Enquête publique – projet de chaudière “STARVAL” de Seqens par NOVAPEX sur la commune de Salaise-sur-Sanne en Isère. Novembre 2023.
Madame, Monsieur,
L’association Robin des Bois, membre du Conseil Supérieur de Prévention des Risques Technologiques (CSPRT), après la lecture attentive du dossier d’enquête publique du projet de “chaudière STARVAL” sur la commune de Salaise-sur-Sanne, tient à transmettre à Monsieur BLACHIER, Commissaire Enquêteur, les commentaires suivants.
1/ Dans la demande d’autorisation environnementale à l’attention de M. le Préfet, le Directeur de NOVAPEX sous-entend que son entreprise ne dispose pas, au jour du 7 juillet 2023, de la propriété ou de l’accord du propriétaire pour réaliser son projet sur le terrain retenu à l’intérieur de son emprise. Il parle seulement d’un “document attestant que NOVAPEX disposera de ce droit ou qu’une procédure sera en cours pour lui conférer ce droit“. C’est la première fragilité que nous constatons. Cet élément ne participe pas à la clarté juridique du projet. En même temps, dans le paragraphe 4.3 du “fichier décrivant le projet” (Partie II), NOVAPEX se dit être le propriétaire des parcelles concernées par le projet. Ce titre de propriété est cependant confidentiel.
2/ La possibilité, réclamée par le Directeur de NOVAPEX, d’entamer les travaux 4 jours après la fin de l’enquête publique avant même que le commissaire enquêteur ait rendu son rapport rend d’une certaine manière caduque et superflue le déroulement et les conclusions de l’enquête publique. C’est un pied de nez au public et au commissaire enquêteur.
3/ Dans la Partie II (p.15 “Fichier décrivant le projet”), le dossier parle parfois d’une “installation de brûlage de résidus” et parfois d’une “chaudière” permettant de produire de la vapeur. Cette hésitation sémantique traduit la confusion et le malaise dans lesquels les initiateurs du projet sont plongés. Des résidus de distillation doivent être considérés comme des déchets sauf dans certaines conditions qui ne sont pas remplies en l’occurrence (voir plus bas). Le terme “résidus”, qui est en quelque sorte un équivalent du terme “déchet”, est employé 30 fois dans le document précité. Il n’est pas conforme à la réalité de dire sans plus d’explication que ces déchets étaient jusqu’à présent incinérés chez SUEZ sans valorisation d’énergie puisque AQUERIS, filiale de SUEZ présente sur la même plateforme, produit de la vapeur et la dirige sur OSIRIS. TREDI-Salaise produit aussi de la vapeur à partir de déchets dangereux et cette vapeur est aussi dirigée sur OSIRIS.
4/ Rien n’est dit sur le démantèlement et la dépollution de la centrale à charbon gérée par OSIRIS hors de l’emprise de SEQENS. Se passer du charbon c’est bien, ne pas prévoir la dépollution de la centrale à charbon, c’est inacceptable, surtout quand il s’agit de soutenir un projet de décarbonation. La décarbonation, c’est aussi l’enlèvement des pollutions du charbon et de sa transformation.
5/ La présentation du Groupe SEQENS est ronflante et sans accros : “Seqens développe des produits de spécialité sur mesure pour les industries les plus exigeantes telles que la santé, l’électronique, la cosmétique, l’alimentation et la détergence.” La lecture attentive des rapports de l’Inspection des Installations Classées (IIC) sur quelques sites du Groupe SEQENS et sur le site NOVAPEX à Salaise-sur-Sanne, qui en l’espèce nous intéresse particulièrement, apporte une note discordante.
– Sur le site de NOVAPEX au Grand-Serre dans la Drôme, l’IIC déplore les retards considérables dans la maintenance et la détection de perte de métal du saumoduc de 3,45km de long qui relie la saline d’Hauterives au stockage souterrain de propylène. Ce saumoduc traverse une rivière et deux ruisseaux et n’est pas suffisamment protégé contre la corrosion externe et interne. NOVAPEX a des idées, des projets mais au fil des années, le saumoduc se dégrade et risque de déverser des quantités importantes de sel dans les eaux douces superficielles.
– Le site SEQENS de Bourgoin-Jallieu dans l’Isère semble être dans l’incapacité d’entreposer correctement ses déchets dangereux et de les évacuer vers des filières réglementaires. A titre d’exemple, le rapport de l’IIC en date du 21 mars 2023 a fait le constat suivant :
“Lors de la visite des différents bâtiments et zones extérieures de stockage de produits chimiques, l’inspection a constaté :
– la présence de plusieurs fûts corrodés (état bien dégradé) sur les dalles de stockage extérieures MP1 (4 fûts) et MP2 (7 fûts) : il s’agirait selon l’exploitant d’anciennes matières premières à détruire
– la présence de plusieurs fûts déformés (« bombés ») d’eaux mères d’acide hydroxy caprylique
– la présence d’une douzaine de bidons d’1,2 kg (étiquetés « CMIC » avec le pictogramme « toxique ») datant de 2017 ;
– la présence de 4 fûts de 5-chloro-2-pentanone bombés en partie inférieure et supérieure datant de juillet 2020 : ces fûts étaient fuyards (écoulement constaté sur le sol du bâtiment D) ;
– un fût de chlorure d’aluminium percé sur le côté, sachant que ce produit (à l’état solide) réagit violemment avec l’eau pour former de l’HCl, et qu’il ne doit pas être mis en contact avec l’humidité de l’air ;
– un fût de résidus d’acétate de ter-butyle datant de septembre 2020, percé en partie supérieure.
Il est par ailleurs probable que la déformation des fûts soit liée à une réaction associée à un dégagement gazeux (et potentiellement toxique) à l’intérieur des fûts.
L’inspection ne portant pas sur les conditions de stockage des déchets (ou matières périmées), il n’a pas été réalisé d’inventaire exhaustif de l’ensemble des stockages de produits historiques du site, désormais considérés comme des déchets dangereux à éliminer. Il est ainsi probable que d’autres contenants, non visualisés le jour de l’inspection, soient dans un état dégradé susceptible de conduire à des pertes de confinement.
Avis de l’inspection des ICPE : la situation n’est pas satisfaisante concernant l’état dégradé voire fortement dégradé de certains contenants de produits ou déchets dangereux.
Proposition de mise en demeure n°1 : [délai: 1 mois] L’exploitant devra respecter les dispositions de l’article 4.8.3 des prescriptions annexées à l’arrêté préfectoral n°98-2060 du 31/03/98, en ce qui concerne la surveillance du bon état de conservation des stockages mobiles situés dans son établissement de Bourgoin-Jallieu.”
Par ailleurs, le groupe SEQENS a une vision très particulière de la gestion des matières dangereuses du moins sur le site de Bourgoin-Jallieu. Il considère que des produits finis non conformes et des matières premières “dépréciées” peuvent être entreposés sur site pendant 10 ans au maximum. Au terme de ce temps de sursis ils prennent le statut de déchets et sont éventuellement évacués pour destruction après un suivi réalisé par le service logistique.
– Sur le site de SEQENS de Rives-d’Andaine dans l’Orne, l’IIC déplore que l’étude de danger n’ait pas été actualisée, que les dispositifs réglementaires post-Lubrizol n’aient pas été tous mis en œuvre, qu’une surpression non expliquée dans un réacteur ait abouti à la fusion du ventilateur en plastique et à la libération dans l’atmosphère d’H2S obligeant à un confinement du personnel. L’absence de vent a évité une diffusion du H2S à l’extérieur du site.
– Sur le site de SEQENS à Limay dans la Seine-Maritime, l’IIC relevait, dans son rapport en date du 19 avril 2022, 32 non conformités. Certaines d’entre elles avaient été constatées dès octobre 2021. Le site de SEQENS à Limay représente un danger pour le personnel de la plateforme, pour l’environnement et les populations riveraines.
– Sur le site de Salaise-sur-Sanne/Roussillon, NOVAPEX est installé sur une ancienne emprise RHODIA. Les sous-sols et les eaux souterraines sont historiquement pollués par du cumène, provenant de la synthèse du benzène et du propylène et précurseur du phénol. Du cumène et des phénols ont été détectés dans la nappe souterraine à partir de 1991. Les piézomètres sont contrôlés par OSIRIS et l’évolution de la pollution serait favorable mais l’entente entre OSIRIS et NOVAPEX fait planer un doute sur la validité de ce diagnostic.
Le rapport de l’inspection des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) en date du 7 juin 2023 après sa visite du site souligne qu’une canalisation insuffisamment contrôlée a perdu 110kg de phénol. Cet incident survenu “en avril” (sans plus de précision sur la date) n’a été porté à la connaissance de la DREAL que le 9 mai 2023. Il ressort du rapport, après la perte de phénol, qu’il y a eu une défaillance de coordination entre NOVAPEX et OSIRIS de telle sorte que le phénol a rejoint le “canal 4-Nord”. Le même rapport souligne plusieurs fois l’absence de communication entre NOVAPEX et OSIRIS et des anomalies et des écarts dans la composition des rejets de NOVAPEX dans la station d’épuration d’OSIRIS. Le rapport du 29 août 2023 relève que les procédures de transmission des incidents et accidents à l’inspection des Installations Classées (IIC) sont floues et qu’en conséquence l’IIC peut ne pas en être informée dans les délais prescrits. Il ressort des rapports disponibles que NOVAPEX souffre d’un manque de maintenance et que le vieillissement des équipements ne fait pas l’objet de contre-mesures efficaces.
On voit donc, pour résumer, que les usines du Groupe SEQENS ont plus besoin de fonds pour être remises à niveau et que les subventions ou autres aides financières accordées dans le cadre de France Relance sont prématurées. Avant de parler de relance à Salaise-sur-Sanne et dans les autres sites SEQENS, il aurait fallu s’assurer que ces sites soient assainis et remis à niveau.
6/ Le document “fichier décrivant le projet” dans la Partie II considère que les principaux indicateurs de la capacité financière de NOVAPEX pour les trois dernières années sont confidentielles. Cette occultation tout à fait inhabituelle laisse présager que le groupe dans son entièreté est dans une situation économique dégradée. Nous comprenons bien que dans les dossiers relatifs à des usines Seveso certaines données sur l’emplacement exact et les capacités de citernes ou des autres stockages de matières dangereuses soient floutées, par contre un camouflage financier est inacceptable et SEQENS a été revendue à un fonds de pension américain (SK Capital) en décembre 2021.
7/ Nous remarquons dans le déroulé du dossier d’enquête publique que sans attendre les conclusions du commissaire enquêteur et les commentaires du public, un réservoir tampon de lourds de distillation a été installé dans ce site Seveso seuil haut grâce à un simple “Porter à Connaissance”, une procédure confidentielle et bilatérale qui permet à un industriel de modifier son installation sans que le public en soit informé. Nous notons que le “Porter à Connaissance” d’octobre 2021 incluait le DEG usé (extractant de distillation pour éliminer les impuretés dans la section purification du phénol) dans la liste des résidus servant de combustibles à l’installation thermique “Starval”. La production annuelle de ce résidu usé ni son exutoire ne sont précisés. Il ne sera finalement pas injecté dans la “chaudière” et sera orienté vers une installation dédiée.
8/ A noter que la “chaudière” produira 525 tonnes par an de cendres qui d’ores et déjà sont caractérisées comme des déchets dangereux de classe 1 devant être orientés vers des stockages de classe 1 comme les cendres et autres résidus d’incinérateurs de déchets dangereux. D’ailleurs, les déchets produits par NOVAPEX sont jusqu’alors orientés vers des incinérateurs de déchets dangereux et accompagnés d’une “fiche d’identification déchet”.
9/ Flux Aliphatique et flux Mélange B – Nous sommes étonnés que NOVAPEX ait eu l’audace de faire une fiche de données de sécurité concernant le flux aliphatique comme si ce flux était un produit, un sous-produit stable alors que le mélange résulte de plusieurs process et ateliers, que chacun des composants du mélange peut varier en fonction de la maîtrise des procédés et des fonctionnements dégradés. Les aliphatiques contiennent notamment du benzène dont les effets cancérogènes sont avérés. Utiliser comme combustibles dans une “chaudière” un mélange de résidus inflammables au sein d’une usine Seveso seuil haut, à côté d’ateliers qui en eux-mêmes constituent des risques intrinsèques nous paraît inconséquent en particulier pour ce qui concerne les effets domino à l’intérieur de l’emprise NOVAPEX.
14 phénomènes dangereux liés à la présence et à l’alimentation de l’installation thermique qualifiée de “chaudière” sont répertoriés dans l’Analyse Préliminaire des Risques (APR), ils induisent des risques de surpression et des effets thermiques qui sont susceptibles d’avoir des répercussions dramatiques sur d’autres équipements ou ateliers à risques du site. Un accident “chaudière” pourrait entraîner la destruction d’une partie du site et des effets irréversibles ou létaux sur le personnel permanent, les sous-traitants, le personnel d’OSIRIS dédié à l’exploitation et à la surveillance du programme “Starval”. Nous n’avons pas trouvé trace dans le dossier de la complexification du Plan d’Organisation Interne (POI), de sa mise à jour et de sa réorganisation du fait de l’implantation sur le site de cette nouvelle source de dangers.
Quand les mesures post-Lubrizol préconisent une “dédensification” des risques dans les sites Seveso et le respect intangible des distances de sécurité, l’intrusion de cette nouvelle “bombe” potentielle à l’intérieur de l’emprise témoigne de l’imprévoyance qui comme on l’a vu plus haut semble être partagée dans tous les établissements SEQENS. Nous espérons que les services de l’Etat n’accepteront pas au sein de NOVAPEX et au nom de la décarbonation cette nouvelle filière destinée à produire de la vapeur et susceptible en même temps de produire des risques supplémentaires et prévisibles.
Nous éprouvons un sentiment de rejet encore plus fort vis-à-vis de la fiche de données de sécurité du “Mélange B”, d’autant que ce mélange serait le principal combustible. Ces goudrons phénolés, toxiques, inflammables, saturés d’impuretés diverses et d’au moins 18 métaux dont du mercure, sont d’une grande variabilité. Des analyses du pouvoir calorifique supérieur (PCS) et de la teneur en soufre seraient réalisées 3 fois par semaine, ce qui, compte tenu de l’instabilité de ce mélange et de la multiplicité des provenances internes, nous paraît insuffisant pour parer à tous les risques de surpression et d’effets thermiques dont la “chaudière” est porteuse. Ce “Mélange B”, contrairement à ce que dit le paragraphe 5.2.3 du “Fichier décrivant le projet” (Partie II), n’a pas le profil admis par le guide “Modalités d’application de la nomenclature des installations classées pour le secteur de la gestion des déchets” du 25 avril 2017 rédigé par l’INERIS pour le compte du Ministère de l’Ecologie. En effet, la composition de ce mélange n’est pas constante dans le temps, et ses incidences globales négatives pour l’environnement et la santé humaine sont notablement supérieures à un combustible classique. La présence de résidus d’acétone fait du “Mélange B” un précurseur d’explosif. Ce précurseur d’explosifs sera injecté dans une installation thermique avec du propane issu de l’atelier cumène, et éventuellement avec du gaz naturel en cas d’indisponibilité de cet atelier. Tout cela au sein d’une usine Seveso et d’une plateforme comprenant 14 autres usines Seveso.
10/ Concernant les dioxines, la plus grande prudence s’impose dans la configuration de la plateforme industrielle de Salaise/Roussillon qui est voisine d’une population dense et de nombreux Etablissements Recevant du Public. Les dioxines peuvent se former à partir de 10 ppm de chlore dans des combustibles ou dans les flux de déchets d’ordures ménagères ou dangereux.
Autour de la plateforme et au-dessus malgré la dilution éolienne du mistral, la qualité de l’air est souvent dégradée et les inquiétudes sont vives chez les riverains même lointains qui redoutent des dépôts de particules toxiques dans les cultures et les jardins. En conséquence, des analyseurs de dioxines, en continu, auraient dû faire partie des dispositifs de contrôle de ladite “chaudière” et les fumées en bout de cheminée devraient être régulièrement contrôlées pour relever dans les rejets les taux de poussières, de Composés Organiques Volatils (COV), de dioxyde d’azote et d’autres polluants atmosphériques.
11/ Il est étonnant de lire dans l’étude de dangers que “étant donné la distance du projet avec la centrale, le potentiel de danger associé à la proximité avec une installation nucléaire n’est pas retenu comme événement initiateur”, et que “la probabilité d’un accident de grande ampleur au niveau d’une centrale nucléaire est considérée très faible et maitrisée par l’autorité administrative compétente”. En conséquence, l’étude de dangers ne retient pas la centrale nucléaire comme un événement initiateur de danger pour le projet “Starval”, s’appuyant en particulier sur la distance de 6,5km qui séparent la plateforme chimique des deux réacteurs de 1300MW installés à Saint-Alban-sur-Rhône et à Saint-Maurice-l’Exil. En fait, tous les industriels de la plateforme de Salaise/Roussillon sont informés que le Plan Particulier d’Intervention (PPI) de chaque centrale nucléaire est désormais étendu dans un rayon de 20km et que les 6,5km qui les séparent des réacteurs ne constituent pas une protection suffisante d’autant que les vents dominants sont orientés du Nord au Sud. En cas d’alerte majeure, toutes les installations industrielles devront prendre le temps dans la mesure du possible de se mettre sous cocon et d’interrompre en bon ordre les process dangereux.
En conséquence, Robin des Bois est opposé à la réalisation de ce projet de “chaudière” tel qu’il est présenté et implanté au sein d’une usine Seveso seuil haut vieillissante et d’une plateforme industrielle où une stricte vigilance s’impose.
S’il était validé et encouragé par les services de l’État, ce projet d’incinérateur de déchets dangereux habilement masqué sous le nom de “chaudière” serait un précédent et pourrait encourager d’autres industriels sous l’alibi de la décarbonation à monter des projets similaires en réclamant des subventions publiques. Ce serait la porte ouverte sur le territoire national à une élimination sans traçabilité de déchets dangereux et à des dommages environnementaux et sanitaires considérables.
Robin des Bois
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