Le cercle des déchets disparus dans le Pacifique

7 mars 2013

1 – Le voyage

Après le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 sur la côte Est du Japon, Robin des Bois avait sonné l’alarme sur l’invasion de l’océan Pacifique par les déchets de la catastrophe et sur leur trajectoire circulaire. Robin des Bois avait en outre prédit qu’un courant marginal emmènerait des déchets vers l’Alaska. Deux ans après, ces prévisions se confirment et les Etats riverains du Pacifique Nord commencent à prendre conscience de la gravité et de l’amplitude du problème.

Le Japon estime que 5 millions de tonnes de déchets sont parties à la mer. Ceci équivaut à 10% de la collecte annuelle des déchets municipaux au Japon. Ce volume est peut-être sous-estimé. Sur les 5 millions de tonnes, 3,5 millions auraient coulé rapidement. Au moins 1,5 millions de tonnes sont parties à la dérive au gré des courants et du vent, soit 11 jours de collecte des déchets au Japon.

Les principales catégories de matériaux ou d’objets sont des plastiques, des bois, du polystyrène, du verre, des appareils électroménagers, des engins de pêche et d’aquaculture, des embarcations de tailles diverses, des conteneurs maritimes.

Le Japon a offert 6 millions de dollars aux Etats-Unis et au Canada pour contribuer à la gestion des déchets post-tsunami qui accèdent aux eaux américaines et s’échouent sur le littoral. Un guide d’identification des déchets post-tsunami a été rédigé et publié par le Japon pour aider le Canada et les Etats-Unis. Il cite les déchets potentiellement dangereux.

Selon les dernières expertises américaines, 30.000 à 375.000 tonnes de déchets post-tsunami vont s’échouer sur les côtes de l’Alaska, de la Colombie britannique, de l’Orégon et de l’Etat de Washington. Les arrivées régulières interviendront au moins dans les 4 ans qui suivent le tsunami.

En Alaska, au printemps 2012, des déchets pionniers portant la signature du tsunami sont déjà arrivés sur la côte ou dans les eaux côtières comme des ballons, un conteneur vide et le Ryou-Un Maru un chalutier de 60 mètres de long. Depuis mai 2012, dans le Prince William Sound déjà frappé par la marée noire de l’Exxon Valdez, c’est une marée blanche de fragments et de plaques de polystyrène, de bois et d’emballages domestiques et industriels qui déferle. Ces arrivages s’ajoutent aux arrivages de routine des déchets hors tsunami. Au sud de l’Alaska, les arrivages en 2012 en provenance du tsunami sont estimés à environ 150 kg par km de linéaire côtier.

Le littoral Pacifique du Canada subit les mêmes effets. La Colombie britannique, et aux Etats-Unis l’Orégon, l’Etat de Washington, la Californie cherchent à mettre au point un protocole commun de nettoyage et d’évaluation des coûts économiques.

En effet, dans l’Etat de Washington une recrudescence des arrivages de déchets est signalée sur le littoral depuis avril 2012. Deux échouages exceptionnels ont suscité l’émotion en Orégon et dans l’état de Washington. Les autorités ont considéré comme une priorité le démantèlement sous protocole de ces deux docks flottants en provenance du port tsunamié de Misawa dans la préfecture d’Aomori. Il s’agissait d’éviter la prolifération des espèces marines invasives qui les avaient colonisés et éviter la dispersion du polystyrène pris en sandwich entre les cloisons d’acier fissurées. Des contrôles radiologiques ont été effectués à l’arrivée de ces macrodéchets géants. Ils ont été négatifs.

L’Etat de Washington déplore le manque de coordination et souhaite que le gouvernement et ses agences spécialisées interviennent dans les opérations de recherches, de planification et de nettoyage. L’administration américaine NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) considère désormais que les déchets du tsunami dans l’océan Pacifique constituent un événement majeur.

Le voyage trans-pacifique peut durer entre un et 4 ans selon la flottabilité et la prise au vent des déchets. Les déchets sont transportés par le Courant du Pacifique Nord. Le flux principal contournera le nord de l’archipel de Hawaï à partir de la fin de l’année 2013. Déjà en première vague, des esquifs en polyester, des ampoules électriques, des casques de protection, des bouteilles post-tsunami ont atterri au nord de l’archipel. Les déchets approcheront ensuite la Californie et le Nord du Mexique, s’y échoueront en partie, contourneront le sud des îles Hawaï et alimenteront la convergence subtropicale plus connue sous le nom de « Plaque de déchets du Pacifique Nord ».

Cette zone, dont la superficie totale serait de plusieurs millions de km2, concentre en surface et en profondeur des déchets qui ont une faible prise au vent et qui perdent progressivement leur flottabilité et leur vélocité. Il s’agit en particulier de fragments de plastiques, de déchets colonisés et alourdis par des organismes marins ou des sédiments en suspension, typiquement des bâches en plastique ou des sacs en plastique ou des filets de pêche ou morceaux de filets de pêche qui capturent en surface d’autres déchets et finissent par couler.

Les déchets les plus résistants, intacts ou fragmentés et les plus flottants pourront revenir au nord du Japon dans la décennie 2020-2030 après un premier tour de l’océan Pacifique Nord.

Beaucoup de dommages resteront difficilement perceptibles dans un océan qui couvre 35 millions de km2 et dont la profondeur moyenne est de 4.200 mètres. Il n’y a pas encore de programme international impliquant tous les Etats riverains de l’océan Pacifique Nord sur le suivi à long terme des déchets flottants ou immergés antérieurs au tsunami ou postérieurs (Philippines, Taiwan, Chine, Corée du Sud, Japon, Russie, Etats-Unis, Canada, Mexique,…). L’ampleur de cette catastrophe pourrait inciter les Etats riverains à mobiliser leurs moyens logistiques pour capturer un maximum de déchets aussitôt après un évènement majeur et pour, dans un deuxième temps, fédérer leurs capacités de surveillance.

 

2 – Effets sur l’écologie marine
– Artificialisation et pollution des fonds ;
– Dégradation de l’habitat des organismes benthiques et de leur état sanitaire ;
– Perturbations physiques et chimiques des frayères de sardines, d’anchois, de harengs, de thons et autres poissons, les œufs et les larves dérivant à la surface de la mer en association avec les nappes de déchets ;
– Contamination des animaux terrestres qui se nourrissent en partie de la laisse de mer ;
– Contamination des poissons et des oiseaux marins comme l’Albatros de Laysan par l’ingestion de particules de plastique : perte d’appétit, de mobilité, trouble de la croissance. Les particules et fragments de plastique concentrent les polluants chimiques rejetés dans le milieu marin. Plusieurs espèces sont visées dont le thon rouge. L’ingestion de plastique peut aussi provoquer des étouffements, notamment chez les tortues marines et chez les mammifères marins ;
– Pêche fantôme par les engins de pêche à la dérive. Le tsunami de mars 2011 en est une source importante puisque 28.000 bateaux de pêche ont été détruits ou emportés. La pêche fantôme passive se pratique quand les filets sont en phase de descente dans les fonds et sur les fonds ; les filets fantômes capturent des phoques, des otaries, des mammifères marins, des poissons, des crustacés. Les filets de pêches abandonnés sont des tueurs en série non bio-dégradables.
– Une attention particulière sur ce sujet de la pêche fantôme doit être portée aux phoques moine d’Hawaï, une espèce dont la disparition pourrait être accélérée par l’arrivée de nombreux filets de pêche post-tsunami menaçant de les piéger. On peut avoir la même crainte pour les tortues imbriquées du nord-ouest de l’archipel.

3 – Effets sur la sécurité maritime
Les risques de collision des navires de surface (cargos, pêche, plaisance) ou des sous-marins avec des bois ou des conteneurs ou d’autres objets lourds dérivant à la surface ou entre deux eaux sont importants et dureront pendant plusieurs décennies. Ce risque existait déjà avant le tsunami mais il est maintenant aggravé.

 

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