L’inquiétude grandit chez les grenouilles et les libellules de la réserve naturelle de la Seine. 15 jours après la rupture d’un pipeline reliant Le Havre à la raffinerie de Grandpuits en Ile-de-France, les industriels et les services de l’Etat sont avares d’information. Les communiqués se succèdent, les non-dits aussi.
Le bilan global dépasserait les 1000 t de pétrole brut déversé dans la nature. Le réseau de ruisseaux, de fossés et de mares a été touché sur plus d’1 km de linéaire. La pollution du canal de Tancarville n’est pas écartée. La nappe d’eau souterraine, l’autre réceptacle de la marée noire, s’écoule vers l’estuaire de la Seine. Le bilan environnemental de l’accident ne peut pas être cerné à ce jour. La dégradation est en cours. Les opérations ne sont pas terminées. Le CEDRE (Centre de documentation de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux) est venu sur place et ne communique pas à ce sujet.
Le cas s’apparente à un scénario catastrophe tel qu’il est étudié dans les cellules de crise des usines SEVESO et des préfectures sauf que c’était un évènement réel survenu à l’aube. En parallèle du pipeline fracturé et sous le geyser du pétrole en fuite, 3 autres canalisations souterraines transportant des matières dangereuses liquides ou gazeuses sont susceptibles de subir des dommages collatéraux. Le plus particulier de ces ouvrages est la canalisation destinée au transport de propylène liquéfié. Longue de 31 km, elle relie l’usine de Total Petrochemicals dans la zone portuaire du Havre (ex Atofinam) et l’usine EMCF Lillebonne Polypropylène (ex-Celanese SA, ex-Hoechst) à Lillebonne en amont du Havre. La canalisation est exploitée par la société Transéthylène, filiale de Total. Le propylène est inflammable, les nappes dérivantes explosives ont un potentiel majeur de destruction du bâti et des véhicules, de brûlures et d’incendie secondaires. L’usine Petrochemicals a déjà eu des problèmes avec ses canalisations et tuyauteries internes de propylène en 2012, en 2010 et en 2006 (2 fois).
Oui, un périmètre de sécurité a été pendant plusieurs jours mis en place autour du point de rupture du pipeline. La zone était manifestement traitée comme une zone ATEX (ATmosphère EXplosive). Mais le périmètre a été délimité à minima. A notre sens, il aurait dû inclure dans les premières heures de l’évènement la D982 et l’A131, très fréquentée par les véhicules légers et les poids lourds de matières dangereuses. La circulation fluviale sur le canal de Tancarville aurait dû aussi être interdite.
La marée noire au milieu des prairies à vaches et à génisses confirme le vieillissement et la vulnérabilité des canalisations de transport et des capacités de stockage d’hydrocarbures et autres matières dangereuses liquides ou gazeuses. Après les accidents d’Ambès, estuaire de la Gironde (2007) – ouverture brutale d’un bac de pétrole brut –, de Donges dans l’estuaire de la Loire (2008) – rejet de 500 à 1000 t de fioul lourd dans la Loire à partir d’une canalisation de transfert vers un pétrolier – et de la plaine de la Crau (2009) dans le delta du Rhône – rupture d’un pipeline de pétrole brut dans la réserve naturelle de la Crau et déversement de 5000 t de pétrole –, le Ministère de l’Ecologie a lancé un plan de maîtrise du vieillissement des installations industrielles. Les canalisations de transport sont concernées et les exploitants se sont engagés dans des délais contraints à renforcer les contrôles de vieillissement, la prévention et la maintenance en tous lieux et en priorité dans les milieux naturels sensibles et dans les milieux urbanisés. La nouvelle marée noire survenue dans l’estuaire de la Seine montre que ce plan, 4 ans après, n’est pas suffisamment appliqué.
Il y a 2 ans, une autre canalisation d’hydrocarbures datant des années 50-60 avait pollué les berges de la Seine en aval de Rouen. Depuis 1991, c’est au moins la 5ème fois que le pipeline souterrain reliant Le Havre à la raffinerie Total de Grandpuits est impliqué dans des pollutions par hydrocarbures.
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