Incendie de Notre-Dame : une catastrophe utile

7 déc. 2024

Version longue de la tribune publiée le 6 décembre 2024 dans Libération

Par Jacky Bonnemains, directeur de l’association Robin des Bois, Judith Rainhorn, historienne, Chaire Santé-SHS Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et autrice de Blanc de plomb. Histoire d’un poison légal (Presses de Sciences Po, 2019) et Lex van Geen, géochimiste, Lamont-Doherty Earth Observatory, Columbia University New York.

Déchets contaminés au plomb en big bags à l’intérieur de Notre-Dame, 28 novembre 2022
© Charlotte Nithart/Robin des Bois

 

Il y a cinq ans, les images de la cathédrale en flammes ont fait le tour du monde. Ce dimanche, sa réouverture au public mettra de nouveau Notre-Dame sous le feu de l’actualité internationale. Mais la reconstitution à l’identique de la flèche et du toit avec des feuilles de plomb sera perçue par certains comme une provocation. Viollet-le-Duc lui-même l’aurait-il appréciée, lui qui avait renoncé à la peinture au plomb au profit de la peinture au zinc pour la rénovation de la basilique de Saint-Denis ?

Le sinistre de Notre-Dame a remis en pleine lumière les risques de l’une des plus graves et des plus anciennes pollutions environnementales, celle du plomb présent dans l’air, les sols et les eaux. Masquée par l’amiante, les solvants chlorés, le mercure, les dioxines, les pesticides et les PFAS, la toxicité du plomb était devenue presque invisible. Après la déploration unanime et la sidération est revenu le temps de la science et des savoirs : chimistes, toxicologues, épidémiologistes, sociologues, historiens, architectes, corps intermédiaires ont examiné la cinétique de l’incendie et rappelé les risques sanitaires de l’exposition au plomb. Attestés depuis des siècles, parfaitement identifiés et documentés depuis 150 ans, ces risques se conjuguent aussi au présent : toutes les classifications internationales désignent le plomb comme un cancérogène, perturbateur endocrinien et toxique pour la reproduction et ce, sans seuil minimum d’exposition. Handicaps mentaux irréversibles chez les enfants, troubles de la fertilité, modifications des hormones thyroïdiennes, aggravation des cancers du sein, hypertension artérielle, atteinte des fonctions rénales, etc. : le plomb est un ennemi majeur de la santé humaine. Et pourtant, il est encore présent dans les peintures anciennes, dans nombre de produits de consommation, dans les aliments, les colorants, les cosmétiques, les tuyauteries en PVC, les batteries électriques, les bétons, les jouets et les munitions.

L’incendie de Notre-Dame a déclenché une offensive multipartite contre le plomb. Le chantier de la cathédrale a fait l’objet d’une surveillance renforcée par l’Inspection du travail, sous l’œil attentif de la société civile et des médias. Trois mois après l’incendie, les cours de certaines écoles situées sous le nuage toxique ont été dépolluées. La Ville de Paris a institué un Comité de suivi du Plan Plomb et établi un diagnostic des lieux d’accueil de la petite enfance dans la capitale : sur 79 établissements contrôlés en 2021 et 2022, 61 sont exposés au risque plomb à cause de peintures dégradées et de poussières sur les sols intérieurs ou dans les cours. Le dispositif de réaction et d’information de l’ARS d’Ile-de-France en cas de pics de pollution autour de sites ou monuments pouvant émettre des poussières de plomb a été amélioré. Les mobilisations sur le plomb issu de Notre-Dame ont consolidé les protestations des riverains pollués autour de l’ancien site de Metaleurop (Pas-de-Calais) ou de l’usine Exide à Lille (Nord). Le Haut Conseil de la santé publique, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) et l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) convergent désormais pour dénoncer les méfaits du plomb et appeler à en limiter les utilisations. Le partenariat initié entre les universités Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Columbia (New York) démontre que la France a beaucoup à apprendre de l’expérience étatsunienne en matière de dépistage systématique du plomb chez les enfants et dans l’eau du robinet. Enfin, le groupe écologiste au Sénat a déposé en septembre 2024 une proposition de loi visant à renforcer les dispositifs d’alerte et de prévention de l’intoxication par le plomb et à interdire l’usage du plomb laminé dans les travaux bâtimentaires (1).

Non, le saturnisme n’est pas une maladie du passé et ses conséquences sont majeures sur la planète au XXIe siècle : aujourd’hui, 800 millions d’enfants — 1 sur 3 dans le monde — sont exposés au plomb et les Suds paient un lourd tribut à ce fardeau toxique qui concerne tous les environnements (2). L’étude pilotée par la Banque mondiale et publiée dans le Lancet en octobre 2023 estime que le plomb est responsable d’au moins 5 millions de morts chaque année dans le monde et évalue le coût économique de cette pollution à 6 000 milliards de dollars pour l’année 2019, soit 7% du PIB mondial (3).

Tous ensemble, nous avons constitué une nébuleuse d’information et de vigilance autour du toxique et redonné de la vigueur et de la visibilité aux études scientifiques, aux enquêtes et aux alertes des acteurs institutionnels.

Ne laissons pas s’enfuir cette occasion historique de dénoncer le poison légal qu’est le plomb. La pression d’enjeux géopolitiques majeurs dans l’actualité internationale ne doit pas recouvrir le drame des pollutions chroniques. À l’heure où les guerres grondent en Europe à vol d’oiseau de Notre-Dame de Paris, rappelons les mots de Clemenceau à la veille de la Grande Guerre : « Plomb, phosphore blanc, mercure ne tuent pas moins que la mitraille guerrière » (4).

 

(1) Proposition de loi n°757 déposée par le groupe écologiste, Sénat, 12 septembre 2024.

(2) Rapport Unicef/Pure Earth, 2020, disponible ici : https://www.unicef.org/media/73246/file/The-toxic-truth-children%E2%80%99s-exposure-to-lead-pollution-2020.pdf

(3) Larsen, Bjorn et al., “Global health burden and cost of lead exposure in children and adults: a health impact and economic modelling analysis”, The Lancet Planetary Health, Vol.7, 10, 831-840, October 2023.

(4) L’Aurore, 1904.

 

Lien vers les publications de Robin des Bois concernant Notre-Dame de Paris.

 

 

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