Les risques NAturels entrainent des risques TECHnologiques. Les NaTech en été sec mettent en danger toutes les branches de l’arbre industriel. Le mois d’août est le pire. La majorité du personnel qualifié est en congés. Le danger est partout, dans un fût, dans une ventilation, dans un transformateur. L’usine au mois d’août est souvent livrée aux intérimaires qui méconnaissent les systèmes d’alerte et les effets des grands chauds sur le comportement des matériels et des matières, et à des sous-traitants en charge de la maintenance qui se heurtent eux-mêmes en été à des difficultés de recrutement.
Le secteur de l’armement n’est pas épargné. L’explosion du mercredi 3 août – 8 blessés – n’est pas la première sur la poudrerie de Bergerac. 13 explosions et incendies mettant en cause de la nitrocellulose ont eu lieu sur le site depuis 1980 dont 8 survenues pendant les mois de juin, juillet et août.
Dès 2013, le Bureau d’Analyse des Risques et Pollutions Industrielles (BARPI) rappelait les risques aggravés d’incendie en période de sècheresse et de grand chaud, notamment dans les stockages de matières sensibles comme la nitrocellulose. La nitrocellulose peut s’enflammer spontanément lorsque l’agent mouillant s’est évaporé.
Au niveau national, 61 accidents et incidents ont eu lieu sur des sites mettant en œuvre de la nitrocellulose depuis 1980. Le mois d’août est le plus accidentogène.
Giat Industries, qui contrôle la poudrerie de Bergerac, plane au-dessus du BARPI et lit avec détachement les rapports de la DREAL et les arrêtés préfectoraux. Le 30 mai 2022, MANUCO, la filiale de la poudrerie consacrée à la fabrication de nitrocellulose énergétique, a été destinataire d’un rapport de l’inspection des installations classées consécutif à une visite du 28 avril. La DREAL égrène 23 observations dont l’application permettrait d’améliorer la maîtrise des interventions des entreprises extérieures. Quatre constats sont susceptibles de faire l’objet de suites administratives. Ils concernent les interventions dans les locaux à risques majeurs.
Le rapport est plus recommandatif que prescriptif. Il n’empêche qu’il est d’une clairvoyance et d’une pédagogie minutieuses et que l’encadrement de la poudrerie aurait dû dès le mois de juin s’en emparer et prendre de lui-même les mesures de prudence qui s’imposent vis-à-vis de la nitro et de ses caprices.
La poudrerie de Bergerac dans l’ensemble de son périmètre et de ses activités était décidément dans les radars des services déconcentrés de l’Etat. Trois semaines avant l’explosion, elle a été destinataire d’un arrêté préfectoral de 169 pages d’actualisation des prescriptions techniques. Les articles 9.14.5 et 1.6.2.2 de l’arrêté préfectoral du 7 juillet 2022 imposent :
– de tenir à jour, pour les situations de grand froid ou de grand chaud, les dispositions de sécurité des stocks de nitrocellulose et de déterminer les températures seuils qui déclencheraient leur application.
– de vérifier les conditions de stockage des fûts de nitrocellulose à l’intérieur des bâtiments pour limiter les risques de propagation d’une détonation.
Cet été les NaTech grand chaud sont partout. Dans les Monts d’Arrée, les trois Turbines à Combustion (TAC) au gaz qui fournissent 295 MW d’électricité indispensables pour absorber les pics de consommation d’été et d’hiver ont été à deux doigts d’être mises hors réseau à cause des incendies qui ont débuté le 18 juillet. Les canalisations de gaz étaient menacées. Le Finistère, le Morbihan, les Côtes-d’Armor auraient été privés d’électricité. Pendant les incendies de juillet en Gironde, dans la forêt de La Teste-de-Buch, les puits de pétrole et les stockages ont été globalement préservés des flammes grâce à l’action préventive et réactive des exploitants, des pompiers et de la DREAL dont les agents, sur le front des incendies, ont procédé à l’enlèvement dans des installations diverses de bouteilles d’acétylène et de fûts non déclarés d’isocyanate.
Les Risques NaTech ne sont pas réservés au grand chaud. La nitro, par exemple et les systèmes d’extinction des incendies sont sensibles au gel et au grand froid.
En 2016 et en 2018, le BARPI a détecté et analysé 105 sinistres dans des sites industriels du fait des inondations et des tempêtes accompagnées pour la plupart de pertes économiques importantes et de rejets nocifs dans l’environnement.
Les cyclones provoquent notamment des ruines de stockage d’hydrocarbures et des pertes de confinement de stockage de déchets.
En France, les NaTech post-sismiques n’ont pas encore frappé comme ils l’ont déjà fait au Japon et en Turquie. Mais les experts redoutent que les tremblements de terre déclenchent un jour des NaTech en série dans les sites SEVESO et assimilés et dans les canalisations souterraines transportant des matières dangereuses liquides ou gazeuses.
L’incendie du Massif de la Chartreuse s’est étendu de La Buisse jusqu’à Voreppe. Il est attribué à la foudre. La protection renforcée par les pompiers de plusieurs installations industrielles, artisanales et commerciales a permis de justesse d’éviter la propagation de l’incendie et la mise à feu de plusieurs substances toxiques, inflammables et explosives.
Les incendies de forêt peuvent déboucher sur des risques technologiques inattendus quand ils atteignent des déchets de guerre conventionnels ou chimiques qui font l’objet au moment des débâcles de dépôts identifiés par les pouvoirs publics ou oubliés.
La poudrerie de Bergerac a été ouverte en 1915 pour alimenter l’effort de la première guerre mondiale. Elle est toujours spécialisée dans la fabrication d’explosifs à base de nitrocellulose à usage militaire et elle s’est à la marge diversifiée dans des applications civiles (vernis à ongles, peintures, déclencheurs d’airbags, feux d’artifice …). Le site a aujourd’hui une superficie de 132 hectares sur les bords de la Dordogne.
Les eaux souterraines et superficielles et les sols sont pollués par les hydrocarbures, les dioxines, les phtalates, le formaldéhyde, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, les métaux lourds, les cyanures et par la nitrocellulose.
Deux décharges internes ont été ouvertes sur le site et une ballastière a servi de décharge aquatique pour des poudres périmées ou non-utilisées.
Régime de faveur et polluant, Eurenco dispose d’une autorisation exceptionnelle de brûler à l’air libre des déchets contenant de la nitrocellulose (article 3.1.1 de l’arrêté préfectoral du 7 juillet 2022). Les zones de brûlage sont contaminées par des métaux lourds, des dioxines, de la nitrocellulose et d’autres composés toxiques. A cet égard, l’arrêté préfectoral prescrit également à l’exploitant, dans son article 1.6.3.2 d’étudier les impacts sanitaires et environnementaux des activités de brûlage à l’air libre des déchets pyrotechniques.
Longtemps exploitée par la Société Nationale des Poudres et des Explosifs (SNPE), la plate-forme de Bergerac est actuellement détenue par Eurenco, filiale de la Société nationale des poudres et des explosifs contrôlée par Giat Industries.
Les 100 dernières pages de l’arrêté du 7 juillet 2022 sont non communicables au public. De même, l’étude de dangers est introuvable. Les usagers de 8500 véhicules/jour circulant sur la Départementale D660, plus le flux de touristes en été qui va de Bergerac à Cahors, les usagers du club de karaté, du tennis-club de Bergerac et du gymnase Aragon, les clients de la “Parenthèse” et de ses chambres d’hôte rustiques et insolites, les instituteurs et le personnel encadrant de l’école primaire Alba de même que les parents restent dans l’ignorance des risques constants ou ponctuels, saisonniers et localisés. Les vélos passent et les rodéos se passent en fin de journée. Le tourisme fluvial sur la Dordogne qui longe le site est florissant, plusieurs milliers de personnes voyagent en gabarre, d’autres pratiquent l’aviron, le canoë et la pêche. Elles peuvent à tout moment être prises dans un événement catastrophique. Sur la rive d’en face, les premières habitations sont situées à 200 m et elles seraient, elles aussi, touchées par un événement majeur.
Robin des Bois encourage les riverains permanents ou de passage, particuliers, artisans ou industriels, à demander aux préfectures communication de l’intégralité des arrêtés préfectoraux.
Voir à ce sujet “L’instruction omertante”, communiqué de Robin des Bois du 6 septembre 2017.
Imprimer cet article