Shell nous garantit un avenir noir

15 avril 2019

Communiqué n°1

La première génération de plateformes pétrolières offshore commence à se faire vieille et les gisements sous-marins en cours d’exploitation s’épuisent. Une centaine de plateformes devraient être démantelées d’ici 2030 en mer du Nord et en mer de Norvège. D’ici 2050, le nombre de plateformes à démanteler dans la même zone culminera à 500.

La décision 98/3 de la Convention OSPAR relative à l’élimination des installations offshore désaffectées instaure le principe de démantèlement complet des plateformes. Elle ouvre cependant la porte à des dérogations. Le diable se cache dans les dérogations. Shell a demandé dès février 2017 au gouvernement britannique l’autorisation d’abandonner ses 4 installations du champ Brent, au large des îles Shetland et de la Norvège. Trois d’entre elles sont des plateformes gravitaires en béton, la quatrième est une structure en acier. Shell envisage seulement le démontage et le retrait partiel des parties émergentes. Toutes les cellules de stockage et les infrastructures sous-marines resteraient en place.

La construction de la plateforme gravitaire en béton Brent Charlie à Ardyne Point, en Écosse entre 1973 et 1977 © Shell

L’arrivée de la plateforme en acier Brent Alpha dans le champ Brent en 1976 © Shell

 

D’après les estimations de Shell, les différentes cellules qui resteraient en place sous la mer contiennent dans leurs fonds environ 70.000 tonnes de boues imprégnées de pétrole et d’additifs chimiques. La quantité totale de pétrole serait d’environ 16.000 tonnes. Les boues sont recouvertes par environ 640.000 tonnes d’eau souillée par les hydrocarbures (voir graphique). Dans son rapport final, la Commission indépendante chargée d’accompagner Shell dans son projet de démantèlement souligne les incertitudes considérables qui subsistent dans l’évaluation volumétrique des déchets et matériaux qu’il est prévu de laisser sur place. D’après le scénario de Shell, les cellules en béton commenceront à se fissurer et à disperser sur les fonds leur cargaison polluante d’ici à 150 ans et se disloqueront au plus tard dans 1000 ans. Merci pour les générations futures.

Les quatre plateformes ont été construites et installées pendant la décennie 1970-1980. Shell a perdu la mémoire et une grosse partie de ses archives. D’après une étude norvégienne*, l’inventaire des matériaux utilisés pendant la construction et l’exploitation comprend de l’amiante, du plomb, du mercure, des PCB ou des retardateurs de flamme. Le béton utilisé pour les plateformes en mer est renforcé par des additifs afin de résister à la corrosion du milieu marin. La présence de plomb est suspectée.

Robin des Bois s’oppose catégoriquement à ce projet de dérogation, déjà accepté sur le principe par le gouvernement britannique. La dérogation éventuellement accordée à Shell risquerait fort de devenir la procédure standard du démantèlement des plateformes pétrolières et gazières en mer du Nord, dans les eaux arctiques et subarctiques.

La désindustrialisation de la mer doit se faire dans des conditions aussi strictes qu’à terre. Il n’est pas acceptable de laisser en mer des structures en acier et en béton remplies de déchets dangereux pour la faune et la flore marines mais également sources de risques pour le trafic maritime. Shell considère que la zone entière du champ de Brent est quasiment un désert halieutique et maritime. Ce n’est pas le cas et dans la perspective du réchauffement climatique, il est probable que des populations entières de poissons et d’autres organismes marins se déplaceront vers le nord. De même, le trafic maritime de marchandises et de passagers pourrait lui aussi s’intensifier. Ce « désert » pourrait devenir un lieu de vie et de passage. Les résidus et équipements abandonnés dans la mer par Shell et les autres exploitants pétroliers et gaziers constitueraient un risque sanitaire pour les poissons et un risque physique pour les activités de transport et de pêche. Les pieds en béton des plateformes dépasseront d’une trentaine de mètres au dessus du niveau de la mer. Les dispositifs de signalisation lumineuse tels que prévus par Shell sont censés être maintenus en état pendant près de 1000 ans.

Laisser sur place une plateforme pétrolière arrivée en fin d’exploitation, c’est créer un nouveau site pollué sous-marin.

* Inventory Mapping of Hazardous Materials Decommissioning of Oil & Gas Installations, Kjell Arne Skålevik Kværner Stord, 2016
https://www.oh2019.com/files/2015/08/3b-Inventory-Mapping-foredrag-final-kas.pdf

Note : OSPAR est une convention de coopération internationale ébauchée en 1972 et dédiée à la protection de l’environnement marin de l’Atlantique du Nord-Est. L’Union Européenne et quinze pays en sont membres : la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Islande, l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, l’Espagne, la Suède, le Royaume-Uni. La Finlande, le Luxembourg et la Suisse sont des Parties Contractantes : les fleuves qui y prennent leurs sources ou qui les traversent ont une influence sur la qualité des eaux marines de l’Atlantique. Robin des Bois est observateur à la commission OSPAR depuis 2005.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Imprimer cet article Imprimer cet article