La grippe aviaire progresse dans le Grand Ouest. 20 à 30 millions d’animaux contaminés par la grippe aviaire ou susceptibles de l’être ont déjà été tués. La Bretagne est menacée.
La gestion des cadavres et de la nécromasse déclenche des risques sanitaires et environnementaux sur le long terme. La traçabilité des fosses communes est indispensable mais elle n’est pas codifiée. Comme d’habitude, la faune sauvage est accusée d’être responsable de la calamité. Mais en Vendée, le réseau spécialisé SAGIR (Surveiller pour Agir) n’a constaté aucune mortalité attribuable à la grippe aviaire parmi les oiseaux sauvages tandis que 500 élevages concentrationnaires sont touchés et sacrifiés.
Robin des Bois, à titre conservatoire et aussi longtemps que le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation et les chambres d’agriculture n’auront pas trouvé les moyens de concilier la production et le bien-être des animaux, réclame que les préfets suspendent les demandes d’autorisation de création ou d’extension d’élevages industriels. Le 22 mars 2022, en pleine crise, le préfet de la Vendée a autorisé à Pouzauges un élevage de 309.000 dindes, poulets et cailles.
Les canards en barbarie
Hier, à Petosse en Vendée, au bord de l’autoroute A83, Route des Estuaires, sur réquisition des services de l’Etat et après l’avis favorable d’un hydrogéologue agréé, une fosse étanchéifiée dans l’urgence et pourvue de puits de récupération des jus de décomposition a commencé à recevoir des cadavres de canards, faisans, poules, dindes et cailles contaminés par la grippe aviaire ou susceptibles de l’être.
La capacité de la fosse est de 25.000 tonnes soit 10 millions d’animaux gazés ou électrocutés (voir à ce sujet le communiqué « Pleins feux sur le sacrifice des canards », 12 janvier 2021). Un lugubre concours Lépine est à l’œuvre cette année. Pour donner la mort, il est suggéré (oralement) aux éleveurs de couper la ventilation des hangars d’élevage pendant 48h pour aboutir à l’asphyxie des oiseaux. Si nécessaire, un apport en CO2 est préconisé pour achever le travail. Malgré cette ingéniosité, des camions arrivent dans les décharges avec 14 à 15 tonnes de « dépouilles » alors que certains animaux sont toujours vivants et gigotent encore lorsqu’ils sont bennés dans les alvéoles.
Les odeurs de putréfaction et les scènes de cruauté sont tellement fortes que les opérateurs, chauffeurs et professionnels des déchets sont pris de vomissements irrépressibles s’ils ne portent pas des équipements de protection intégraux et ventilés.
Comme dans les 4 autres épisodes précédents de grippe aviaire (en 6 ans), les exploitants sont autorisés à leurs risques et périls à enfouir près des bâtiments d’élevage 60 tonnes de cadavres répartis dans 3 fosses soit 24.000 animaux (cf. fiche en lien, protocole d’enfouissement de cadavres d’animaux, Préfecture de la Vendée, 13 mars 2022).
Un autre protocole défini par les services de l’Etat autorise les exploitants à stocker à l’intérieur des bâtiments d’élevage les animaux morts si les équarrisseurs, les abattoirs réquisitionnés et les gestionnaires de déchets ne sont pas venus les chercher dans les 5 jours qui suivent la mise à mort (cf. fiche en lien, mesure exceptionnelle d’autorisation de stockage temporaire maîtrisé à l’élevage, Préfecture de la Vendée, 14 mars 2022).
Le ministère de l’Agriculture en folie
Comme d’habitude, l’Etat n’est pas prêt à faire face aux virus. Le ministère de l’Agriculture n’a pas suivi la recommandation de l’Anses* formulée dans son avis d’août 2021 « de disposer en amont de la crise d’une estimation des quantités maximales de cadavres qui pourraient nécessiter une prise en charge en cas d’événements exceptionnels à l’échelle d’un territoire par exemple d’un département » (Anses – Enfouissement de cadavres issus d’animaux d’élevage ou de la faune sauvage).
Faute d’avoir quantifié les effets d’un scénario majorant prévisible, le ministère de l’Agriculture et ses services délégués sont contraints à l’improvisation dans la mise à mort collective qualifiée de « dépeuplement » et dans la gestion des cadavres.
Pire encore, le 4 mars 2022 le ministère de l’Agriculture a saisi l’Anses en urgence en demandant une réponse pour le 7 mars 2022. Il était demandé à l’Anses de produire un avis sur la possibilité d’exporter des œufs et des poussins depuis les zones touchées par la grippe aviaire vers des zones indemnes en mettant en œuvre la dérogation prévue par les textes européens.
Dans sa réponse, l’Anses a souligné que les délais extrêmement courts n’avaient pas permis de recueillir l’ensemble des informations nécessaires. Les conclusions de l’Anses sont empreintes de la plus grande prudence : « le risque associé à des mouvements d’OAC [œufs à couver] et de poussins de un jour depuis une zone réglementée ZR [zone contaminée] vers une zone indemne (ZI), s’ils devaient être nombreux, est non négligeable. » « L’Anses souligne qu’un seul évènement contaminant peut impacter une zone actuellement indemne et de fort niveau d’activité avicole. » « La meilleure prévention de tout risque de propagation de la contamination consiste à s’abstenir de tout transport d’OAC et poussins d’un jour depuis les ZR vers une ZI. »
Le 9 mars 2022, le lendemain de la publication de l’avis de l’Anses, la Direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture a publié une instruction technique dérogatoire à l’interdiction des mouvements d’œufs à couver et de poussins produits dans les « zones réglementées » à destination des « zones indemnes ».
Cette dérogation est assortie d’un protocole de biosécurité quasiment inapplicable (cf. fiche en lien, Influenza aviaire – Dérogation à l’interdiction de sortie des œufs à couver et poussins d’un jour, DGA, 9 mars 2022). Disons pour simplifier que les œufs et les poussins doivent être transportés et manipulés avec des précautions analogues aux déchets nucléaires.
Cette option a été prise sous la pression de la filière avicole du Sud-Ouest de la France dont les élevages après les « dépeuplements » des mois de janvier et de février (environ 3,5 millions de canards, de canetons et de poules tués) sont autorisés à reprendre leurs activités à compter du 29 mars. Cette dérogation a été décidée par le ministère de l’Agriculture pour éviter des ruptures d’approvisionnements et permettre une nouvelle production en attendant le probable retour de la grippe aviaire en hiver 2023 et de ses « dépeuplements » rituels.
* Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
Imprimer cet article