Tranquillement, Gaumont Cinéma continue la construction d’un complexe multisalles dans la banlieue du Havre, sur un terrain marécageux et inondable exhaussé avec des mâchefers, des cendres, des bidons, des plastiques, du lisier, des boues toxiques. Les mâchefers et les cendres relarguent dans un sous-sol détrempé l’arsenic et les dioxines de l’incinérateur de la ville du Havre. L’incinérateur d’ordures ménagères et de déchets industriels banals du Havre n’est pas un modèle du genre. Les 8.000 tonnes de mâchefers incriminés ont été amenés en 1988 et c’est seulement en 1996 que l’UIOM du Havre a été équipée d’un séparateur de mâchefers d’une part et des cendres et résidus d’épuration d’autre part. Les cendres et REFIOM contiennent des dioxines. Il reste en France 4 incinérateurs de ce type et leurs déchets sont tous envoyés dans des centres de stockage spécialisés.
Les boues proviennent du lit de la rivière mitoyenne, la Lézarde. Dans la Lézarde, à vocation salmonicole, dévalent les caddies échappés de la zone commerciale du Grand Havre, les pertes de pipe-lines désaffectés et mal purgés, les eaux de parking. Les boues de curage de la Lézarde sont contaminées. Selon la préfecture régionale de Rouen, elles devraient en fait être considérées comme des déchets industriels spéciaux et stockées en décharge réservée.
L’arrêté préfectoral émis le 3 mars 1998, soit 15 jours après le début des travaux, prescrit à Gaumont de réaliser une étude simplifiée des risques conforme au guide de gestion des sols potentiellement pollués.
Ce diagnostic réalisé par Antéa, filiale du BRGM, constate que le terrain est une décharge sauvage et que l’impact sur la Lézarde de l’arsenic et des sulfates est significatif. Elle démontre aussi que les pollutions du sol sont complexes et multiples, associées à des “odeurs indéterminées”. Ces informations sont à rapprocher des analyses en date du 25 juin 1997 effectuées par la MIRSPAA (Mission Interdépartementale pour le Recyclage des Sous-Produits de l’Assainissement en Agriculture) en vue de la faisabilité d’un épandage agricole des boues de la Lézarde. La MIRSPAA relève que les micropolluants métalliques et les PCB sont présents en teneur importante au niveau de la zone commerciale et de son extension et que les teneurs importantes en hydrocarbures sont des facteurs limitants de l’épandage. L’émergence des PCB à ce niveau reste pour le moment inexpliquée. Ni les PCB, ni les dioxines ne font partie des substances à rechercher dans le cadre de l’arrêté préfectoral.
Mais le rapport de synthèse d’Antéa conclut que le site pollué ne nécessite pas de décontamination et qu’il est classable parmi les sites à surveiller. En s’appuyant sur la circulaire du 9 mai 1994 sur l’élimination des mâchefers d’incinération des résidus urbains, Antéa affirme que les mâchefers d’exhaussement de la parcelle Gaumont s’apparentent à des mâchefers valorisables et préconise par conséquent le maintien de tous les matériaux pollués sur le site. Antéa ne précise pas que cette circulaire est consécutive à “des études approfondies sur les caractéristiques des mâchefers issus des unités d’incinération les plus performantes”. La même circulaire interdit de déposer des mâchefers à moins de 30 mètres de tout cours d’eau et l’utilisation de ces mâchefers doit se faire en dehors des zones inondables. Avant que les remblais toxiques arrivent sur place, la parcelle était le domaine des roseaux, des mares et des grenouilles. Aujourd’hui encore, des sources traversent le site pour rejoindre la Lézarde et récemment, à la suite d’orages, des voiries ou terrains voisins ont été inondés. Gaumont Cinéma veut accueillir ici 2000 personnes réparties dans 10 salles avec un espace paysager et un parking gardé de 600 véhicules. Les eaux pluviales de ce parking secondaire seraient raccordées au déshuileur-décanteur du parking primaire de la zone commerciale et de la station essence Mammouth. Ce dispositif est considéré par les services de la DRIRE comme sous-dimensionné et inefficace. Il contribue à la pollution en hydrocarbures de la Lézarde. La DIREN (Direction Régionale de l’Environnement) demande depuis des mois, et en vain, qu’au titre de la Loi sur l’Eau, un dossier d’autorisation de l’extension de la zone commerciale soit déposé. Gaumont Cinéma et les relais économiques locaux ont été informés des risques environnementaux, sanitaires et géotechniques des terrains concernés depuis février 1997. Les travaux ont commencé en mars 1998, quelques jours avant l’expiration du permis de construire. Il a été observé que pendant la première semaine, l’activité unique du chantier revenait à déplacer avec des tractopelles et des remorques des quantités importantes de déchets.
C’est pourquoi l’association Robin des Bois dénonce le coup de force de Gaumont et demande au sous-préfet du Havre et au préfet de région d’ordonner l’extraction de tous les produits toxiques ayant servi au remblaiement de la zone, avant que Gaumont Cinéma ne recouvre le tout d’une chape de béton et de silence.
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