Un nouvel épisode de grippe aviaire sévit dans le sud-ouest de la France. L’éradication de l’épizootie se traite comme d’habitude par la mise à mort à la hâte d’innombrables palmipèdes. L’ordre de grandeur est d’un million de victimes.
Benjamin Rabier (1864 – 1939), Deux canards (vers 1910 – 1919)
Une plateforme improvisée dans l’urgence sanitaire est en opération depuis quelques jours à Pomarez, « la Mecque du foie gras », dans les Landes. Elle a été montée dans l’emprise de l’entreprise Trémond, un camionneur spécialisé dans le transport de canards dans tous leurs états. Une autre plateforme est envisagée dans le Gers. Ces installations temporaires et dérogatoires traitent les élevages contaminés et, en application de la stratégie chinoise, les élevages situés dans un rayon de 5 km autour des foyers avérés. Certains extrémistes plus préoccupés par les indemnités que par le bien-être animal réclament un rayon de 10 km.
La tuerie des troupeaux de canards et d’autres volailles infectés ou suspectés de l’être est exécutée par GT Logistics, une entreprise bordelaise impliquée dans le nucléaire et l’agro-alimentaire.
Côté nucléaire, GT Logistics réalise des prestations en milieux sensibles au profit du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique) notamment sur le plateau de Saclay au sud de Paris.
Côté agro-alimentaire, GT Logistics bénéficie d’un marché public exclusif avec le ministère de l’Agriculture pour intervenir dans les élevages industriels et ouvrir des « chantiers de dépeuplement », un amortisseur sémantique qui masque les méthodes radicales mises en œuvre et la cruauté associée.
La mission de GT Logistics comprend l’acheminement dans les élevages des personnels, matériels et consommables indispensables à la mise à mort, les opérations de décontamination, le chargement des cadavres dans les bennes d’enlèvement, leur déchargement dans des fosses ou des aires de brûlage mises à disposition par l’administration et les collectivités si les usines d’équarrissage sont saturées ou si les risques de dispersion du virus pendant les transports routiers sont considérés comme inacceptables.
GT Logistics sur son site Internet affiche des sourires, la parité et le slogan « La force de l’humain au service de l’innovation » bien que les méthodes de destruction massive des oiseaux mises en œuvre par GT Logistics soient inhumaines et bien connues des spécialistes de la torture.
Option n°1 : gazage
Les volailles sont jetées vivantes dans des caissons hermétiques et sont mortellement asphyxiées par l’injection d’un mélange gazeux contenant au départ 40% de CO2 (dioxyde de carbone) avec augmentation de la teneur dans un deuxième temps. « L’avantage » de la méthode est la cadence élevée (400 kg/heure soit une petite centaine d’oiseaux sur la base de 5 kg par individu). La séquence jusqu’à la mort finale présumée dure plusieurs minutes. Ses inconvénients selon le ministère de l’Agriculture sont le coût élevé et la difficulté pour évaluer la mort des animaux dans le caisson.
Option n°2 : électrocution
La chaise électrique ou plus exactement la chaîne électrique mobile nécessite des réglages selon l’espèce et le poids des animaux. Ils sont pendus par les deux pattes au câble. La durée de l’électrocution doit être au minimum de 4 secondes. Là aussi, la cadence élevée (4000 animaux/jour) fait partie des « avantages » mais il a été constaté par des éleveurs pendant les précédents épisodes de grippe aviaire qu’au final « l’absence de vie », autre amortisseur sémantique, n’est pas systématiquement garantie.
Les méthodes d’élimination des cadavres dont GT Logistics a la responsabilité sont elles aussi archaïques et porteuses de risques environnementaux au premier rang desquels la pollution atmosphérique et la pollution chimique et bactériologique des sols et des eaux souterraines.
Option n°1 : enfouissement.
Il peut avoir lieu sur place dans le périmètre de l’exploitation, à plus de 50 m des bâtiments d’élevage ou à défaut sur un terrain communal à plus de 100 m de toute habitation, puits, sources, cours ou plans d’eau. Les cadavres sont aspergés par des désinfectants avant d’être enfouis. A l’exemple du Virkon ®, ils sont tous toxiques pour l’environnement aquatique. Le niveau bas de la fosse doit être impérativement au-dessus du plus haut niveau connu des eaux souterraines sous-jacentes. La parcelle pourra être cultivée au bout de 6 mois sauf cas particulier, accessible aux animaux au bout de 9 mois, constructible après un délai de 5 ans ou plus si la géologie locale est peu perméable. « Une surveillance piézométrique pourra être mise en place en cas de demande de suivi environnemental ». La situation de la fosse doit être géolocalisée et à minima enregistrée en mairie [Robin des Bois recommande aux futurs propriétaires et demandeurs de permis de construire dans les secteurs sinistrés par la grippe aviaire et d’autres épizooties comme la fièvre aphteuse de se renseigner auprès de la mairie ou de la préfecture].
Option n°2 : incinération
C’est le dernier recours quand il n’y a pas de possibilité de creusement d’une fosse d’enfouissement. Les matériaux de combustion préconisés sont le charbon, les bois d’allumage, le gasoil, les pneus et les traverses de chemin de fer (non traitées selon le document officiel mais cette précision de pure forme semble difficile à appliquer, elle est là pour ménager la susceptibilité de Robin des Bois et du ministère de l’Ecologie).
En temps normal, les cadavres infectés ou suspects sont transportés dans les sites d’équarrissage par des camions dédiés et étanches. L’usine d’équarrissage la plus proche des foyers les plus virulents dans les Landes et le Gers est située à plus de 100 km au Passage d’Agen dans le Lot-et-Garonne. Elle est saturée. La flotte de camions dédiés est insuffisante dans ces circonstances. Il est fait appel à des camions du BTP. Ils sont « étanchéifiés par des bâches ». Les transports routiers sont considérés par tous les experts comme des facteurs de risque de propagation des virus de la grippe aviaire. Un camion transportant 20 tonnes de volailles mortes porteuses du virus H5N8 est plus polluant et contaminant qu’un vol de sarcelles.
En France, le ministère de la Santé voit dans la distance de sécurité entre les individus un moyen essentiel pour enrayer l’épidémie de Covid-19. Dans la même France, le ministère de l’Agriculture soutient que la surdensité des canards claustrés dans les élevages industriels (5 à 6/m2) n’a aucune incidence sur le déclenchement et la propagation fulgurante de la grippe aviaire. Les boucs-émissaires désignés sont les oiseaux migrateurs relayés par les élevages de plein-air. La seule solution pour se protéger de cette valetaille nomade ou sédentaire serait selon les capitalistes du canard et leurs affiliés de bâtir des forteresses hors eau, hors sol, hors ciel, hors air où les canards entassés dans une atmosphère climatisée seraient gavés avec des grains aseptisés pour produire à la chaîne en 11 semaines sur une litière de fientes pestilentielles du foie gras moins cher que le saucisson et du magret obligatoire pour tout le monde. Dans l’attente de cet enfer de biosécurité, la grippe aviaire s’installe d’année en année et les stocks de canards se gèrent comme les vêtements, avec les soldes et le pilon de janvier.
L’anticipation de tous les besoins nécessaires doit se faire « en temps de paix ». Une fois de plus, les états-majors sont pris de court par la guerre aux virus.
Voir aussi :
Instruction technique de la DGAL, Mission des urgences sanitaires, du 11 juillet 2019 (pdf , 3,5 Mo)
Site Internet de GT Logistics
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