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Le statut de déchet est un instrument juridique majeur pour endiguer et dénoncer des pratiques professionnelles et commerciales soumises aux tentations de profits immédiats et considérables.
Sont là pour le prouver les scandales des fûts de Seveso entre l’Italie et la France, le scandale des cargos poubelle errant à la recherche de terres d’asile pour les déchets produits par l’industrie chimique européenne, le scandale des résidus de fuel frelaté répandus à Abidjan par le Probo Koala, le scandale des millions de pneus usés, d’ordinateurs déclassés et de matériels roulants sous-normes déversés en Afrique et en Asie par des porte-conteneurs apatrides et des voituriers italiens.
Seul le statut de déchet permet la traçabilité de ces cargaisons dangereuses et humiliantes pour les populations destinataires et dégradantes pour leur environnement.
Par le biais du projet de loi « portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français », le gouvernement français veut bouleverser la donne et rebattre les cartes dans le poker souvent menteur des déchets (1).
Dans un premier temps, la Commission consultative sur la sortie du statut de déchets vient d’être dissoute (2) alors qu’elle avait été renouvelée en août 2017. Cette formation collégiale dirigée par le Ministère de l’Ecologie avait pour mission d’examiner les conditions techniques et contractuelles dans lesquelles des flux particuliers de déchets pouvaient prétendre au statut de produits après un traitement phasé, calibré, surveillé par les services de l’Etat et exclusivement mis en œuvre dans des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement ou encadrées par la législation Eau.
Le projet de loi qualifie l’obligation de traitement des déchets dans une installation dédiée de « complexification administrative peu utile et génératrice de coûts ». Ces propos arbitraires négligent les risques et les coûts sanitaires et environnementaux auxquels sont exposés les manipulateurs de déchets, les populations et les écosystèmes.
Des dossiers « explosifs » étaient dans l’antichambre de la défunte Commission sur la sortie du statut de déchets. La filière pneus cherche à faire sortir de la liste des déchets les pneus usagés et à les transformer de facto en produits. De même, Altéo veut que les boues rouges de l’usine d’alumine de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône ne soient plus classées comme des déchets et deviennent des produits.
Tous les flux des déchets informatiques, électroménagers et ludiques, contenant des substances toxiques autorisées à l’époque de la commercialisation et interdites au moment de leur abandon sur la voie publique ou dans les déchetteries ou de leur don à des entreprises caritatives ou d’insertion pourraient eux aussi devenir d’un coup de baguette politique des produits et échapper à la compétence de la Convention de Bâle sur le transfert transfrontalier de déchets (3).
Une note interne à l’ex-Commission consultative sur la sortie du statut de déchets et rédigée par les services du Ministère précise « qu’Emmaüs, aujourd’hui opérateur principal, travaille relativement bien concernant l’acceptation ou le refus en amont de biens pouvant ou non être réemployés ». La note ajoute « qu’il est toutefois envisageable qu’une entreprise frauduleuse se positionne comme entreprise de préparation en vue du réemploi et en profite pour faire du trafic international de déchets. »
Le trafic national de déchets réputés inertes, non dangereux et dangereux avec les risques bien connus de fausses appellations et de dilution profitera aussi de cette loi si elle est adoptée. Robin des Bois pense en particulier aux terres polluées excavées sous et sur le « Grand Paris » exportées dans les carrières de Normandie et de Picardie par camions ou étalées en remblais sur les prairies.
Au lieu de favoriser une économie circulaire durable et fiable d’où tous les toxiques seraient éjectés, le gouvernement s’il va au bout de ses ambitions grâce à la complicité des sénateurs et des députés va favoriser une économie souterraine porteuse de risques sanitaires et environnementaux.
(1) Cf. article 15. https://www.senat.fr/leg/pjl18-010.html
(2) https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000037518904
(3) La Convention de Bâle sur le transfert transfrontalier de déchets quantifie les flux et les mouvements des déchets, met en lumière les trajectoires et les exutoires des producteurs de déchets et donne aux puissances publiques les moyens de piloter ces flux sortis notamment des caves, des greniers et des garages des pays en surchauffe de consommation.
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