Les déchets du tremblement de terre et du tsunami au Japon Rapport d’étape – septembre 2011

1 sept. 2011

1. La contagion radioactive
Le 11 mars 2011, c’est le vide juridique au Japon pour les déchets radioactifs diffus d’une catastrophe nucléaire. La Loi en vigueur sur la gestion des déchets place sous la responsabilité technique et financière des collectivités territoriales les déchets des catastrophes naturelles à l’exclusion cependant des déchets radioactifs ; la Loi sur la réhabilitation des sols pollués exclut de son périmètre les sols et déchets radioactifs ; la Loi sur la gestion des matières et des déchets radioactifs concerne seulement l’emprise des établissements nucléaires. Aucun enseignement n’a été tiré des accidents antérieurs sur le sol japonais et en Ukraine. Le cas des fuites accidentelles d’un réacteur transformant bien au-delà de son périmètre les végétaux, le bâti, la voirie, les milieux urbains, naturels, aquatiques en déchets radioactifs n’est pas envisagé.

Au Japon, la principale voie d’élimination des déchets est l’incinération. Il y a plusieurs centaines d’incinérateurs établis en milieu urbain. Dès la fin du mois de mars sont repérées des cendres contenant 100.000 à 140.000 Bq/kg « d’une substance radioactive inconnue ». Avant l’alerte, une partie de ces cendres avait été incorporée selon l’usage dans la production commerciale de ciment. La contamination des cendres provient de la concentration de la radioactivité intégrée à la biomasse. Les végétaux, les feuilles des arbres, les écorces, les mousses, les haies, les herbes, les cultures servent de premier réceptacle aux dépôts atmosphériques radioactifs. Il semble que dans un réflexe de sauvegarde de la propriété privée les citoyens se soient rués sur les tondeuses, les tronçonneuses, les faucheuses, pour se débarrasser massivement des végétaux suspects juste avant ou après les premières explosions des réacteurs de Fukushima Daiichi. Dans un deuxième temps, ces déchets verts ont été brûlés dans les incinérateurs de déchets ménagers. Les cendres concentrent dans un ordre de grandeur de 10 fois la radioactivité des déchets incinérés.

Depuis la mi-mars la contamination radioactive s’est répandue dans la moitié nord de l’archipel sans déclencher de mise en garde officielle, de consignes techniques et comportementales, ni même de solidarité interrégionale. Ainsi, conformément à un accord signé 10 jours avant la catastrophe, les incinérateurs de Matsudo dans la préfecture de Chiba ont exporté dans la préfecture d’Akita, distante au nord d’environ 500 km, 40 tonnes de cendres contenant près de 50.000 Bq/kg de césium 137. Elles ont été partiellement enfouies dans la décharge de déchets ménagers de Kosamachi. Six conteneurs non ouverts ont été renvoyés aux expéditeurs et la ville de Matsudo a ouvert sur un parking un entreposage provisoire de ces cendres tout en annonçant qu’à la fin du mois d’août il sera saturé.

Les boues de potabilisation des eaux destinées à la distribution et des stations d’épuration des eaux usées sont aussi devenues des déchets radioactifs. Elles ont concentré la radioactivité des eaux pluviales et superficielles provenant du lessivage des toitures, du bâti, de la voirie, des voitures, des milieux naturels et des eaux usées. Un rebond de radioactivité est prévisible après les inondations catastrophiques de cet été.

A la mi-juin, le ministère de l’Environnement japonais émet enfin des recommandations :
– Entre 100 et 8.000 Bq/kg de césium 137, les cendres et les boues peuvent être déposées dans des décharges d’ordures ménagères. La circonscription de Tokyo en a enfoui 6.000 t dans un parc de décharges au bord de la baie.
– Entre 8.000 et 100.000 Bq/kg, les déchets pourront être enfouis dans des sites sécurisés à désigner ou dans les sites existants dédiés aux déchets industriels. Des précautions constructives telles que des toitures, la pose de géomembranes d’étanchéité ou de conditionnement comme l’encapsulage des fûts de déchets dans du béton devront être prises pour réduire la pollution des eaux souterraines.
– Au dessus de 100.000 Bq/kg, les déchets devront être confinés dans des emballages étanches et le périmètre d’entreposage sera entouré de palplanches en béton pour absorber les radiations. Les sites restent à désigner et les refus des populations riveraines commencent à affluer.

A titre de comparaison, en France, des déchets contaminés par 100 Bq/kg de césium 137 sont normalement considérés comme TFA (Très Faiblement Actifs) et à partir de 8.000 Bq/Kg comme des déchets Moyennement Actifs. Tous ces déchets sont destinés à être stockés dans les sites spécialisés de l’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs).

Au 30 juillet, selon les informations diffusées par le ministère japonais de la Santé, 37.000 tonnes de boues doivent être considérées comme des déchets radioactifs.

Fin août, le ministère de l’Environnement déclare que les cendres de 42 incinérateurs dépassent le seuil de 8.000 Bq/kg et le service public de radio et télévision Nihon Hoso Kyokai (NHK) considère qu’il y a désormais 50.000 tonnes de boues radioactives. Certaines stations de traitement des eaux ont dû suspendre leur activité, les travailleurs étant exposés à des doses inacceptables de radioactivité.

C’est seulement à partir du 28 juillet que le gouvernement japonais a envisagé d’élaborer une loi plaçant sous la responsabilité technique et financière de l’Etat les déchets radioactifs disséminés dans la préfecture de Fukushima et dans les autres préfectures impactées. Cette loi n’est pas encore promulguée et elle exigerait de TEPCO et de tous les exploitants de réacteurs nucléaires de financer la gestion des déchets.

Faute d’avoir anticipé ce type de contagion radioactive, le Japon est en train de contaminer ses moyens logistiques en même temps que son réseau de traitement des déchets ménagers et d’assainissement.

2. Par millions de tonnes
Au mois de mai 2011, le gouvernement a publié un plan de gestion de déchets du double désastre tremblement de terre et tsunami : le tri est encouragé. Les rôles des trois échelons, gouvernemental, préfectoral, territorial, sont rappelés et définis. La coopération pour l’élimination des déchets entre les préfectures et les régions est encouragée. Les risques amiante, bois traités, dioxines, déchets toxiques dans les épaves de voitures et de navires sont soulignés. Pas un mot sur la radioactivité.

Le bilan global des déchets post-tremblement de terre et tsunami reste imprécis : 25 millions de tonnes selon le gouvernement, 80 millions selon des experts du Japan Research Institute, 100 millions de tonnes selon la radiotélévision nationale japonaise, environ la moitié de la production annuelle de déchets ménagers sur l’ensemble de l’archipel japonais selon l’université de Kyoto ou 15 fois la production annuelle des trois préfectures les plus sinistrées, Fukushima, Iwate et Miyagi. Dans la commune portuaire d’Ishinomachi, les déchets du tsunami équivalent à 100 ans de collecte. Le regroupement des déchets bruts ou triés sur des sites provisoires prendra encore deux à quatre ans selon les estimations, sans parler de la phase complexe du recyclage, de l’élimination et de la surveillance qui s’étendra sur deux à trois décennies.

La phase préliminaire des regroupements se heurte à une crise des espaces disponibles. Les stockages provisoires s’installent dans les parcs, les stades, les friches, les tarmacs. Cet apport considérable et soudain s’inscrit dans une pénurie de décharges légales. Le recyclage de tous les matériaux est compliqué par la présence ou la suspicion de contamination radioactive et par les dépôts de sel pour les déchets végétaux ou de démolition submergés par le tsunami. L’incinération et la co-incinération dans les cimenteries sont encouragées par le gouvernement, par les préfectures et les collectivités pressées de réduire les volumes de déchets tandis que la contamination radioactive et les dépôts de sel ralentissent ou empêchent ces opérations. Le sel en excès est un polluant pour le ciment et les végétaux qui en sont imprégnés dégagent des dioxines au moment du brûlage. Le cumul des déchets de bois atteindrait 20 millions de tonnes. Il est aussi redouté et constaté autour des gravats de démolition une « ambiance » amiante élevée. La Loi sur l’interdiction totale de l’usage de l’amiante date seulement de 2006.

Dans les trois préfectures cibles du tsunami, un million de tonnes de déchets de métaux serait à terme disponible s’ils sont extraits du magma de démolition et triés mais là encore le recyclage en deuxième fusion va poser à cause de la radioactivité des problèmes d’acceptabilité technique et des risques ultérieurs pour les populations générales au Japon et ailleurs si ces ferrailles sont exportées.

Cet été un nouveau facteur aggravant est apparu. Les déchets ont été envahis par des millions de mouches ou autres insectes attirés par les produits alimentaires en décomposition et l’humidité. 200.000 tonnes de poissons et autres produits de la mer stockés dans les congélateurs industriels portuaires détruits ont été avariés. Des pulvérisations massives d’insecticide ont été réalisées par l’armée ou des travailleurs intérimaires dans les ports de pêche courant juin. Par dérogation du ministère de l’Environnement au moins 55.000 tonnes de produits de la mer en voie de décomposition ont été immergées à 50 milles du littoral.

Les boues et sédiments générés par le tsunami pourront être immergés sous certaines conditions susceptibles d’interprétations multiples, ce qui ouvre la voie à de nouvelles inquiétudes pour la mer et ses ressources. 130 usines mettant en œuvre et stockant des produits toxiques ont été dévastées ou endommagées par le tsunami. Des centaines de marées noires ont été visibles à l’œil nu. 25.000 hectares de terre, de serres et de coopératives agricoles ont été lessivés. Les boues et les sédiments sont polypollués.

Le corps médical remarque chez les populations les plus exposées des problèmes respiratoires, asthmatiques, cutanés, oculaires, un ensemble de pathologies déjà remarquées après d’autres catastrophes où les rescapés ont été soumis à l’inhalation et aux envols de composés et poussières toxiques.

 

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Ce rapport d’étape a été réalisé par Jonathan Senin, Miriam Potter, Charlotte Nithart, Christine Bossard et Jacky Bonnemains.

 

 

 

 

 

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