Accident à la raffinerie de Donges. Week end du 16 mars, 30 ans après l’Amoco Cadiz.
Eléments d’information, de comparaison et d’interrogation.
1- La raffinerie Total de Donges est l’un des plus gros émetteurs atmosphériques de soufre en Europe. Elle est à l’origine de plusieurs pics de pollution dans l’estuaire de la Loire. Contrairement à l’ensemble des industries, ses rejets atmosphériques sont en augmentation : 10.507 t en 2005. Le fuel pour navire qui était en cours de chargement sur l’Ocean Quest est une des spécialités de la raffinerie de Donges. Sa teneur en soufre est de 2,2 %. Il provient en particulier du « craquage » de coupes pétrolières que d’autres raffineries n’ont pas les moyens de « valoriser ». Ces résidus de distillation qualifiés de « résidus atmosphériques » sont ou ont été souvent importés à Donges depuis les pays baltes et en particulier de Lithuanie, quand la rafffinerie était exploitée par Elf. Les spécifications du fuel marine produit à Donges sont au dessus des teneurs fixées par la directive européenne 2005 / 33. Dans ce cadre, depuis 2007, une teneur inférieure à 1,5% est d’ores et déjà imposée dans la Manche, la mer du Nord et la mer Baltique ; grâce à l’action conjointe de l’Union Européenne et de l’Organisation Maritime Internationale, cette restriction devrait être étendue rapidement au monde entier.
A l’horizon de 2010, la teneur en soufre des combustibles utilisés par les navires dans les eaux intérieures et dans les ports de l’Union Européenne ne devrait pas dépasser 0,1%. Selon des études récentes, les émissions atmosphériques de soufre en provenance de la flotte mondiale posent des problèmes sanitaires en particulier dans les pays riverains de la Manche et dans le détroit de Malacca et seraient responsables du décès de 15.000 à 60.000 personnes par an. Le sous-produit soufré de la raffinerie de Donges n’a donc aucun avenir et sa commercialisation est d’ores et déjà mise en question par l’évolution de la réglementation.
La raffinerie de Donges est un outil vieillissant. D’après des sources internes, le site est en manque de maintenance et le départ négocié des travailleurs historiques exposés à l’amiante n’a pas été compensé par une bonne transmission du savoir auprès des nouveaux employés, quand les postes ont été renouvelés. Les calorifugeages des canalisations anciennes sont en matériaux amiantés et leurs remplacements ou les travaux de maintenance exigent des précautions particulières et des chantiers de longue durée.
La raffinerie de Donges est dans un contexte élevé de risques industriels. Cette partie médiane de l’estuaire de la Loire abrite en effet plusieurs établissements classés Seveso seuil haut ; l’encerclement du centre butanier d’Antargaz par la raffinerie Total pose des problèmes complexes de superposition des risques pétrole et gaz et à l’évidence la tierce expertise qui a été demandée par les pouvoirs publics en 2005 n’a pas apporté de clarification satisfaisante. Il est significatif de constater que l’épandage accidentel d’hydrocarbures issus d’une canalisation gérée par Total s’est produit au pied des sphères de gaz liquéfiés gérées par Antargaz. De plus, ce binôme Seveso seuil haut est traversé par une ligne ferroviaire voyageurs et les TGV Paris/Saint-Nazaire de 16 h 49 et 20 h 09 (heures d’arrivée) et Saint-Nazaire/Paris de 18 h 21 et 19 h 21 (heures de départ) sont passés à 100 m du lieu de l’accident comme si de rien n’était, dans l’après midi et la soirée du dimanche 16 mars alors que lors d’accidents similaires ou dans les scénarios prévisionnels une des premières précautions est d’interdire la circulation des trains dans le périmètre sinistré ou sinistrable. Contrairement à la doctrine applicable dans les établissements Seveso, les effets domino n’ont pas été anticipés dans le bassin des risques industriels des ports de Donges et de Montoir. Il est ainsi particulièrement déplorable que le terminal méthanier GDF de Montoir n’ait pas immédiatement été informé de la présence d’hydrocarbures dans la Loire. GDF utilise l’eau du fleuve pour réchauffer le gaz liquéfié. Ce n’est que dans la journée du lundi 17 mars que GDF Montoir a réduit ses capacités. La sécurité des zones industrielles et portuaires est un enjeu majeur pour les populations riveraines et l’environnement. Le mutisme des pouvoirs publics dans cette affaire, hors la visite éclair du ministre concerné, est inquiétant. Les pouvoirs publics sont bouche bée. Aucun spécialiste n’ignore que l’interface industrie / trafic portuaire mérite d’être beaucoup plus surveillée et encadrée.
Pour se mettre en conformité par rapport aux exigences de sécurité mais aussi à celles du marché, Total doit sur son site de Donges réaliser des investissements considérables. A défaut, cette raffinerie sous-normes serait dans les prochaines années condamnée à la fermeture au moins partielle et aurait pour vocation selon des informations fiables à servir principalement de lieu de stockage. Si cette option se confirme, les risques seront majorés par la réduction des investissements de maintenance. La fin de vie d’un process industriel expose les travailleurs et l’environnement à une dégradation globale des niveaux de sécurité, comme pour les navires dont la démolition est programmée.
Gestion de crise
Les accidents ou catastrophes technologiques ne sont jamais exactement les mêmes. Il y a toujours des variations dans la quantité et la qualité des produits contaminants et dans les milieux naturels ou humains périphériques. Cependant, certains épisodes sont analogues et permettent des comparaisons au moins dans la gestion de la crise. C’est pourquoi il est intéressant de comparer les réactions initiales dans les épisodes marées noires d’Ambès en 2007 et de Donges en 2008. Les 2 sites sont assujettis à la directive Seveso n° 2 et considérés comme des établissements à seuil haut. Tous les sites classés dans cette catégorie doivent disposer d’un Système de Gestion de Sécurité et déclencher un Plan d’Urgence Externe si l’épisode accidentel est susceptible d’avoir des conséquences pour la sécurité des populations et des industries ainsi que pour l’environnement à l’extérieur de leurs périmètres.
Ambès
Estuaire de la Gironde / Société Pétrolière du Bec d’Ambès
Vendredi 12 janvier 2007 – 8 h
Effondrement d’un bac de stockage de pétrole brut.
Conséquences : plusieurs dizaines de tonnes de pétrole dans la Gironde ; possibles concentrations de vapeurs explosives dans l’air en limite du site et à l’extérieur.
Actions réflexes : neutralisation des sources électriques sur site et en périphérie. Interruption des activités sur les appontements voisins. Interruption du trafic fluvial, du trafic SNCF. Mise en sécurité de la centrale nucléaire du Blayais ; alerte et pose de dispositifs anti-hydrocarbures dans le chenal d’amenée des eaux de refroidissement.
Donges
Estuaire de la Loire / Raffinerie Total
Dimanche 16 mars 2008. Heure indéterminée.
Fuite d’une canalisation d’approvisionnement des navires.
Conséquences : épandage de 400 à 1000 t d’hydrocarbures sur les rives de la Loire et dans la Loire ;. atmosphère potentiellement explosive en limite du site et à l’extérieur.
Actions réflexes : se débrouiller par ses propres moyens et omettre la communication externe en direction des industries, des populations riveraines et des médias régionaux dont il est prévu qu’ils soient associés à la diffusion de l’information et des consignes.
2- Il est surprenant de constater que c’est seulement après cet incident représentatif de la vulnérabilité de l’environnement naturel et industriel d’une raffinerie que « des inspections physiques exceptionnelles de toutes les canalisations en bordure des plans d’eau ou des zones éco-sensibles » ont été déclenchées par l’exploitant dans tous ses établissements analogues. L’impact sur la faune et la flore sauvage et sur les animaux d’élevage dans les roselières, vasières, marais et prairies de l’écosystème estuarien sera très difficile à quantifier, à chiffrer et à réparer. L’épandage de plusieurs centaines de tonnes de fuel marine échappées de la canalisation défectueuse a imbibé la roselière et le marais attenants. Cette source initiale agira à long terme comme un réservoir avec des effets de remobilisation et de diffusion des hydrocarbures. Les premières conclusions de l’enquête interne de Total n’évoquent pas les difficultés à décontaminer ce site résiduel naturel enclavé dans le périmètre industriel.
L’engagement à prendre en charge l’ensemble des coûts « avérés » soulève des incertitudes sur la volonté de l’industriel à évaluer la dégradation de toutes les fonctions biologiques et à les réparer. Nous pensons par exemple aux espèces végétales, planctoniques et benthiques non commercialisées indispensables à l’alimentation des soles, des éperlans, des sprats et des bars sur les bancs de Bilho et de Pipy et à tous les peuplements qui font des marais maritimes des sanctuaires de biodiversité. Dans de tels écosystèmes, il est facile pour les hydrocarbures et autres polluants de rentrer, il est pratiquement impossible de les en faire sortir.
Pour ce qui concerne les animaux terrestres, l’insinuation des hydrocarbures dans le milieu naturel ou agricole enrichi par le fleuve commence à contaminer par voie externe et sans doute interne des animaux d’élevage ; les conséquences écologiques vont déboucher sur des conséquences économiques, voire sur des risques sanitaires pour les consommateurs. Il est urgent de prêter autant d’attention aux animaux d’élevage qu’aux oiseaux sauvages. Robin des Bois suggère la création d’une Ligue pour la Protection des Vaches (cf. reportage photos).
Pour ce qui concerne l’avifaune, le rapport de la commission d’enquête du Sénat en avril 1978 relevait déjà que les marées noires, en l’occurrence celle de l’Amoco Cadiz, touchent directement les oiseaux mais aussi indirectement en ce sens que nombre d’entre eux utilisent des végétaux contaminés pour construire leurs nids. Là encore, l’imprégnation de l’environnement semi-aquatique expose les oiseaux à des contaminations internes consécutives à l’ingestion de proies polluées.