Dniepr le maudit

9 juin 2023

Le plus ancien acte terroriste visant à noyer une ville par une inondation intentionnelle revient au conquérant mongol Gengis Khan. En 1209, Gengis Khan, pour abréger le siège de Yinchuan, la capitale de la dynastie des Xia occidentaux (aujourd’hui au nord-ouest de la Chine), s’est lancé avec ses troupes dans le détournement d’un bras du Huáng hé, le fleuve Jaune. La digue de fortune s’est rompue et le stratagème s’est retourné contre son instigateur. C’est le camp de Gengis Khan qui a été inondé.

Saura-t-on un jour quel est l’émule de Gengis Khan qui par son acte enragé provoque une inondation majeure en aval du barrage de Kakhovka et une pollution supplémentaire du fleuve déjà sinistré dans son cours supérieur par les retombées de Tchernobyl, les apports radiotoxiques de son affluent le Pripiat et les eaux usées de Kiev, de Dnipro et de Zaporijia ?

 

Photo Kostiantyn et Vlada Liberov

La rupture du barrage au fil de l’eau de Kakhovka n’a pas provoqué une vague de submersion qui détruit tout sur son passage.

Ce n’était pas une vague, c’était une déferlante large de 10 km, haute de 3 à 7 mètres, avançant à 50 km/h, qui en 1975 après la rupture du barrage de Banqiao sur la rivière Ru, un affluent du Huai He, a tué selon les estimations entre 160.000 et 230.000 personnes dans la province du Henan en Chine (voir le rapport “Déchets post-catastrophe : risques sanitaires et environnementaux” rédigé en 2007 par Robin des Bois, chapitre IX “Le risque technologique barrage”).

Cependant, le bilan humain de cet acte de guerre sera lourd quand les maisons de Kherson et des alentours dont on ne voit plus que les toits seront visitables par les sauveteurs. Il est probable que de nombreuses victimes, en priorité des veuves isolées, déconnectées et viscéralement attachées à leurs maisons, à leurs souvenirs et à leurs chats et autres animaux domestiques, seront alors découvertes.

Le bilan environnemental global ne sera connu qu’au terme de plusieurs années d’études scientifiques et naturalistes dans le cours inférieur du Dniepr et dans l’estuaire du Dniepr-Boug méridional aussi appelé en français le golfe borysthénique selon l’ancien nom du Dniepr. L’estuaire du Dniepr-Boug méridional communique avec la mer Noire. Il abrite la réserve de biosphère de la mer Noire et le parc national de la Côte blanche de Sviatoslav. Les poissons de l’estuaire du Dniepr-Boug méridional seront peut-être épargnés par une mortalité immédiate mais seront à coup sûr contaminés par le déversement dans leur habitat de boues et d’eaux turbides et toxiques. Dans la chaîne alimentaire de l’estuaire et de la mer Noire va s’infiltrer un cocktail d’hydrocarbures, d’engrais, de pesticides et de poisons des munitions. Les mammifères et les oiseaux piscivores vont eux aussi être empoisonnés par les conséquences de la rupture du barrage de Kakhovka. Des générations de loutres et de pygargues à queue blanche vont en pâtir. L’estuaire va aussi être pollué par une part des macrodéchets dispersés dans les voiries submergées. La fragmentation de ces déchets va contribuer à la dégradation des eaux littorales et des zones humides. Dans quelques années, pour autant que la guerre cesse, les scientifiques et les ONG retrouveront du polystyrène et des chips de plastique dans l’estomac des cigognes, dans les poches des pélicans et dans les emblématiques esturgeons.

A très court terme, il est urgent que l’Ukraine reçoive de l’aide massive matérielle, notamment des bennes étanches, pour le tri des déchets toxiques et des “mous” à savoir les canapés, les matelas, les textiles, qui vont être envahis par les moisissures et risquent de déclencher des problèmes respiratoires.

Si une assistance internationale pacifique n’est pas déployée, en particulier sur la ville et le port de Kherson, les habitants en seront réduits à faire des brûlages à ciel ouvert qui aggraveront la pollution atmosphérique et la pollution des ressources en eau.

 

 

 

 

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