L’océan Atlantique et la Méditerranée sont des grands mutilés de guerre. Dans leur fonds sont tapis des milliers d’armes non explosées larguées pendant les deux dernières guerres mondiales ou délibérément rejetées après. Les pays belligérants ont consacré dans le passé et le présent des moyens dérisoires et intermittents pour se débarrasser des munitions immergées.
Cet été, le Geo Ocean III, un navire rouge battant pavillon du Luxembourg et le Venus II, un chien de garde noir battant pavillon du Panama, quadrillent la Manche au large de Dieppe/Le Tréport pour renifler les déchets de guerre et écarter les pêcheurs professionnels. Cette campagne de détection tardive, opportuniste et forcément bâclée, vise à sécuriser les fondations de 62 éoliennes industrielles et le tracé des câbles électriques sous-marins. Elle est encadrée par un arrêté du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord en date du 23 juin 2023 faisant suite avec une diligence remarquée à une demande du 16 juin 2023 de la société EMDT (Eoliennes en Mer Dieppe Le Tréport) derrière laquelle est à l’œuvre un consortium d’intérêts portugais, japonais et français.
La campagne de détection sera suivie d’une campagne de destruction par le Groupement des plongeurs- démineurs de Cherbourg. Ces destructions en rafales libèrent des effets de souffle et d’énergies acoustiques et vibratoires qui mutilent les poissons, les marsouins et autres mammifères marins.
Il y a entre Dunkerque et Cannes à proximité du littoral et des plages au moins 81 décharges sous-marines de munitions conventionnelles et chimiques. Chahutées par les houles sous-marines, attaquées par la corrosion, elles diffusent au goutte-à-goutte de l’arsenic, du mercure, des perchlorates, des résidus de trinitrotoluène, de dinitrotoluène, de trinitrophénol et de nitro-diphényles, un cortège de cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques, neurotoxiques, perturbateurs endocriniens, herbicides et algicides.
Pour faire suite à un engagement (oublié) de l’Etat lors du Grenelle de la Mer en juillet 2009, Robin des Bois a recommandé dans le cadre de la future Stratégie Nationale pour la Mer et le Littoral que les décharges sous-marines de munitions et les épaves de navires contenant des matières dangereuses fassent l’objet d’un suivi et d’une hiérarchisation. Cette proposition avait dans un premier temps été acceptée en mai 2023 par le Secrétaire d’Etat chargé de la Mer et le Conseil National de la Mer et des Littoraux. Mais elle a été dans un deuxième temps retirée au motif que cette Stratégie “n’est pas le cadre adapté aux sujets militaires”. La loi du secret s’impose sur la mer.
Compte-tenu du vieillissement des munitions immergées, de l’élévation du niveau de la mer, de l’activité sismique et des furieuses tempêtes, les décharges sous-marines et les épaves bourrées d’explosifs seront soumises dans les années et décennies à venir à des contraintes, des agressions et des dispersions qui réveilleront trop tard l’inertie des pouvoirs publics.
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Inventaires de découvertes de déchets de guerre et communiqués de Robin des Bois sur le sujet:
https://robindesbois.org/category/balisage/dechets/dechets-de-guerre/
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