Irma la Dure

15 sept. 2017

En septembre 1995, après le passage de l’ouragan Luis ressenti par les occupants des îles Saint-Martin et Saint-Barthélemy comme un « bombardement », l’état de catastrophe naturelle, le réflexe pavlovien de tous les gouvernements français, avait été dans les jours qui suivent décrété.

22 ans plus tard, Irma est une catastrophe réglementaire. Les habitats collectifs et les complexes touristiques construits à la hâte après Luis n’ont pas tenu compte des normes anticycloniques et de la culture architecturale ancestrale encore visible ici ou là sur les deux îles. La loi littoral ou la règle des 50 pas géométriques interdisant toute construction ou cabanisation à moins de 100 ou 80 m du trait de côte n’ont pas été appliquées.

Les préfets délégués par l’administration française ont fait ce qu’ils ont pu pour entretenir sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy une culture anticyclonique dans un contexte saturé par les touristes internationaux, les loueurs de bateaux, de voitures et de meublés du style « Airbnb ». Irma a mis à nu les trois ghettos qui cohabitent sur les îles : le ghetto des riches et des maisons secondaires, le ghetto des pauvres et des hors-jeu et le ghetto des touristes qui n’ont qu’une urgence, celle de s’enfuir de ce paradis transformé en enfer.

Attribuer les conséquences dévastatrices du cyclone au seul réchauffement climatique est un leurre qui absout les élus locaux, les tutelles franco-hollandaises et les profiteurs des lois de défiscalisation décidées par la France pour relancer l’activité économique après les destructions massives de l’ouragan Luis.

Sur les îles Saint-Barthélemy et Saint-Martin, le président de la République française vient de déclarer que pour aller plus vite dans la reconstruction, il fallait « bousculer toutes les normes et toutes les procédures ». Robin des Bois ne partage pas cet avis.

Au-delà des hébergements d’urgence et de l’inévitable « retapage » des habitations précaires avec du bois et des ferrailles de récupération, il faut imposer aux constructions nouvelles des normes anticycloniques inspirées du passé et des retours d’expérience d’aujourd’hui. L’ère de la tôle qui s’envole et qui décapite est révolue. Le retour à la normale et à l’anarchie architecturale n’est pas désirable. L’objectif est d’anticiper les futurs cyclones, d’améliorer la résilience du bâti, la cohésion des populations et la protection de l’environnement.

Les retours d’expérience montrent que le maintien et le développement de mangroves ou de rideaux végétaux susceptibles d’amortir la puissance des vents est un autre moyen de réduire la destruction du bâti. A cet égard, la Convention signée en décembre 2016 entre le Conservatoire du littoral et l’administration de l’Etat doit être élargie et utilisée à bon escient.

A court terme, se pose le problème de la gestion de 50.000 à 100.000 tonnes de déchets toutes catégories confondues. Vivre dans les déchets abîme la santé et le moral des populations. En se référant au seul retour d’expérience du cyclone Dean sur la Guadeloupe et la Martinique les 16 et 17 août 2007, les stockages tampon de déchets s’ils restent sur place pendant plusieurs mois favorisent la prolifération des rats et des moustiques et l’émergence d’épidémies de leptospirose, de dengue, de chikungunya et d’autres maladies vectorielles. La décharge de Saint-Martin est actuellement inaccessible. Afin de réduire les effets collatéraux d’Irma, il convient d’appliquer les meilleures pratiques :
– Les déchets doivent être pré-triés.
– Les sites de regroupement temporaires doivent être surveillés pour éviter les pillages et les réutilisations dangereuses pour la santé publique et l’environnement.
– Les déchets les plus toxiques doivent être dans les meilleurs délais incinérés ou enfouis dans des installations réglementaires si nécessaire et si possible en Guadeloupe ou en métropole.
– Le brûlage des déchets à l’air libre doit être évité et les risques de pollution de l’air et des sols expliqués aux populations.
– Les pollutions du littoral, des ports et de la mer par les hydrocarbures en provenance des épaves automobiles et des bateaux accidentés doivent être circonscrites et traitées par le déclenchement d’un plan Polmar s’il existe ou un équivalent.

 

 

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Note :
Robin des Bois travaille sur les déchets post-catastrophe depuis 1989. L’association est cofondatrice du Groupe d’Expertise et d’Intervention Déchets post-catastrophe (GEIDE) avec l’ADEME, la FEDEREC (Fédération des entreprises du recyclage), la FNADE (Fédération nationale des activités de la dépollution et de l’environnement) et la FNSA (Fédération nationale des syndicats de l’assainissement et de la maintenance industrielle). Dans ce cadre ont notamment été publiés des guides « Cyclone : prévenir, réagir, rétablir » en 2013. En 2007, Robin des Bois a publié un rapport de référence « Déchets post-catastrophe: risques sanitaires et environnementaux » qui consacre un chapitre à l’ouragan Katrina. Robin des Bois a également piloté sous la tutelle du Ministère de l’écologie en 2008 un groupe de travail « déchets post-catastrophe ». Les travaux de Robin des Bois et du GEIDE post-catastrophe ont fait progresser la doctrine française sur la prévention et la gestion des déchets.

 

 

 

 

 

 

 

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