Pendant la tempête Herminia, la zone refuge de la baie de Seine au large de Barfleur et de Ouistreham a hébergé au moins 82 navires de commerce battant 27 pavillons dont le pavillon russe. Cet abri est dans le prolongement du projet éolien offshore de Courseulles-sur-Mer. Il est utilisé par les navires et les marins du monde entier. La proximité des méga-éoliennes et des navires de commerce au mouillage ou naviguant à vitesse très réduite est dangereuse pour la sécurité maritime, les écosystèmes et le littoral. Au milieu de ce havre de paix internationale, il n’y avait pas de remorqueur de haute mer pour parer à toute éventualité. L’Abeille Liberté était prépositionné au large de Cherbourg pour intervenir en cas de nécessité sur l’autoroute maritime de la Manche.
Capture d’écran MarineTraffic, lundi 27 janvier 2025 à 17h54
En 2015, l’annexe 22 du dossier d’enquête publique du parc éolien offshore de Courseulles-sur-Mer–Port-en-Bessin disait qu’en théorie, la zone refuge comporte 60 positions de mouillage, qu’en pratique elle est utilisée en temps normal par un ou deux cargos et que ce chiffre s’accroît par forts coups de vent d’ouest pouvant alors atteindre la douzaine. Ces déclarations fallacieuses ont été reprises en 2017 par les services de l’Etat et Eoliennes offshore du Calvados, filiale d’EDF Energies Nouvelles, dans le cadre du recours déposé par huit associations dont Robin des Bois devant le tribunal administratif de Nantes.
Le plus gros des navires profitant d’une accalmie relative des vents et des vagues dans la zone refuge de la baie de Seine était le MSC Tessa, OMI 9930038, 399 mètres de long, capacité de 24.114 conteneurs de 20 pieds, pavillon Liberia. Livré en mars 2023, c’était alors “le nouveau plus gros porte-conteneurs du monde”. Le MSC Tessa venait de quitter Le Havre le 24 janvier à destination de Tanger puis de Singapour, Hong Kong et Shanghai. Il a repris sa route le 29 janvier 2025 en début de soirée.
MSC Tessa, Maasvlakte, 8 janvier 2024 © Hans Kraijenbosch
Le plus vieux était le car-ferry Gothica (ex-Stena Gothica, ex-Ask, ex-Arka Marine, ex-Nordic Hunter, ex-Serdica, ex-Seafreight Freeway, ex-Stena Driver, ex-Lucky Rider), OMI 7826867, 43 ans, 171 mètres de long, pavillon Panama depuis septembre 2024. Cette pièce de musée a été revendue à l’âge de 42 ans en septembre 2024 par son armateur Stena Line AS basé à Copenhague (Danemark) à Park Way Investors SA enregistré au Panama aux bons soins d’Universal Maritime Management LLC basé à Odessa (Ukraine).
Le Gothica quitte Ijmuiden (Pays-Bas) le 23 janvier à destination de Misrata (Libye). Il se met à l’abri en baie de Seine à partir du 24 janvier. Dans la nuit du 29 au 30 janvier, il reprend son voyage et annonce se diriger vers Alger. Il ferait mieux de se diriger vers un chantier de démolition.
Gothica, Ijmuiden © Ruud Coster
Le Trio Denizhan (ex-Romi, ex-Arklow Faith, ex-MB Thames) ne reviendra sans doute pas dans l’Atlantique Nord. Lui aussi mériterait de rejoindre la case casse. OMI 8922266. Cargo polyvalent. 33 ans. Longueur 88 mètres, port en lourd 4220 tonnes. Pavillon Saint-Kitts-et-Nevis depuis avril 2024, précédemment Bahamas. Société de classification Det Norske Veritas. Construit en 1992 à Hoogezand (Pays-Bas) par Ferus Smit. Détenu en 2009 à Szczecin (Pologne), en 2011 à Brunsbüttel (Allemagne) et en 2023 à Limerick (Irlande). Revendu en avril 2024 par son armateur norvégien Misje Rederi AS à Trio Denizhan Shipping Corp enregistré au Panama aux bons soins de Goodfellas Denizcilik Ticaret Ltd (Türkiye).
Il quitte Groveport (Royaume-Uni) le 20 janvier à destination de Conakry (Guinée) et se réfugie en baie de Seine à partir du 22 janvier. Dans l’après-midi du 29 janvier, il reprend sa route vers Conakry. Le Trio Denizhan bat pavillon de Saint-Kitts-et-Nevis classé dans la liste “grise” par le Memorandum de Paris. A une détention près, le pavillon Saint-Kitts-et-Nevis a échappé à la liste noire.
Le plus sulfureux est le Unity (ex-March, ex-Beks Swan, ex-Ocean Vela, ex-Ocean Explorer). OMI 9388792. Tanker Aframax d’un port en lourd de 108.929 tonnes. 16 ans. Longueur 245 mètres. Pavillon Russie depuis septembre 2024, précédemment Panama. Société de classification Russian Maritime Register of Shipping. Construit en 2009 à Shanghai (Chine) par Shanghai Waigaoqiao. Propriétaire Argo Tanker Group LLC (Russie).
Le 16 janvier, le Unity quitte le port russe de Primorsk sur la Baltique après avoir chargé du pétrole brut destiné à la raffinerie indienne de Mangalore. Dans la soirée du 23 janvier, il connait des problèmes de propulsion dans le golfe de Gascogne. Il répare, remonte vers le nord à partir du 24 janvier et se met au mouillage en baie de Seine le 27. Mercredi 29 janvier dans l’après-midi, il reprend la route de l’Inde. Argo Tanker Group LLC exploite les pétroliers Dignity et Unity. Le Dignity et Argo Tanker sont sur la liste des navires et des compagnies sous sanction du Trésor américain. Par contre, le Unity semble avoir échappé à la vigilance des Etats-Unis et des membres du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Union européenne). Le Unity ne fait pas partie de la dernière liste des navires sous sanction de l’Union européenne “visant à interdire l’accès de ces navires aux ports de l’Union européenne mais également à interdire à tout opérateur européen de fournir des services à ces navires.” Ces sanctions auxquelles échappe pour l’instant le Unity sont légitimes du point de vue des pays du G7 mais qu’arriverait-il si les pétroliers ou autres navires sous sanction venaient à avoir une avarie grave au large d’un pays de l’Union européenne ou si l’un des membres de l’équipage devait pour des raisons sanitaires être évacué par hélicoptère ?
Unity, septembre 2024 © Alexander Ivanishvili
