Le Ruby, c’est pas “le salaire de la peur”

4 oct. 2024

Communiqué commun associations Mor Glaz et Robin des Bois
Landerneau, Finistère, et Paris

Comme s’il n’y avait pas assez de catastrophes humanitaires et environnementales en cours ces jours-ci, le cargo Ruby est aujourd’hui présenté comme un Hiroshima ou un Beyrouth flottant, un cocktail particulièrement détonnant et anxiogène.

Les 2750 tonnes de nitrate d’ammonium quasiment pur abandonnées pendant 6 ou 7 ans à côté de feux d’artifice et de pneus dans le hangar de Beyrouth étaient destinées à la fabrication d’explosifs à usage minier au Mozambique. Le nitrate d’ammonium de Beyrouth n’était pas un engrais. La cargaison du Ruby est constituée d’engrais azotés contenant du nitrate d’ammonium. Le Ruby en a chargé environ 20.000 tonnes dans le port de Kandalakcha, en mer Blanche en Arctique, à l’est de Mourmansk. Jusqu’alors, le principal port d’exportation était Saint-Pétersbourg en mer Baltique mais la Russie par crainte des attaques de drones venus d’Ukraine a récemment retiré Saint-Pétersbourg de la liste des ports habilités à exporter des engrais au nitrate d’ammonium. Kandalakcha est un des ports de substitution.

La destination finale du Ruby n’était pas l’archipel des Canaries comme le répètent en boucle des articles de presse. L’archipel des Canaries n’est pas connu pour sa production céréalière intensive et une livraison de 20.000 tonnes d’engrais azotés fabriqués en Russie y paraîtrait d’autant plus incongrue qu’en 2023 l’Espagne a acheté à la Russie seulement 4924 tonnes d’engrais contenant du nitrate d’ammonium. En fait, le port de Las Palmas est utilisé par les exploitants de navires de charge et leurs commandements pour se ravitailler en fioul de propulsion, en vivres et autres nécessités. En toute logique, la destination finale du Ruby après avoir touché Las Palmas était plutôt le Brésil, premier client de la Russie pour les engrais au nitrate d’ammonium (1.126.580 tonnes importées en 2023).

Parti de Kandalakcha le 22 août, le Ruby est au mouillage depuis le 25 septembre dans une zone d’attente au large de la Tamise, hors des eaux territoriales anglaises. Après les dommages que le Ruby a subi en mer Blanche ou pendant la tempête Lilian au large de la Norvège, il n’est évidemment plus en mesure de traverser l’Atlantique comme si de rien n’était. Par mesure de précaution, il est sous l’assistance permanente d’un remorqueur. Il n’y a à ce jour aucun signe de la dégradation thermique de la cargaison du Ruby, contrairement à ce qui s’est déjà passé à bord de navires en mer du Nord et dans le Golfe de Gascogne avec par exemple les Purple Beach (2015)* et M/V Cheshire (2017)**.

Les associations Mor Glaz et Robin des Bois demandent qu’une véritable coopération entre le producteur de la cargaison en Russie, l’armateur basé aux Emirats arabes unis, la Grande Bretagne et les Etats européens se mette rapidement et calmement en place sur la base d’informations fiables pour trouver la solution optimale garantissant à l’équipage de 19 marins en majorité Syriens, au Ruby et à l’environnement une issue favorable impliquant éventuellement le déchargement à quai de la cargaison, l’évaluation approfondie des dommages du navire et sa réparation.

Du 15 au 17 octobre 2024 se tiendra à Brest la “Sea Tech Week” consacrée à la sécurité maritime. Cet évènement devrait être l’occasion d’aborder le sujet majeur du transport maritime de matières dangereuses. De plus en plus de vraquiers, de cargos polyvalents, de porte-conteneurs, de pétroliers et de méthaniers sont sujets sur l’océan mondial à des avaries, des collisions ou des incendies qui mettent en danger les marins, l’environnement et les populations des villes portuaires. Des “bombes flottantes”, il y en a des milliers sur l’océan mondial et des dizaines chaque jour au large de la façade Atlantique.

Le Ruby dans le détroit de Skagerrak, 23 janvier 2021 © Bostmanmat

Ruby (ex-Lady Amna). OMI 9626390. Cargo polyvalent. Longueur 183 m. Port en lourd 37.039 t. Pavillon Malte. Société de classification Det Norske Veritas. Construit en 2012 à Ulsan (Corée du Sud) par Hyundai. Détenu en septembre 2024 à Tromso (Norvège). Propriétaire depuis juin 2019: Ruby Enterprise Ltd enregistré à Malte aux bons soins de Serenity Ship Management DMCC (Emirats arabes unis) également exploitant du navire et gestionnaire ISM (International Safety Management).
Ruby Enterprise Ltd enregistré à Malte est propriétaire du seul Ruby. Serenity Ship Management DMCC revendique une flotte de 10 navires dont il est à la fois exploitant technique et commercial, gestionnaire ISM et armateur bénéficiaire.Le Ruby ex-Lady Amna est un grand voyageur. Depuis le début de sa carrière, il a été inspecté à 40 reprises dans les ports du monde entier, de la mer de Chine à la mer du Nord en passant par l’Atlantique, la Méditerranée, la mer Noire et la mer Rouge pour un total de 46 déficiences.
Il a notamment été inspecté en Chine (Tianjin, Zhanjiang, Shantou), au Vietnam, en Indonésie (Gresik, Sungai Pakning), en Malaisie (Bintulu), en Inde (Mumbai), au Sénégal (Dakar), en Jordanie (Aqaba), au Maroc (Agadir), en Türkiye (Iskenderun), en Russie (Novorossiysk), à Split (Croatie), Tarente (Italie), Klaipeda (Lituanie), Burgas (Bulgarie) et enfin à Tromso (Norvège) début septembre 2024 après son départ de Kandalakcha. Les inspecteurs norvégiens relèvent 6 déficiences sur le Ruby dont 3 justifient sa détention: une ou des fissures de la coque, des lacunes dans la certification de l’équipage et dans les procédures de sécurité ISM. Il n’est pas fait état dans ce rapport de dommages à l’hélice et au gouvernail. Après sa “libération” par la Norvège, le Ruby devait subir des réparations dans le port de Klaipeda en Lituanie mais la Lituanie en a finalement refusé l’accès aussi longtemps qu’il était chargé. Selon les garde-côtes anglais, le Ruby est en état de naviguer et attendrait les conditions météorologiques favorables pour se ravitailler en fuel.

 

www.morglaz.org
www.robindesbois.org

* cf. “A la Casse” n°47 p. 90 à 93 “The END. Purple Beach, la hantise du nitrate d’ammonium” (pdf – 17 Mo)
** cf. “A la Casse” n°52 p. 75 Cheshire (pdf – 13,1 Mo)

 

 

 

 

 

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