Enquête publique – projet d’installation de traitement des déchets dangereux et non dangereux à Givet

22 févr. 2024

Observations de l’association Robin des Bois – Enquête publique relative au projet d’installation de traitement des déchets dangereux et non dangereux – Givet Recycling (GIREC)

Madame la Commissaire enquêtrice,

L’association Robin des Bois, membre du Conseil Supérieur de Prévention des Risques Technologiques (CSPRT) et membre du comité consultatif sur les sites pollués de l’ADEME, après la lecture attentive du dossier d’enquête publique du projet d’une installation de traitement des déchets dangereux et non dangereux sur le territoire de la commune de Givet et porté par Givet Recycling et M. Wim PETILLION, vous transmet ses observations et commentaires suivants.

Givet Recycling serait soumise à autorisation au titre de la réglementation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement et classée Seveso seuil bas.

Nous observons que dans certains documents, de nombreuses phrases ou paragraphes sont incomplets (par exemple : Résumé non technique de l’évaluation environnementale, p.13, p.17). Cette négligence répétée interpelle et l’on peut se demander si le promoteur du projet sera tout aussi négligent pendant l’exploitation de ses installations.

Vous trouverez ci-dessous les observations de Robin des Bois.

1/ Implantation du projet à Givet

Les terrains sélectionnés par Givet Recycling, bien qu’englobés au sein du Parc d’Activités Communautaire de Givet (PACoG), sont en partie des parcelles agricoles encore exploitées (champ de blé). L’emprise totale du projet prévue serait de 114.000m2 (11,4 hectares). Le site du projet est situé à environ 400m du ruisseau de la Fienne, à environ 560m du lac de Givet et à 1km de la Meuse.

Le promoteur du projet justifie le choix de ce site (par rapport à 3 sites alternatifs) par la possibilité de transporter les déchets et les produits issus de la valorisation via les voies ferrées, situées à proximité, et le Port de Givet, grâce à la Meuse, en complément d’une flotte de 160 poids lourds afin de, notamment, réduire les émissions carbones.

Toutefois, dans sa réponse à l’autorité environnementale, il précise que “ces possibilités étaient évoquées dans la révision B de la demande d’autorisation; elles ont été supprimées dans la révision C datée du 18.07.2023” après une étude “plus approfondie des modes de transport possibles“.

Le promoteur du projet ne peut plus utiliser le prétexte de la réduction des émissions carbones pour justifier l’implantation du projet sur ces terrains. Les études approfondies auraient dû être menées en amont.

Il poursuit ainsi les démarches sur ce site alors que d’anciennes friches industrielles sont disponibles en Belgique. Il choisit donc de s’implanter sur un espace agricole exploité non artificialisé et non imperméabilisé.

L’imperméabilisation de cet espace aggravera le risque inondation en aval du site dans la commune de Givet et au-delà en Belgique. Givet est doté d’un PPRI (Meuse aval). La commune de Givet a été déclarée en état de catastrophe naturelle environ 17 fois entre 1983 et 2021. Givet a à nouveau été inondée en 2023.

Ces risques aggravés d’inondation concernent aussi l’emprise interne du projet et notamment les stockages et les entreposages de terres polluées avant et après traitement, sachant qu’après traitement, elles seront toujours polluées par des contaminants échappant à l’élimination par désorption thermique. Il y a donc un risque de pollution qui ne peut pas être négligé du ruisseau de la Fienne et de la Meuse.

L’implantation pose aussi des problèmes vis à vis des habitations, de l’aire d’accueil des gens du voyage et des logements du personnel SNCF.

Le projet industriel n’est pas assorti d’une modélisation sur son intégration dans le paysage et dans l’horizon belge et les lignes de crêtes.

Le terrain appartient actuellement à la Communauté de communes Ardennes Rives de Meuse et n’a toujours pas à ce jour été vendu à Givet Recycling.

2/ Choix du mode de transport

Le projet initial entrainait selon son promoteur la circulation de 160 poids lourds par jour compte tenu que des apports seraient effectués par rails et par voie fluviale. Ces deux voies de transferts sont désormais abandonnées et dans une nouvelle version du projet, le promoteur évoque un trafic de 38.000 camions de 25 tonnes pendant environ 200 jours ouvrables, ce qui fait environ 200 camions par jour, un chiffre considérable et sans aucun doute insupportable pour les riverains, la chaussée et les infrastructures, notamment le pont des Américains. Le promoteur du projet évoque l’édification de merlons pour amortir les nuisances acoustiques en oubliant de préciser que ces merlons seront, pour des raisons économiques, constitués de terres polluées et polluantes.

3/ Environnement, Faune, Flore

A) Espaces naturels à proximité du projet

Le site du projet se situe dans le Parc Naturel Régional des Ardennes et à 1 km environ de différentes zones naturelles protégées : des zones Natura 2000 “Pelouses, rochers et buxaie de la Pointe de Givet“, “Plateau Ardennais“, de la Réserve Naturelle Nationale “Pointe de Givet“, d’un arrêté de protection de biotope “Rochers et Falaises de Charlemont“, et des Zones Naturelles d’Intérêts Ecologiques, Faunistiques et Floristiques “Tiennes et Bois le Duc au Nord de Foisches“, “Le Tienne de Chooz-Foisches“, “Le Mont d’Haurs et le versant gauche de la Vallée de la Houille“, “Bois de Nichet à Fromelennes“, “Ensemble des pelouses calcaires et milieux associés de la Pointe de Givet” et “Escarpements, Fort de Charlemont et Fort Condé“.

Contrairement à ce qui est suggéré par le promoteur, 2 terrains appartenant au Conservatoire d’Espaces Naturels sont situés à environ 1,4km et 2,7km du site du projet.

B) Inventaire faune-flore et évaluation des incidences

La zone d’étude du site a seulement fait l’objet d’un passage en mai 2022, qui consistait avant tout “à déterminer la présence d’une zone humide” ou non, et d’un passage en juin 2022, soit au début de l’été. Deux espèces d’oiseaux ont été identifiées : l’hirondelle rustique et l’alouette des champs. Le promoteur du projet reconnaît que “certaines espèces n’aient pas pu être observées à ces moments de l’année” mais que “l’inventaire réalisé peut être considéré comme suffisant pour une expertise fiable en vue d’une évaluation des impacts“.

La période choisie par le cabinet ENTIME (l’horaire du passage de jour n’est pas indiqué) qui a été mandaté par le promoteur, est la période de reproduction et de nidification de la majorité des oiseaux. L’inventaire faune-flore basé sur une observation rapide est donc incomplet (il faut normalement réaliser un inventaire sur au moins 3 saisons sur 4). L’affirmation précitée du promoteur est biaisée. Le cabinet ENTIME selon nos observations ne dispose pas de naturaliste.

Le promoteur du projet précise que “l’étape préalable qui consiste à analyser le projet par rapport à la réglementation a permis de constater que le projet Givet Recycling n’est pas situé dans une zone Natura 2000 et n’est donc pas inscrit sur les listes. Etant donnée la localisation du projet par rapport aux zones Natura 2000 identifiées, aucune évaluation des incidences ne sera réalisée.” (Evaluation environnementale, p.46 et p.50). Cette interprétation est incorrecte.

En réalité, comme le projet est soumis à une évaluation environnementale systématique en application de l’article R.122-2 du Code de l’environnement, il est également soumis à une évaluation des incidences Natura 2000 en application du 2° de l’article R.414-19 du Code de l’environnement qui prévoit que “la liste nationale des documents de planification, programmes ou projets ainsi que des manifestations et interventions qui doivent faire l’objet d’une évaluation des incidences sur un ou plusieurs sites Natura 2000 en application du 10 du III de l’article L.414-4 est la suivante: (…) 2° les projets faisant l’objet d’une évaluation environnementale systématique ou d’un examen au cas par cas en application des articles R.122-2 et R.122-2-1“.

Si l’évaluation environnementale peut tenir lieu de l’évaluation des incidences Natura 2000 elle doit comporter tous les éléments requis en application de l’article R.414-23 du Code de l’environnement.

Or, le promoteur du projet ne justifie pas et ne prouve pas l’absence d’impacts du projet sur les espèces protégées inventoriées dans les zones Natura 2000 proches, notamment sur les chiroptères et les oiseaux. Aucune analyse des effets directs et indirects, permanents ou temporaires, pendant la phase travaux et la phase exploitation, telle que prévue au III de l’article R.414-23, n’est disponible.

12 espèces protégées de chauves-souris sont pourtant présentes à proximité du site (le ruisseau de la Fienne n’est pas loin du site).

Par exemple, le Grand Murin (Myotis myotis) a un territoire de chasse d’une superficie d’environ 100 hectares. Or, aucune chauve-souris n’a été identifiée lors de l’inventaire puisqu’il s’est déroulé en pleine journée, le promoteur du projet estimant malgré tout que “les inventaires réalisés peuvent être considérés comme étant suffisants pour évaluer les impacts d’un futur projet“. Toutefois, la présence de deux oiseaux insectivores indique évidemment la présence de nombreux insectes et fragilise cette affirmation. En effet, l’hirondelle rustique, qui affectionne les terrains agricoles, se nourrit d’insectes volants. L’alouette des champs se nourrit elle aussi d’insectes.

Il est donc fortement probable que des chauves-souris utilisent ce site comme terrain de chasse.

Par ailleurs, l’éclairage non-stop des installations, sur un espace de 11,4 hectares, aura également des impacts sur la faune.

Aucune mesure ERC (“Eviter, Réduire, Compenser”) n’est réellement prise par le promoteur du projet pour atténuer les impacts environnementaux pendant la phase travaux ou la phase d’exploitation.

Dès lors, nous estimons que le promoteur du projet doit compléter l’inventaire faune-flore et réaliser une évaluation des incidences Natura 2000 en application des articles R.414-19 et R.414-23 du Code de l’environnement. D’autant que dans des projets juridiquement similaires, la jurisprudence demande la réalisation d’une évaluation des incidences pour des projets situés jusqu’à 5km de zones Natura 2000.

4/ Santé et nuisances

A) Emissions atmosphériques et nuisances olfactives

L’autorité environnementale (AE) relève que le porteur du projet “se positionne sur le respect des valeurs réglementaires et notamment des NEA-MTD (Niveaux d’Emission Associés aux Meilleures Techniques Disponibles). Ces NEA-MTD étant exprimés sous forme de fourchette dans les textes, le pétitionnaire se positionne systématiquement sur la valeur haute de la fourchette, ce qui lui permet toutefois de respecter la réglementation. L’Ae relève que les limites réglementaires ne doivent pas être considérées comme la seule exigence qui s’impose au pétitionnaire. Ce dernier devrait demander que lui soient fixées comme limites à respecter dans son futur arrêté d’autorisation, celles issues des performances de ses installations qui doivent bien sûr s’inscrire a minima dans les limites réglementaires. Le seul respect de limites réglementaires alors que les installations permettraient de faire mieux pourrait être considéré comme un « droit à polluer ». Le promoteur du projet semble se contenter du maximum réglementaire.

Le promoteur, dans son mémoire en réponse à l’AE, dit que « à ce stade d’avancement du projet, [il] n’a pas encore passé commande des installations. Le choix des modèles et des fournisseurs n’a pas été engagé non plus. De ce fait, les performances attendues ne sont pas connues. Les niveaux d’émissions seront conformes aux valeurs limites réglementaires et aux MTD applicables ». Dès lors, il ne démontre pas que les émissions émanant de son installation seront conformes aux dispositions réglementaires. Il est étonnant que pour un projet d’investissement de 50 millions d’euros n’est pas déjà pris contact avec des équipementiers à moins qu’il est comme intention de faire venir un four de seconde main depuis un de ses autres sites belge et se baser sur les performances théoriques d’un four est insuffisant pour avoir comme objectif la fourchette la plus basse des émissions atmosphériques autorisée. Le pilotage de l’équipement, sa maintenance et surtout les teneurs des terres polluées introduites dans le four sont des paramètres essentiels.

Le promoteur et ENTIME s’appuient sur la rose des vents de Charleville-Mézières, éloignée d’environ 40km du site du projet, pour évaluer la trajectoire des retombées atmosphériques en phase d’exploitation. Cette rose des vents n’est pas pertinente, il serait beaucoup plus efficace et véridique d’utiliser la rose des vents appliquée à la centrale nucléaire de Chooz située à environ 6 km du projet. Or cette rose des vents indique une trajectoire des vents Nord avec un angle élargi, ce qui exposerait l’aire d’accueil des gens du voyage et les lotissements voisins aux émissions atmosphériques, acoustiques et olfactives de la désorption thermique en fonctionnement normal ou en fonctionnement dégradé et aux envols de poussières.

Le projet est pourtant prévu à environ 70m d’une aire d’accueil des gens du voyage, de parcelles agricoles et à 90m d’habitations, de jardins et de potagers. Des établissements sensibles se situent dans la courantologie des vents telle qu’elle est définie de la rose des vents de Chooz :
– Ecole maternelle Bon-Secours, à environ 500m,
– Deux crèches communales situées sur le territoire de la commune d’Hastière en Belgique à environ 2km du projet.

Pourtant le promoteur évacue rapidement cet enjeu parlant d’un impact “négligeable”.

Toutes ces proximités, expositions probables aux perturbations diverses seraient, si le promoteur réussissait à l’imposer, sources de nombreuses plaintes et récriminations, assimilées à des Trouble Anormal de Voisinage (TAV). La hauteur de la cheminée de l’installation de la désorption thermique serait de 25 mètres, ce qui est une altitude basse pour une évacuation émettant des métaux lourds, dont l’arsenic et le mercure, des hydrocarbures mais un autre paramètre est essentiel pour accéder à une dispersion acceptable pour le voisinage dans des conditions météorologiques optimales, c’est la vitesse d’éjection des fumées et gaz sur laquelle le projet est pourtant muet.

B) Nuisances sonores

Certaines installations seront exploitées toute la journée et toute la semaine : l’unité “Sécheur” et l’unité “Désorption thermique”. La centrale à béton fonctionnera tous les jours, sauf le dimanche, dès 6h du matin. Elle aura un niveau sonore de 70 dB jour et nuit. Le concasseur sera en marche de 7h du matin le lundi jusqu’au samedi 22h, et sans interruption semble-t-il entre le lundi matin et le samedi soir. Le promoteur de projet prévoit seulement comme on l’a déjà vu des merlons anti-bruit autour du site sans en définir l’épaisseur, la hauteur, les performances et la nature. Ces bruits se cumuleront avec les allers retours des 200 camions importateurs de déchets.

Les bruits et les vibrations subis et répétés sont des nuisances qui peuvent déclencher des nervosités, des dépressions, des insomnies et entrainer des hypertensions artérielles chroniques ainsi que des pathologies irréversibles comme des Accidents Vasculaires Cérébraux (AVC).

Les riverains ne pourront pas profiter des aménités de leur jardin ou de leur terrasse, notamment en période estivale le jour, et aérer leur logement la nuit.

A titre d’information, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), dans sa décision en date du 16 novembre 2004 Moreno Gomez c/ Espagne, a considéré que le bruit constituait une atteinte au domicile et à la vie privée et familiale, et une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

5/ Déchets collectés et déchets produits pendant l’exploitation

Le promoteur du projet prévoit, par an, de traiter 350.000 tonnes de déchets de démolition, issus des collectivités et des centres de tri, 450.000 tonnes de déchets inertes issus du bâtiment et des gravats inertes issus de la désorption thermique, 100.000 tonnes de mâchefers et de sables de fonderie, 35.000 tonnes de déchets d’enrobés bitumineux et 50.000 tonnes de terres polluées et de cendres de papeterie. Certains de ces déchets pourraient être contaminés par de l’amiante. Au total, Givet Recycling devrait traiter 950.000 tonnes de déchets par an. 384.000 tonnes de déchets seront susceptibles d’être stockées sur le site.

L’origine de ces déchets, provenant théoriquement dans un rayon d’environ 200 km ou de 300 km autour de Givet, n’est pas précisée. Le promoteur parle “d’approvisionnement local”.  Or, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, les Pays-Bas mais aussi certaines régions périphériques de l’Angleterre et le Grand Paris sont aussi dans ce rayon d’approvisionnement. La “carte” présentée p.35 dans la Demande d’autorisation environnementale (réf. 7515-006-002) est biaisée et elle ne dessine pas un rayon de 200 ou 300 km autour de Givet.

En bref, la commune de Givet a été choisie pour sa proximité avec la frontière. Au regard des quantités prévues par le promoteur du projet et du schéma d’approvisionnement disponible, Givet deviendrait un pôle européen de valorisation des déchets du BTP. Il n’est pas exclu que le promoteur souhaite importer depuis la Belgique des terres soi-disant amendées provenant d’un site de stockage et de traitement lui appartenant.

Nous connaissons le rôle majeur de la Belgique dans le traitement des terres polluées importées depuis l’Union Européenne mais aussi son rôle d’exportateur de déchets et d’apporteur de déchets dans la Région Hauts-de-France et la Région Grand-Est, nous encourageons la commune de Givet à refuser catégoriquement le projet.

6/ Capacités financières de Givet Recycling

Par ailleurs, face à toutes les incertitudes et les indécisions du promoteur, il n’est pas certain que ses capacités financières soient assez robustes pour investir dans l’acquisition des équipements, dans l’aménagement du site et dans sa maintenance, d’autant que la subvention de 16 millions d’euros demandée à l’ADEME a été, à juste titre, refusée.

Quoi qu’il en soit, M. PETILLION et ENTIME n’ont pas réussi à présenter un dossier complet, transparent, convainquant et conforme à la réglementation nationale.

Au regard de l’ensemble des éléments ci-dessus et d’autres qui pourraient être décelés au cours d’un examen encore plus approfondi, l’association Robin des Bois est contre le projet Givet Recycling à Givet.

Robin des Bois

Imprimer cet article Imprimer cet article