Voltalia est une entreprise à mission. Tous les voltaliens (900) ont une idée en tête, c’est d’améliorer l’environnement mondial. On pourrait presque parler de “l’ONG française” Voltalia. Elle est détenue à 71% par la famille Mulliez, propriétaire des marques Auchan, Décathlon, Leroy Merlin, Kiabi et Norauto. Voltalia vend de l’électricité à partir des ressources naturelles que sont le vent, le soleil, les rivières. La planète fonctionne bénévolement au profit de Voltalia.
Au Brésil, la philanthropie de Voltalia soulève des protestations, des questions, des actions en justice et des inquiétudes sur l’avenir des aras de Lear (ou aras cobalt, Anodorhynchus leari, Annexe I) et des autres aras menacés d’extinction.
La centrale éolienne de Canudos, microrégion d’Euclides da Cunha, Etat de Bahia, a tondu la caatinga (1) et planté 91 turbines à vent de plus de 100 mètres de haut. Les pales font 160 mètres de diamètre. 1500 aras de Lear nichent et volent dans la zone grâce aux efforts de la fondation Biodiversitas qui, précisément à Canudos, gère 1500 hectares servant de “réservoirs” aux aras de Lear. Ils étaient 228 en l’an 2000, ils seraient maintenant plus de 1500. Le parc éolien de Voltalia à Canudos, c’est aussi outrageant que le serait un parc éolien dans la Camargue des flamants roses. Le parc a été construit sans l’étude d’impacts préalable exigée par le CONAMA (Conselho Nacional do Meio Ambiente), les services environnementaux de l’Etat de Bahia ont donné le feu vert à Voltalia après avoir simplement reçu des documents simplifiés, une sorte de vue d’artiste mélangée à un bilan théorique de volts mirifiques. Dans un premier temps, Voltalia a dit que tous ses projets au Brésil disposent des permis réglementaires mais l’Etat de Bahia a demandé en juillet 2021 la suspension des travaux. La pétition en faveur de l’annulation du projet mise en ligne par un jeune militant de 18 ans a recueilli en quelques jours 60.000 signatures. En septembre 2021, les travaux ont repris et la compagnie française a promis un investissement de 10 millions de reais soit 1,6 million d’€ et 1,9 million d’US$ qui seront consacrés à l’atténuation des impacts environnementaux et à la meilleure compréhension de la dépendance des aras de Lear aux graines des palmiers licuri (Syagrus coronata). Les palmiers licuri ont été parmi les victimes du déboisement imposé par l’irruption de Voltalia dans le secteur. Erica Pacifico, une “biologiste indépendante” qui donne des conseils aux entreprises industrielles, a participé à la capture d’aras de Lear juvéniles et à la pose de traceurs GPS qui permettront de mieux connaître leurs mouvements et leur dispersion et si possible d’éviter ou de réduire la mortalité de rencontres avec les pales et les mâts des éoliennes. Le PDG de Voltalia au Brésil veut “laisser au pays un héritage technique et scientifique”.
A Dom Basilio, microrégion de Livramento do Brumado, toujours dans l’Etat de Bahia, il est reproché à Voltalia d’avoir profité en août 2021 de l’occupation de collines par des squatteurs pour ouvrir une piste de 1,3 km de long et de 8 mètres de large au sommet de laquelle sera installée une tour de mesurage des alizés que Voltalia cherche à capter à tout prix pour remplir sa mission. Des imbus (Spondias tuberosa) ont été coupés. Ils sont interdits d’abattage depuis 2005. “Le président français Emmanuel Macron critique toujours la déforestation au Brésil mais voilà qu’une entreprise française le fait ici”, remarque un géomètre qui s’attache à déchiffrer le cadastre local et qui s’est associé aux doléances des propriétaires terriens. La municipalité de Dom Basilio a ordonné la suspension des travaux. Voltalia a reconnu l’erreur isolée d’un sous-traitant, affirmant encore une fois qu’elle respecte la réglementation environnementale et immobilière en vigueur au Brésil. “Nous sommes en cours d’installation de 80 tours de mesurage du vent dans plusieurs Etats du Brésil et nous le faisons dans le strict respect des lois en évitant tout accaparement illégal des terres.”
Spondias tuberosa
© Correio 24
Le coup d’éclat de Voltalia dans l’Etat de Bahia, c’est le complexe éolien de Serra da Borracha, microrégion de Juazeiro. Voltalia a beaucoup d’affinités avec les aras comme s’ils étaient des guetteurs et des indicateurs de la fréquence et de l’intermittence des vents. A Serra da Borracha, Voltalia veut installer 48 turbines sur les crêtes près des réserves fédérales de Curaçá et de Juazeiro où devraient être relâchés cet été et dans les étés qui suivent des aras de Spix (ou aras à face grise, Cyanopsitta spixii, Annexe I) juvéniles, une espèce qui a disparu du Brésil en 2000 à cause de l’action cumulée du trafic pour les oiseaux de compagnie, de la déforestation et dans une moindre mesure des opossums et des ouistitis.
Cyanopsitta spixii
© Cornell Lab of Ornithology
L’ONG Save (Sociedade para a Conservação das Aves do Brasil) estime que le projet de Voltalia n’est pas compatible avec la remise en liberté des aras de Spix. “Ils sont d’autant plus fragiles qu’ils ont été élevés en captivité et qu’ils n’ont pas encore assimilé tous les réflexes de la vie en liberté.” Comme les aras de Lear autour de Canudos, ils ont une distance de vol de 50 à 60 km. L’ONG Salve as Serras (Sauver les Montagnes) souligne que la mortalité des aras de Lear après des collisions avec des lignes et des pylônes électriques est en elle-même importante dans l’Etat de Bahia (50 entre 2018 et 2021) et elle s’inquiète des effets dévastateurs supplémentaires des éoliennes de Voltalia. “Il n’y aucun moyen d’entraîner les aras à modifier leur trajectoire de vol.” “L’énergie éolienne est considérée comme propre mais les projets réalisés dans des endroits inappropriés nuisent aux communautés traditionnelles et à la biodiversité.” Au sujet du projet de Serra da Borracha, Voltalia a refusé de répondre à la demande d’interview du média ((o))eco début juin 2022.
(1) Biotope du nord-est du Brésil constitué d’arbres, de cactus et d’herbes qui résistent au climat semi-aride.
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