Observations de l’association Robin des Bois. Projet d’arrêté fixant les prescriptions générales applicables aux dragages ou aux rejets y afférent relevant de la rubrique 4.1.3.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement.
L’association Robin des Bois, qui a le statut d’observateur à la Convention OSPAR, travaille sur les immersions de boues de dragages depuis une trentaine d’années et a défendu l’amélioration des réglementations, notamment au travers du Grenelle de la mer, du Grenelle de l’environnement et de la loi sur l’économie bleue pour que la mer ne soit pas une poubelle. L’instauration de seuils N3 au-delà desquels il serait interdit d’immerger des boues de dragage est un des aboutissements de ce travail. Nous avions été consultés par un cabinet privé (Egis) en 2020 sur les N3. Depuis, plus rien et voici donc aujourd’hui en consultation un projet d’arrêté qui tend à rendre ces seuils N3 inopérants. Les teneurs proposées sont trop élevées et le nombre de polluants surveillés insuffisant. Pour Robin des Bois l’attitude bloquante des Grands Ports Maritimes à l’égard des préoccupations de la société civile dans le domaine des dragages et des immersions de boues de dragage retarde la réduction à la source des pollutions et le traitement à terre des pics de pollution. La nécessité (parfois discutable) pour des opérateurs portuaires de procéder aux dragages a toujours prévalu sur la nécessité vitale de préserver la sécurité alimentaire. Nous avions fait part à Egis en 2020 de notre crainte que les pressions des GPM mènent à la création de nouveaux seuils N3 “à minima” permettant de perpétuer l’immersion de sédiments fortement contaminés, sans véritable changement par rapport aux pratiques existantes. Cette crainte devient réalité et ce projet d’arrêté ne permet pas de mettre en œuvre la loi “Economie bleue” qui stipule : “A partir du 1er janvier 2025, le rejet en mer des sédiments et résidus de dragage pollués est interdit. Une filière de traitement des sédiments et résidus et de récupération des macro-déchets associés est mise en place. Les seuils au-delà desquels les sédiments et résidus ne peuvent être immergés sont définis par voie réglementaire.”
A noter, la date était initialement le 1er janvier 2020 et a été repoussée à 2025 par la Commission Mixte Paritaire Assemblée/Sénat “afin de permettre la mise en place d’une véritable filière de traitement et de récupération à terre” (compte rendu intégral des débats de la séance du 7 juin 2016).
1/ Les seuils N3 proposés sont beaucoup trop élevés.
L’explication sur la méthodologie d’élaboration des seuils N3 n’est pas convaincante et “l’analyse des impacts économiques et environnementaux” citée dans la note de présentation aurait mérité d’être mise à disposition dans le cadre de cette consultation (merci de nous la faire parvenir sur contact@robindesbois.org). Il est fait référence au 75ème percentile des valeurs guide de niveau 2 utilisées à travers le monde. Pourquoi le choix du 75ème percentile ? Le “monde” comprend-il, comme on peut le craindre et même le constater, des pays qui considèrent toujours la mer comme une poubelle ? Mais est-ce une raison pour que la France s’aligne sur leurs usages ?
Les seuils N3 ne prennent pas en compte la toxicité, la biodisponibilité, la persistance, l’effet cocktail des polluants et les flux totaux rejetés. Pour certains polluants particulièrement persistants et inexistants dans le bruit de fond géochimique, comme les PCB, les seuils N3 devraient être les mêmes que les seuils N2.
En l’état des seuils N3 proposés, les interdictions annuelles de rejets en mer des boues de dragages en application de ces nouveaux seuils seront à compter sur les doigts d’une main et permettront juste à la France de s’afficher en leader de la protection du milieu marin aux yeux des profanes.
D’autre part, le projet d’arrêté devrait clairement dire que les analyses des sédiments ne doivent pas être moyennés sur un ensemble d’échantillons. Cette pratique ne permet pas de représenter les pics de pollution et donc de traiter à terre les sédiments concernés et permet à certains maîtres d’ouvrage de passer sous la barre N2 et à fortiori N3 dans le futur.
2/ Des seuils N3 avec dérogations clefs en main
Le 3° de l’article 14 concernant les règles d’interprétation des analyses mine davantage l’utilité de ce projet d’arrêté. Non seulement les seuils N3 sont trop élevés, mais en plus si par malheur le maître d’ouvrage découvrait en lisant ses résultats d’analyses qu’il est dans le rouge, pas de souci, un seuil de tolérance jusqu’à 1,5 fois le seuil N3 est prévu, jusqu’à 3 dépassements pour 30 échantillons analysés. Tout est fait pour que rien ne change. Ce 3° de l’article 14 devrait être supprimé ainsi que sa mention dans l’article 11.
3/ Les seuils proposés couvrent un nombre insuffisant de polluants et ignorent les polluants émergents
– Les seuils N1 et N2 doivent être révisés au vu des connaissances scientifiques et sanitaires accumulées depuis leur élaboration (2000 pour les éléments traces métalliques, 2010 pour le TBT, 2013 pour les HAP, 2014 pour les PCB).
– Ils doivent être élargis à d’autres substances de préoccupations majeures, notamment les PFAS et les composés bromés. L’arrêté ministériel du 20 juin 2023 et sa note d’application imposent aux exploitants des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement soumises à autorisation de surveiller les PFAS susceptibles d’être ou d’avoir été rejetés dans leurs rejets aqueux. Cette obligation devrait être étendue immédiatement aux demandeurs d’autorisation de rejeter en mer des sédiments qui par nature concentrent les polluants. Au rythme où vont les choses dans le monde du dragage, les PFAS seront considérés comme une substance à surveiller autour de 2040.
– Dans la circulaire d’application des seuils GEODE de 2010, il est indiqué qu’en fonction du contexte local (par exemple, site localisé à proximité d’une centrale nucléaire), d’autres paramètres peuvent être pris en compte dans les analyses des sédiments. Or, cette méthodologie est très rarement appliquée, parce qu’elle n’est pas obligatoire et ce projet omet de combler cette lacune.
– L’immersion proche des zones conchylicoles devrait être interdite et les boues immergées devraient être systématiquement soumises à des recherches de kystes phytoplanctoniques toxiques. Leur charge en azote devrait être prise en compte dans les zones soumises à des efflorescences toxiques et à des invasions d’algues vertes.
– L’impact bactériologique de l’immersion des déblais de dragage est d’après l’expérience de Robin des Bois largement sous-estimé. La multiplication des interdictions plus ou moins temporaires de pêche à pied est attribuée dans certains cas à la saturation de stations d’épuration des eaux usées mais la coresponsabilité des immersions de déblais de dragage ne peut pas être exclue en tant que facteur de remobilisation de la charge bactériologique dans la colonne d’eau. La réglementation doit être stricte et intégrer des risques nouveaux liés à la reviviscence des bactéries et à l’apparition de nouveaux contaminants comme les génomes de Covid-19.
4/ Macrodéchets
L’article 8 nous dit “En outre, il (le maître d’ouvrage) précise les mesures adoptées pour limiter l’impact de l’opération: – mise en place d’un dispositif permettant d’éviter ou de limiter le rejet de macro-déchets”.
Selon la réglementation, une fois ramassé, le déchet doit être traité et soumis par son détenteur (le maître d’œuvre) à une filière de gestion adaptée. Il est interdit d’immerger des déchets et si le maître d’œuvre pour le compte du maître d’ouvrage procède à des immersions de bouchons de plastiques, granulés, polystyrènes, etc. il est dans l’illégalité. L’arrêté soumis à consultation devrait donc imposer un criblage fin des sédiments avant rejet et une élimination des déchets ainsi collectés dans des filières dédiées.
5/ Toujours rien sur les flux
La réglementation ne tient pas compte des flux. Par exemple, on ne peut pas comparer des sédiments contaminés entre les seuils N1 et N2 ou N2 et N3, si on considère 5000 tonnes ou 100.000 tonnes de sédiments. La Convention OSPAR a déjà réalisé des calculs à ce sujet et les résultats montraient que le volume de mercure immergé chaque année en France est autour de 3 tonnes. C’est énorme et le niveau N3 de mercure ne devrait pas être supérieur au niveau N2.
6/ Pas d’amélioration de la fréquence des analyses
Un resserrement des intervalles entre 2 campagnes d’analyses devrait au moins être imposé en cas de rejet accidentel (marée noire ou chimique) ou d’incendie (par exemple dans les ports de plaisance) ayant marqué la vie portuaire.
7/ Réduction à la source des pollutions
Ce point a déjà été préalablement évoqué. L’article 8 prévoit que le maître d’ouvrage précise les mesures préventives “qu’il envisage, en tant que de besoin de mettre en œuvre afin de : réduire ou supprimer les sources de pollutions, limiter les concentrations en polluants” etc. Cette disposition préexistante ne bénéficie pas du toilettage annoncé dans la note de présentation. Elle reste vaseuse et non contraignante. Pourtant l’obligation de réduction à la source des pollutions devrait être un impératif qui réglerait beaucoup de problèmes et de conflits d’usage.
8/ Espèces protégées
Toute destruction d’espèces animales ou végétales protégées (tant au niveau national que régional ou départemental) nécessite une demande de dérogation.” (L411-1 et L411-2 du code de l’environnement). Pourquoi les ports auraient-ils une dérogation permanente et pourraient-ils se contenter de “minimiser” les impacts sur les espèces protégées ?
9/ L’article 12 omet de mentionner les opérations soumises à déclaration
10/ Un certains nombres d’autres points auraient dû bénéficier du “toilettage”, en particulier les notions très relatives et à interprétations multiples de “faibles quantités”, de “dégradation durable”, de “coût économiquement acceptable”, d’altération “notable” de la qualité des eaux, toutes notions qui sont laissées à l’appréciation des exploitants voire des tribunaux.
En conclusion, nous regrettons que ce projet d’arrêté torpille l’esprit de la loi économie bleue en permettant d’immerger des boues fortement contaminées, en n’offrant pas de stabilité juridique suffisante nécessaire à la mise en place “d’une véritable filière de traitement et de récupération à terre” et en favorisant les ports au détriment de la salubrité de l’environnement et des intérêts des autres usagers.
Robin des Bois
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