Mise à jour le 3 janvier – 10h15
Le traitement des substances chimiques syriennes à bord du navire américain Cape Ray est une solution par défaut. Elle fait suite au refus des pays d’Europe du Nord de traiter directement les précurseurs des munitions chimiques dans des installations dédiées (*). Cette opération en haute mer consacrerait l’industrialisation de l’océan mondial. Déjà en 2006, il a été procédé dans les eaux internationales, à quelques km de Gibraltar, à des activités de raffinage de produits pétroliers à bord du tanker Probo Koala. Le Probo Koala a par la suite déversé environ 500 tonnes de boues toxiques en Côte d’Ivoire. Les projets de centrales nucléaires flottantes et de centrales éoliennes et hydroliennes se multiplient. Aucune convention internationale ou règlementation de l’OMI (Organisation Maritime Internationale) n’interdit les activités industrielles dans les eaux internationales sauf si elles nuisent à la qualité des eaux territoriales ou à l’environnement des pays riverains. A ce jour, la seule activité industrielle interdite sur l’océan mondial est l’incinération des déchets (**).
Le Seaspeed Asia, futur Cape Ray, en 1981 © Nils Jonas Sætre / Capture Robin des Bois
Le Cape Ray (ex Saudi Makkah, ex Seaspeed Asia) est un roulier (Roll-on/Roll-off) conçu pour transporter des remorques et du matériel roulant. Il a été acheté par l’Administration Maritime américaine en 1991 et a intégré une flotte de réserve de 31 rouliers en attente de mobilisation pour assurer en cas de besoin l’acheminement de matériels militaires ou de vivres. Ce type de navire est très vulnérable en cas d’incendie et de voie d’eau ; les Ro-Ro prennent de la gîte en quelques minutes et coulent rapidement avec leurs cargaisons (la totalité des déchets à traiter sera à bord du Cape Ray). Conçus comme des garages flottants, ils manquent de cloisons transversales pour empêcher la propagation de l’eau ou des flammes. Le Cape Ray est renforcé pour la navigation dans les glaces mais il est à simple coque. Les aménagements en cours depuis quelques semaines ne pourront garantir une flottabilité suffisante en cas d’avarie grave. Le Cape Ray a 36 ans. Tous les navires même repeints et reliftés ont l’âge de leurs ferrailles. En moyenne, les Ro-Ro partent à la casse après 30 années d’exploitation. Les cargos danois et norvégiens dédiés au transport des produits chimiques prioritaires composant l’arsenal syrien entre le port de Lattaquié et le port de transbordement sur le Cape Ray devaient être en toute logique à double coque mais la logique est bousculée. L’un d’entre eux est le Taiko, un autre roulier construit en 1984 appartenant à la compagnie Wilhelmsen Lines bien connue en Mer du Nord notamment pour le naufrage du Tricolor en 2002.
Le système mobile de prétraitement par hydrolyse des substances chimiques à vocation militaire mis au point par le Ministère de la Défense des Etats-Unis en collaboration avec des industriels est une installation pilote. Sa mise au point a été terminée cet été. Elle n’a pas prouvé sa capacité à traiter en sécurité et en continuité 500 à 600 tonnes de substances toxiques. Elle est prévue pour un usage terrestre. Une première utilisation à l’échelle industrielle à bord d’un navire est une opération aventureuse et à risques multiples pour l’équipage, les techniciens et l’environnement. Un périmètre d’exclusion de la navigation maritime et aérienne autour et au dessus du Cape Ray sera possible mais rien ne pourra exclure le gros temps, les tempêtes ou autres évènements de mer susceptibles de nuire à la sûreté des manipulations, à la stabilité et à la fiabilité de l’installation et du procédé. Le Cape Ray devrait stationner dans les eaux internationales. En Méditerranée, elles sont sauf exception entre 6 et 12 milles des côtes (11 et 22 km).
Ce procédé est un prétraitement générateur de déchets. Le bilan annoncé est de 800 tonnes de boues en sortie pour 500 à 600 tonnes de déchets chimiques à l’entrée. Les modes et les lieux d’élimination finale des boues restent à définir d’autant que les caractérisations telles qu’elles sont annoncées par l’OIAC (Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques) sont approximatives. Aux 800 tonnes de boues s’ajoutent 4000 fûts contaminés, les combinaisons de protection des techniciens embarqués, les textiles de nettoyage, les absorbants de fuites, les charbons actifs et les filtres. La mention de ces deux dernières catégories de déchets démontre que des rejets atmosphériques seront effectués pendant l’opération.
Sur le plan juridique, l’un des points contestables du projet est la non application de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et de leur élimination. Si la Syrie a ratifié cette Convention en 1992, les Etats-Unis ne l’ont pas encore fait. Les produits chimiques à éliminer ont un statut de déchets. Pour régulariser leur exportation depuis la Syrie vers le Cape Ray qui relève des réglementations américaines, un accord spécifique doit être établi entre l’Etat exportateur et l’Etat récepteur (articles 4 et 11 de la Convention de Bâle). Se pose aussi la question de l’autorisation de transit dans le pays de transbordement ou dans ses eaux territoriales, sauf si cette rupture de charge intervient dans l’enclave réservée d’une base militaire américaine.
(*) A noter cependant que la Grande-Bretagne vient d’autoriser le traitement sur son territoire d’environ 150 t.
(**) L’Organisation Maritime Internationale rappelle à Robin de Bois qu’à partir du 1er janvier 2014 le mélange de cargaisons liquides en vrac pendant les voyages des navires en vue d’obtenir une nouvelle substance est interdit. Ceci revient par exemple à empêcher les activités de raffinage d’hydrocarbures telles qu’elles ont eu lieu à bord du Probo Koala en 2006. Robin des Bois salue cette nouvelle réglementation. L’ONG souhaitait sa mise en œuvre pour éviter la répétition ou la diversification des activités industrielles à bord des navires.
L’application de ce nouveau règlement aux opérations de prétraitement et de transformation des substances prioritaires entrant dans la composition des munitions chimiques syriennes à bord du Cape Ray ou d’un autre navire est sujette à interprétations multiples en particulier de la part de l’Etat du pavillon et des Etats riverains. Mise à jour 3 janvier – 10h15.