier accidenté pourrait dans les meilleures conditions possibles être allégé ne semble pas prioritaire. Le syndrome de la patate chaude a encore frappé. Selon le code ISM (International Safety Management) pour la gestion de la sécurité et de l’exploitation des navires en mer, l’armateur grec doit être en première ligne de l’opération de sauvetage. Il a missionné Smit Salvage Singapore pour évaluer les différentes options et assister le New Diamond avec des remorqueurs de forte puissance; l’un d’eux vient de quitter l’Ile Maurice où il a remorqué en vue de son sabordage à 8 milles des côtes la partie avant du Wakashio (cf. ci-dessous).

Quand il s’agit de se débarrasser de ses pétroliers et vraquiers, l’armateur grec New Shipping Ltd-Lib fait preuve d’une grande réactivité et les envoie alternativement pour démolition au Pakistan ou au Bangladesh selon les disponibilités des chantiers et les variations du cours de la ferraille.

La Zone Economique Exclusive du Sri Lanka est empruntée par l’autoroute maritime qui relie le Moyen-Orient, l’Inde, la Chine, le Japon et les autres pays d’Asie. Le Sri Lanka ne dispose pas de l’équivalent d’un plan Polmar. Sachant que selon un tweet du président de la République française deux semaines après l’échouement du Wakashio sur l’Ile Maurice “il y a urgence à agir lorsque la biodiversité est en péril”, il est urgent que la France se rapproche du Sri Lanka pour le faire bénéficier de son retour d’expérience accumulé depuis l’échouement et le naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978 (227.000 tonnes). Les concombres de mer, les tortues marines, les mammifères marins, les requins et les autres espèces protégées au large du Sri Lanka sont sous la menace permanente des marées noires ou des dégazages. Il s’agit aussi de protéger les activités de pêche artisanale et de défendre les populations littorales de l’entrée par effraction sur leur territoire du pétrole brut produit au Moyen-Orient et destiné à l’Inde.

 

Safer, Yémen, mer Rouge

 

Transbordement de pétrole du Safer (à droite) sur le Tokiwa Maru, 21 avril 1988.
Collection Auke Visser.

Robin des Bois a évoqué le risque Safer (ex-Esso Japan) dans “A la Casse” n°59 (pdf) paru en mai 2020. Cet ex-super tanker âgé de 44 ans a été converti en 1987 en stockage flottant FSO (Floating Storage and Offloading unit). Son dernier propriétaire officiel depuis 1986 était la Yemen Exploration Co Ltd basée à Dallas (Texas, Etats-Unis). Il était exploité au large du terminal yéménite de Ras Isa jusqu’à la prise de contrôle de la région par la rébellion houthiste en mars 2015. Le Safer est resté depuis sans aucune maintenance avec dans ses citernes une cargaison estimée à 1,14 million de barils de pétrole brut léger (150.000 tonnes). C’est l’ONG Conflict and Environment Observatory qui a sonné l’alerte. Depuis 2018, il suscite les inquiétudes de la communauté internationale. Son état de corrosion, les vapeurs explosives qui s’accumulent dans les citernes, le délabrement général, la perte en mer d’équipements vétustes, sont autant de facteurs de pré alerte. La mer Rouge est exposée à une marée noire dramatique. Le terminal de Ras Isa est situé à côté de l’île de Kamaran dont les mangroves, les récifs coralliens, l’exceptionnelle biodiversité aquatique en font une candidate naturelle à la liste des aires marines protégées de la mer Rouge et du Golfe d’Aden. En juillet 2019, les rebelles houthistes ont interdit l’accès au Safer d’experts désignés par l’ONU (Organisation des Nations Unies) qui avaient pour mission d’établir un diagnostic précis et un protocole de mise en sécurité. Après l’explosion du nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, les inquiétudes internationales sur la situation imprévisible du Safer, sur sa vulnérabilité structurelle et sur son exposition aux risques terroristes ont redoublé. Une effervescence diplomatique s’agite autour du vieux pétrolier qui aurait dû depuis une ou deux décennies être retiré de toute exploitation et démoli.

« L’OMI (Organisation Maritime Internationale) travaille de manière proactive sur la planification d’urgence et nous espérons que les efforts internationaux réussiront à ouvrir la voie pour que l’état du FSO Safer puisse être évalué et que les mesures nécessaires soient prises afin de prévenir un déversement d’hydrocarbures », a déclaré à la mi-août Patricia Charlebois, directrice adjointe de la Sous-division de l’application des conventions internationales à l’OMI et notamment de la Convention Marpol pour la prévention de la pollution par les navires. « En matière de déversements d’hydrocarbures, mieux vaut prévenir que guérir. Toutefois, si ces efforts de prévention devaient échouer, nous voulons nous assurer que des mesures de préparation adéquates sont en place », a-t-elle ajouté. Autrement dit l’OMI souhaite que des dispositifs anti pollution soient prépositionnés dans cette zone politiquement et écologiquement sensible en vue de remédier le plus efficacement possible à un déversement massif de pétrole brut.

Nabarima, Venezuela, mer des Caraïbes

 

Nabarima

Le Nabarima est un stockage flottant FSO appartenant à Petróleos de Venezuela SA (PDVSA). Long de 264 m, large de 52 m, construit en 2005, il n’a pas de motorisation. Depuis 2015, il est ancré en permanence dans le champ pétrolier offshore de Corocoro dans le golfe de Paria partagé entre le Venezuela et l’archipel de Trinidad et Tobago. Le Nabarima est exploité par la compagnie d’Etat vénézuélienne conjointement avec la compagnie italienne ENI (Ente Nazionale Idrocarburi). Fin août 2020, Eudis Girot, président de la FUTPV (Federación Unitaria de Trabajadores del Petróleo del Venezuela) lance l’alerte. Le FSO est dans un état alarmant. Une citerne de ballast s’est percée et l’eau a inondé les compartiments techniques sur une hauteur de 1,50 m. La FUTPV met en cause la maintenance à bord réalisée, selon elle, par une main d’œuvre incompétente. Le Nabarima a perdu l’usage de ses pompes et souffre d’une légère gîte. Il a aussi perdu son autonomie en électricité. 173.000 tonnes de pétrole brut sont stockées à bord depuis plus d’un an.

L’option la plus favorable serait d’alléger in situ le Nabarima. Mais le FSO vénézuélien est lui aussi pris en otage par la politique et par l’embargo des Etats-Unis sur le secteur pétrolier du Venezuela en vigueur depuis 2017. L’intervention de compagnies internationales susceptibles d’organiser le transbordement de la cargaison à risques, le recours à des tankers navettes battant pavillon étranger et la vente à l’export de la cargaison se heurtent aux décisions du président Trump. Le 6 septembre, l’ONG Fishermen and Friends of the Sea basée à Trinidad & Tobago a appelé au secours l’Union Européenne et le gouvernement italien pour qu’ils tentent de débloquer la situation.

Le Venezuela et Trinidad & Tobago sont liés par un accord bilatéral pour mettre en œuvre un plan d’urgence contre les marées noires. Il serait inopérant face au naufrage du Nabarima. Dans cette éventualité, le golfe de Paria qui héberge lui aussi une faune extraordinaire et des activités de pêche serait condamné et les eaux de la mer des Caraïbes, du Surinam, du Guyana, de la Guyane française et du nord du Brésil seraient aussi exposées à la menace.

Voir aussi au sujet de la marée noire ayant touché les côtes du Brésil à partir d’août 2019 “La marée noire anonyme“, 19 décembre 2019.

 

Wakashio, Ile Maurice, océan Indien

 

Wakashio. Photo Le Mauricien

La navette de minerai de fer entre le Brésil et la Chine est une galère. Chargé de 260.000 tonnes de minerai et de 3000 tonnes de fioul de propulsion, le Stellar Daisy a coulé dans l’Atlantique sud en 2017. 22 marins ont péri en mer. En juin 2020, le Stellar Banner a été torpillé par la Marine Brésilienne après son échouement sur un banc de sable à la sortie du port de Ponta da Madeira après l’allègement de sa cargaison et le pompage du gros de son fioul de propulsion.

Le 25 juillet 2020, l’Ile Maurice a été frappée à son tour. L’échouement du Wakashio se dirigeant à vide de minerai vers le Brésil en provenance du port chinois de Lianyungang mais à plein de fioul de propulsion a provoqué la dévastation d’une aire protégée, un jardin corallien de 400 hectares peuplé d’éponges, de concombres de mer, bordé par des mangroves. Au moins 1000 tonnes de fioul sont parties à la mer. Même les papillons sont en berne. L’équipage du Wakashio a été évacué sain et sauf au début de la crise mais le naufrage a fait 3 morts et un disparu le 1er septembre quand le petit remorqueur Sir Gaetan a coulé après avoir été heurté par la barge de résidus de fioul qu’il remorquait et ramenait à Port Louis. Trois jours avant le naufrage du Sir Gaetan, 40 dauphins d’Electre au moins se sont échoués dans le lagon sinistré par le Wakashio.

Ce n’est pas la première fois que l’Ile Maurice est le théâtre d’accidents maritimes. En août 2011, le vraquier Panaméen Angel 1 s’échoue sur les récifs de Poudre d’Or avec sa cargaison de 30.000 tonnes de riz et 900 tonnes de fioul de propulsion. Désenclavé et partiellement vidé de sa cargaison et de son carburant, il est sabordé au large. En juillet 2013, le porte-conteneurs Hansa Brandenburg victime d’un incendie au cours de son trajet Singapour-Durban, trouve refuge à Port Louis. Le Hansa Brandenburg a été dirigé pour démolition au Pakistan 6 mois plus tard, le sort de la cargaison calcinée et des eaux d’extinction polluées n’est pas connu. En juin 2016, le vraquier Benita battant pavillon du Libéria s’échoue sur la plage du Bouchon au sud de l’île suite à une bagarre dans l’équipage multinational de marins philippins et taiwanais. 400 à 500 tonnes de fioul de propulsion s’écoulent des citernes fissurées et souillent le lagon, les rochers, les mangroves, les zones de pêche et les casiers à homards. Le navire est libéré par la compagnie grecque de sauvetage maritime Five Oceans Salvage un mois plus tard. Elle est aussi chargée d’acheminer le Benita vers les chantiers de démolition d’Alang, Inde. Les fissures du vraquier ont été rafistolées à la va-vite. Fragilisé, il n’atteindra jamais sa destination finale: 6 jours après avoir entamé son dernier voyage, il sombre à 175 km des côtes mauriciennes.

Après la catastrophe du Benita en 2016, des voix se sont élevées sur l’Ile Maurice pour réclamer la mise en œuvre d’un plan de prévention des marées noires et la mise sur pied d’une équipe d’intervention. L’appel n’a pas vraiment été suivi d’effet. Le ministre de la Pêche s’est empressé de déclarer le 26 juillet 2020: “C’est la première fois que nous sommes confrontés à une catastrophe pareille et nous ne sommes pas suffisamment équipés pour traiter ce problème”. Le 29 août, une marche de protestation rassemble à Port Louis des milliers de manifestants qui dénoncent la gestion de la catastrophe et le manque de réactivité du gouvernement mauricien. L’île de la Réunion est exposée aux mêmes menaces que l’Ile Maurice, elle en est distante de 200 km. La France et l’Ile Maurice seraient bien inspirées de prendre définitivement conscience des risques que le trafic maritime et les cargos géants transportant des matières dangereuses font peser sur l’environnement marin et l’économie locale. Les deux pays se doivent de mutualiser leurs moyens juridiques et diplomatiques et de développer leurs moyens techniques pour verrouiller les pirates des mers.

 

 

 

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