Le remorquage du navire en perdition Ievoli Sun vers la presqu’île du Cotentin et les îles anglo-normandes constitue une erreur stratégique majeure. Ce contre-exemple illustre l’inadaptation des schémas de sauvetage aux nouvelles donnes du transport maritime.
L’Ievoli Sun était un bateau de conception moderne, bénéficiant de ce que des spécialistes et l’unanimité du personnel politique français et européen considèrent comme le nec plus ultra sécuritaire. En vérité, la double coque présente beaucoup d’inconvénients et quelques avantages, dont celui de pouvoir subir sans dommages des échouages accidentels ou volontaires. Les préfectures maritimes de Brest et de Cherbourg sous les pressions contradictoires de sept ministères de tutelle et des préfets de départements littoraux n’ont pu réfléchir ou imposer la seule issue possible : l’échouage volontaire de l’épave à double coque sur une plage de sable qui aurait permis entre deux marées hautes de parer au plus pressé, de mettre en sécurité, puis de pomper dans les conditions optimales les produits embarqués. C’est grâce à un échouage temporaire et volontaire à l’est de Cherbourg que le porte-conteneurs MSC Rosa M a pu être sauvé par l’Abeille Languedoc en décembre 1997.
“Concernant le chimiquier Ievoli Sun, aucun maire n’aurait accepté une telle manoeuvre” dit-on au Ministère des transports. Pour Robin des Bois, l’intérêt général surpasse les priorités locales ou régionales. Il en a été de l’Ievoli Sun comme il en est des déchets. Personne n’en a voulu chez lui. C’est l’extension maritime du syndrome bien connu à terre dans les pays riches, le syndrome NIMBY (Not in my Backyard – Pas dans mon jardin).
Il reste à 69 mètres de profondeur, au milieu de la Manche et d’une zone où le trafic maritime est de forte intensité, un stockage non sécurisé de produits toxiques. Grâce à la double coque et au compartimentage segmenté, presque toutes les cuves ont résisté au naufrage. L’Ievoli Sun a été traité comme un rafiot des années 70 mais sa double coque a empêché la dispersion massive de la cargaison par les courants et les toxiques constituent aujourd’hui une bombe à retardement tirée mais non explosée.
Personne ne peut dire quand et comment les cuves intègres se disloqueront. Quoi qu’en disent les armateurs et les assureurs du Ievoli Sun un relargage provoqué paraît pertinent tandis qu’un relargage accidentel dans des conditions météorologiques défavorables pourrait provoquer des malaises graves et incapacitants sur les habitants des îles anglo-normandes et du Cotentin, sur les équipages des bateaux de pêche et des cargos et sur les personnels des usines nucléaires de la presqu’île de la Hague et de Flamanville.
Robin des Bois recommande la suspension de toutes les activités de pêche dans un large périmètre sur le plateau des Casquets. S’ils étaient en action de pêche au moment de l’arrivée d’une nappe de styrène, les pêcheurs ne pourraient pas évacuer la zone dans des délais raisonnables. Une présence effective de moyens de surveillance et d’alerte doit être maintenue sur zone nuit et jour tant que l’épave n’est pas vide de substances toxiques pour l’homme et pour l’environnement. Les autorités maritimes françaises et anglaises glissent vers la perte de vigilance comme si elles étaient déjà sous l’effet narcotique du styrène.
A noter que des pêcheurs désirant garder l’anonymat ont constaté en face de Barfleur à l’entrée de la baie de Seine des filaments de styrène volant au-dessus de l’eau et se prenant dans les lignes.
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