Le biologiste américain Roger Payne n’est plus. C’était en quelque sorte un bluesman des dessous marins et l’impresario des baleines et des cachalots. Il les a fait sortir de l’eau en répandant à la surface de la Terre leurs complaintes, leurs clics, leurs messages tribaux suraigus comme du Björk, bas comme des barytons ou télégraphiques comme du Kraftverk. Il est mort à Woodstock (USA).
Petit rorqual (Balaenoptera acutorostrata) © Wayne and Pam Osborn
Il a inspiré et accompagné tous ceux qui, de 1970 à 2000, ont lutté pour que la chasse industrielle à la baleine soit abolie. Quelques jours avant sa mort, les dires de Roger Payne dans Time sonnent comme un appel à la raison. “A la veille de mon départ, j’ai en moi l’espoir que le genre humain partout dans le monde sera assez intelligent et flexible pour placer la sauvegarde des autres espèces là où elle doit être, à savoir au plus haut de l’échelle de nos priorités.”
Ses microphones étaient des hydrophones, son cerveau était dans la colonne d’eau au large des Bermudes et de l’Alaska, son rêve était de comprendre l’alphabet sonique des baleines, de pouvoir leur poser des questions et d’espérer des réponses.
Le rorqual des falaises n’émettra plus
Rorqual commun (Balaenoptera physalus), Veules-les-Roses, 26 mai 2023 © Robin des Bois
Espérer des réponses du magnifique rorqual commun, le plus souverain des mammifères terrestres et marins après la baleine bleue, est définitivement resté vain. Agé de 12 ans, 70 ans peut-être, il gît et se putréfie au pied des falaises de craie et de silex entre Veules-les-Roses et Saint-Valery-en-Caux depuis le 24 avril.
Sa hauteur de souffle atteignait 6 mètres. Il mesurait 20 mètres de long et pesait autour de 30 tonnes. C’était un mâle. Son pénis était long de 70 cm. Tout est gargantuesque chez les rorquals communs. Le cœur pèse 150 kg, la langue une tonne. Les femelles sont gestantes à partir de 10-15 ans. Le baleineau mesure 6 à 7 mètres de long. L’allaitement dure 6 mois au moins à raison de 50 à 70 litres par jour.
Par la gueule béante, le rorqual commun engouffre 20.000 litres d’eau et filtre avec ses 700 fanons de 70 cm de long une à deux tonnes par jour de krill et autres zooplanctons, et des petits poissons. Comme toutes les baleines, le rorqual commun est un ensemenceur. Par ses rejets quotidiens, il réenrichit les milieux marins et participe à l’éclosion des planctons. Mort au fond de la mer, il génère des oasis et des univers fertiles et exubérants.
Mettant en avant les risques d’effondrement de la falaise, les plus hautes autorités du genre humain en Normandie, confortées par les experts du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières), ont estimé que rien n’était possible pour faire parler le cadavre. Il est abandonné aux charognards et aux vandales (300 € la vertèbre et 500 € le fanon sur le marché noir). Pas d’observations minutieuses du flanc droit et du flanc gauche, rien sur les dernières proies et le remplissage de l’estomac, rien sur les teneurs en PCB, en PFAS et autres poisons insidieux et mortels dans la graisse et les muscles, rien sur les hormones de stress dans les bouchons d’oreilles. Les indices qui permettraient de relier la mort de la merveille qui ne faisait que passer avec le vacarme du chantier éolien offshore ne seront pas recherchés. Pas touche, la falaise risque de s’effondrer. Juste en haut, il y a un parking de camping-cars pour désembouteiller Veules-les-Roses pendant la belle saison. En haut, tout va bien, il n’y a aucun risque.
Sur le même sujet:
Echouages de baleines – lettre ouverte au préfet de Seine-Maritime, 27 avril 2023
Echouage d’un rorqual commun à Veules-les-Roses – point de situation, 3 mai 2023
Réponse du préfet de Seine-Maritime à la lettre de Robin des Bois, 8 juin 2023
Imprimer cet article