La mer reprend de plus belle ses parures de poubelle. Demain, quand le Clemenceau est prévu à Brest, l’Oriskany, ex-porte-avions américain, sera volontairement coulé à la satisfaction des activités de loisirs, de tourisme et des amateurs de plongée sous-marine qui voient dans ce naufrage programmé un nouveau pôle d’attraction, de curiosité et de revenus. Les clubs de plongée ont déjà commencé à prendre les réservations : 145 USD pour deux payables à l’avance.
Au Canada et aux Etats-Unis, beaucoup de méga-encombrants dont il n’est pas su quoi faire en fin de vie sont jetés en mer dans le cadre des programmes de récifs artificiels. Tout y passe : Boeing, rames de métro et vieilles bagnoles.
L’ex-Oriskany est le premier d’une série potentielle de vieux navires désaffectés de l’US Navy cédés par l’administration américaine à des états côtiers. En l’occurrence, il s’agit d’un don de Georges Bush à son frère Jeb gouverneur de la Floride. Le guide méthodologique de préparation à l’immersion des ex-navires militaires décrit les principales étapes de la “toilette de mer” avant l’ultime dynamitage. Concernant l’amiante, il est recommandé que seules les formes dégradées soient préalablement retirées. Le reste peut être laissé sur place sous réserve d’un encapsulage ou de réparations garantissant le confinement pendant et après le sabordage.
Contrairement aux idées reçues et colportées par les producteurs d’amiante et la plupart des organisations environnementales, la nocivité de l’amiante pour les organismes marins et notamment ceux qui colonisent les épaves a été suspectée et prouvée entre 1980 et 1990. Les principaux effets observés à partir d’un million de fibres par litre d’eau de mer sont des altérations de la croissance et de la reproduction chez les coquillages, des pertes de mobilité pour les planctons et des déformations des branchies pour les poissons. Les recherches dans ce domaine ont été interrompues en 1990. Fin mars 2006, un des spécialistes de l’EPA (Environmental Protection Agency) nous écrivait des Etats-Unis que “le manque relatif de données sur les effets de l’amiante sur les organismes aquatiques ne doit pas être considéré comme un indice fort de l’absence d’impact sur le compartiment marin”. L’expert américain ajoute que très récemment un article scientifique témoigne de l’effet négatif des nanoparticules ou nanofibres sur les poissons.
Compte tenu donc de ces commentaires récents sur les pathologies marines de l’amiante et aussi de la présence d’autres polluants intégrés à l’Oriskany comme le plomb, le chrome et les PCB, on comprend mieux la réticence de l’EPA à autoriser ce sabordage. L’autorisation de l’EPA ne concerne d’ailleurs que cet ex-porte-avions et de nouvelles études d’impact devront être réalisées avant l’immersion de tout ex-navire de l’US Navy. La MARAD (Maritime Administration) a 113 navires “obsoletes” à faire disparaître. Tout espoir n’est donc pas perdu de voir ce nouveau programme de récifs artificiels d’origine militaire suspendu dans les mois qui viennent, même si pour l’instant Jeb Bush n’a pas répondu aux courriers de Robin des Bois.
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