La paix pour les éléphants

16 juin 1997

Harare

La Convention de Washington, dite CITES, a pour vocation de réglementer le commerce international des espèces végétales et animales et de leurs dérivés. Or, il y a entre les acheteurs éventuels d’ivoire et certains producteurs d’Afrique australe une incompatibilité majeure : les premiers sont réticents à en acheter dans l’état actuel du marché – y compris au Japon où 60 associations de protection de la nature ont signé un manifeste contre la réouverture du marché de l’ivoire – et les seconds veulent vendre de l’ivoire à tout prix.

A travers la régulation des marchés internationaux de produits animaux et végétaux, la Convention de Washington a évidemment comme but ultime la préservation à long terme des espèces menacées. En l’occurrence, elle s’intéresse donc au Loxodonta africana dans son ensemble et ne peut envisager de moduler ses directives selon les frontières politiques ou administratives. La population d’éléphants d’Afrique est caractérisée par sa continuité biologique à travers tout le continent africain et même si les éléphants sont réputés intelligents, ils ne sauraient assimiler que, par exemple, sur la rive Nord du Zambèze, ils sont protégés par l’Annexe I et que sur la rive Sud – les éléphants sont d’excellents nageurs – ils sont susceptibles de faire l’objet d’un commerce contrôlé. Les propositions des trois pays d’Afrique australe sont inadmissibles en ce sens que les éléphants naturellement migrateurs et reconnus comme tels par la Convention de Bonn sur les espèces migratrices, doivent faire l’objet d’une concertation régionale et interrégionale. En ce sens, l’éléphant est un élément unificateur de tous les pays de l’aire de répartition.

Il est hélas aussi – que ce soit en Afrique occidentale, centrale, orientale ou australe – un élément unificateur pour les trafiquants d’ivoire qui savent qu’à la différence des stocks de viande de baleine, il est impossible de déterminer par analyse génétique l’origine de l’ivoire. La réouverture même partielle ou différée du commerce international serait pour les trafiquants une formidable opportunité. Ils en profiteraient doublement dans ces temps où les transformations politiques et sociales en Afrique centrale désorganisent la gestion des parcs, favorisent les trafics illicites et rendent beaucoup plus difficiles les contrôles douaniers. A cet égard, nous estimons qu’il serait irresponsable de modifier le statut du Loxodonda africana, alors que la délégation de la République Démocratique du Congo est en faveur du maintien en Annexe I et que la majeure partie de l’ivoire braconné dans l’ex-Zaïre transite par les pays d’Afrique australe.

Enfin, si bien entendu il est du devoir de tous, y compris des écologistes en provenance des pays dits riches, de s’intéresser et de participer aux moyens de réduire les conflits entre les populations locales et la faune sauvage en Afrique, nous sommes amenés à constater que dans certains pays proposant le déclassement des éléphants, une gestion équitable des terres fertiles, une meilleure répartition entre les espaces consacrés à la faune sauvage et les espaces réservés aux exploitations minières, à l’agriculture intensive,  à l’horticulture, aux travaux d’irrigation et aux barrages, contribueraient à la résolution des conflits de cohabitation. Il y a là un choix souverain de développement dont les conséquences négatives ne sauraient être partagées par les consommateurs du monde entier.

Pour toutes ces raisons et pour celles qui sont par ailleurs développées par le Species Survival Network, l’association Robin des Bois prie instamment tous les pays européens et d’Afrique francophone de ne pas oublier que l’Europe est un lieu de transit important du commerce licite ou illicite de l’ivoire, et de s’opposer avec intransigeance à toute modification du statut de l’éléphant d’Afrique. Il s’agit de se conformer à la position de l’Inde, qui tout en ayant à régler des problèmes sporadiques de cohabitation ente l’éléphant d’Asie et les populations locales, est à ce jour fermement opposée à toute tentative de réouverture du commerce international de l’ivoire.

 

 

 

 

Imprimer cet article Imprimer cet article