Les 10.000 kms de cours d’eau et de canaux qui font les richesses de la Lorraine, de l’Alsace et de la Champagne-Ardenne sont soumis à des pollutions récidivistes. Les négligences coulent à flot. Il ressort de la veille maintenue par Robin des Bois entre mars 1999 et avril 2003 que 288 épisodes de pollution ont été relatés par la presse écrite régionale. 159 sont provoqués par les hydrocarbures – depuis le fuel jusqu’aux huiles de vidange – 43 par les produits chimiques, 16 par les eaux usées, 6 par les pesticides et les engrais, 6 par l’eutrophisation, 3 par le lisier, 18 pollutions sont diverses, et dans 37 cas la nature de la pollution est inconnue. Les principaux émetteurs de ces pollutions liquides sont les collectivités locales à travers des réseaux d’assainissement défectueux ou inexistants, les entreprises artisanales et industrielles, les agriculteurs et les viticulteurs, les transporteurs routiers et fluviaux et des particuliers. Les pollutions sont traitées comme des troubles du voisinage immédiat, et dans plus de 3/4 des cas, réglées par des arrangements entre les fauteurs présumés et les pêcheurs du coin. Une bonne petite pollution accidentelle avec un rejet de fuel vaguement quantifié et une nappe de 200 m d’une rivière déjà abîmée par les pollutions chroniques revient à 300 ou 500 Euros en moyenne. On peut encore trouver beaucoup de bonnes occases à 150 Euros, soit moins que l’élimination des déchets en filière agréée. Il est vrai que les constats de spécialistes en pollution de la gendarmerie ne s’attardent pas sur les conséquences à long terme. En accord avec les usages en vigueur chez les pêcheurs et du côté des Agences de l’eau, seules les atteintes immédiates et irréversibles au patrimoine piscicole rentrent en ligne de compte; à l’exclusion des planctons, des mollusques, des invertébrés, des fleurs, des oiseaux et des crustacés.
On retrouve sur les canaux gérés par VNF (Voies Navigables de France) les dégazages en vigueur au large d’Ouessant, mais ils sont loin de susciter l’indignation générale et l’action répressive des préfets. C’est d’ailleurs une autre tendance lourde de l’observatoire de Robin des Bois que de constater la retenue des pouvoirs publics et de la justice face à ce vandalisme de tous les jours. Quand elles sont déposées et instruites, les plaintes aboutissent à des amendes à peine plus que symboliques. Il n’est pas étonnant que les deux premières actions de chantage écologique aient eu lieu dans le bassin Rhin-Meuse, au bord de la Chiers, à Givet, dans les Ardennes par les Cellatex et à Longlaville, en Meurthe-et-Moselle, par les Daewoo.
Sur les lieux du crime, les pompiers déploient souvent des barrages inadaptés ou bricolés à base de paille ; la gestion des déchets de marée noire ou d’autres couleurs papetières ou textiles est soumise à l’imagination et au bon sens des intervenants. Les DRIRE restent très discrètes dans ce domaine ; les pouvoirs sanitaires aussi, et de temps en temps, apparaissent de la part des maires ou des responsables des sociétés de pêche d’évasives incitations à ne pas consommer les poissons locaux pendant quelques semaines.
Le palais des consommateurs-pêcheurs et non pêcheurs est encore trop souvent un indicateur de pollution: le seuil de perception gustatif du pétrole est proche du mg/kg, c’est aussi le seuil d’exclusion des assiettes. En France, à ce jour, “ l’indice poisson ”, élaboré dans le cadre du Réseau Hydrobiologique et Piscicole (RHP), prend en compte de façon systématique l’abondance des poissons, la diversité des espèces et l’équilibre entre carnassiers et herbivores. En ce qui concerne les pathologies sanitaires, les constats sont simplement visuels et se limitent aux maladies parasitaires visibles et aux nécroses externes. Pourtant, le poisson est une “ sentinelle ” des milieux aquatiques et un accumulateur de polluants rejetés par les activités humaines.
S’intéresser à l’équilibre des rivières sans se pencher sur la santé des poissons, revient à faire de la médecine sans faire de diagnostic. Le Bassin Rhin-Meuse est un axe essentiel pour la migration des oiseaux d’eau en Europe. Ces polluants rejetés dans l’Est de la France se retrouvent en partie en mer du Nord. Par solidarité et par respect de la biodiversité, il importe de réduire et de maîtriser ces flux de négligence ou de complaisance.