Trois personnes intoxiquées, 10 sites contaminés, de l’arsenic dans les caves, les rivières, les lacs et les prairies, un trafic de pesticides associant élus et entrepreneurs locaux: les filières de l’arsenic dans le midi de la France sont caractéristiques des collusions criminelles entre pollueurs et du laisser-aller de l’administration dans la surveillance et la traçabilité des sites pollués.
Une plainte pour tentative d’empoisonnement et empoisonnement a été déposée en avril 2001 auprès du Tribunal de Montpellier par Éric Vignon, propriétaire du moulin du Bosc, à Lodève dans l’Hérault, où les premières tonnes d’arsenic ont été découvertes. En 1995, lorsqu’il achète le moulin à un curé de Mende, Éric Vignon n’est pas informé de la pollution du bâti et des sols et ignore que le site est repéré par les premiers inventaires nationaux des sites pollués édités par le Ministère de l’environnement. Il sera exposé à l’arsenic avec sa compagne jusqu’en 2001. Tous deux présentent des teneurs en arsenic dans l’organisme inquiétantes. Leur petite fille née en juillet 2002 souffre de pathologies qui pourraient être liées à l’exposition des parents. Pourtant, sur la base d’une enquête tardive et si discrète que certains des principaux acteurs n’ont pas été entendus, le juge estimerait pouvoir clore l’instruction sans poursuites le 29 septembre 2002. Mise en danger de la vie d’autrui, empoisonnement, pollutions des sols et de l’eau, trafic de déchets toxiques, pour le Tribunal de Montpellier il n’y aurait rien à juger. Et pourtant: les habitants du moulin sont empoisonnés, le sol et les bâtiments sont toujours pollués en profondeur par l’arsenic, les commanditaires de la dispersion des déchets toxiques sont connus, plusieurs exécutants vivent encore dans le lodévois.
Le président du directoire de la Compagnie du Bas-Rhône Languedoc, plus connue sous l’acronyme BRL, pourrait par exemple expliquer dans quelles conditions cette société publique a débarrassé les emprises de la mine d’Avène des milliers de tonnes de déchets arséniés abandonnés par Penarroya, l’ancien exploitant. Il pourrait surtout révéler le nom des sous-traitants locaux, ferrailleurs et transporteurs, recrutés pour effectuer ce travail. L’actionnariat majoritaire de BRL est constitué de la Région Languedoc-Roussillon, des départements de l’Hérault, du Gard, de l’Aude, des Pyrénées-Orientales, et de la Lozère. BRL est dirigé par le président du Conseil général de l’Hérault.
EDF-GDF pourrait confier à la justice le nom du sous-traitant local auquel elle fit appel dans les années 70 pour remblayer les fosses à goudrons de l’usine à gaz de Lodève. Cet entrepreneur de BTP réalisa les travaux avec de l’arsenic puisé dans le stock du moulin du Bosc.
La DRIRE Languedoc-Roussillon pourrait aussi expliquer pourquoi elle oublia, ou s’abstint de contrôler en 1978 au moulin du Bosc les conditions de déstockage de 478 tonnes d’arsenic, dont une grande partie a en fait été enterrée sur place.
24 ans plus tard, le préfet de l’Hérault qui, le 23 avril 2002, a émis un arrêté mettant en demeure Metaleurop -successeur de Penarroya- de procéder “sous trois mois ” à la remise en état complète du moulin de Lodève, n’a pas jugé non plus utile de s’assurer de l’exécution des travaux. Rien n’a donc été fait.
L’État, le Conseil général de l’Hérault, BRL, Metaleurop ont à répondre de leurs rôles respectifs dans cette affaire. Le Tribunal de Montpellier ne doit pas se laisser impressionner par l’influence politique ou économique de ces protagonistes. La clôture de l’instruction le 29 septembre sans poursuites serait un déni de justice à une famille empoisonnée, et un coup tordu à la réhabilitation des sites pollués.
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