Communiqué CITES CoP18 n°1
La 18ème Conférence plénière des 184 États-parties à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction -CITES- se réunit à Genève du 17 au 28 août 2019. Robin des Bois est observateur à la CITES depuis 30 ans. Cette session devait se tenir à Colombo en mai-juin 2019. Elle a été reportée puis déplacée en Suisse en raison des attentats du 21 avril au Sri Lanka.
La CITES prouvera-t-elle qu’elle est capable d’organiser la coopération internationale contre la criminalité environnementale et de résister aux sirènes du capitalisme de l’extinction animale et végétale ?
Les pays membres de la CITES reconnaîtront-ils enfin que les animaux sauvages sont des No Border et que certaines espèces comme les girafes et les éléphants doivent bénéficier du droit de circulation à travers les frontières politiques et administratives ?
A Genève, 57 propositions d’inscription ou de désinscription aux Annexes de la CITES seront débattues. L’Annexe I interdit le commerce international, l’Annexe II l’encadre. Les propositions concernent notamment des mammifères comme les éléphants, les rhinocéros et les girafes, des oiseaux comme le faisan vénéré, des geckos, des tortues, les requin-taupes bleus, les raies, les guitares de mer, trois espèces de concombres de mer (holothuries), des mygales, des papillons et des arbres comme le padouk et le teck d’Afrique. Jair Bolsonaro a fait retirer la proposition brésilienne d’inscrire à l’Annexe II l’ipé, un arbre du bassin amazonien. Utilisé sur l’esplanade et les emmarchements de la Bibliothèque François Mitterrand à Paris (1), l’ipé est pillé et exporté dans 60 pays, États-Unis d’Amérique et Europe en tête, où il est vendu 1200 €/m3. La proposition était en partie justifiée par les données sur la déforestation de l’Institut national de recherche spatiale brésilien (INPE) dont le directeur vient d’être limogé.
Les informations et analyses du bulletin trimestriel de Robin des Bois « A la Trace » (On the Trail) sur le braconnage et la contrebande ont été utilisées et sont référencées dans les propositions d’inscriptions des geckos tokays, des tortues étoilées de l’Inde et de 15 espèces de mygales arboricoles et ornementales du genre Poecilotheria endémiques de l’Inde et du Sri Lanka.
Geckos tokays. L’Inde, les États-Unis et l’Union Européenne proposent leur inscription en Annexe II. Originaires d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est, ces lézards multicolores longs de 18 cm en moyenne, sont capturés dans les forêts, étouffés, éviscérés, séchés et vendus entiers, en poudre ou dans de l’alcool pour leurs supposées vertus curatives de l’impuissance sexuelle, de la toux, du cancer et même du sida. Les trafiquants profitent de la crédulité et du désespoir des familles de malades pour faire monter les prix jusqu’à 100.000 € pour un spécimen de taille exceptionnelle. Les geckos tokays vivants sont également exportés en Europe et aux États-Unis en tant qu’animaux de compagnie. L’Indonésie, au cœur du trafic, et la Chine, principal pays consommateur, ont déjà fait part de leur opposition à cette inscription. Entre 2004 et 2013, Taïwan aurait importé plus de 15 millions d’individus.
Tortues étoilées de l’Inde. L’Inde, le Bangladesh, le Sri Lanka et le Sénégal proposent leur transfert de l’Annexe II, où elles sont inscrites depuis 1975, à l’Annexe I. De toutes les tortues, c’est l’espèce qui est la plus souvent saisie dans le monde. Le bulletin n°23 de « A la Trace » a comptabilisé 1394 tortues étoilées de l’Inde soustraites des mains des trafiquants entre octobre 2018 et janvier 2019, dont 582 entassées dans des caisses à Chennai, Etat du Tamil Nadu, Inde. Selon Interpol, les saisies ne représentent que 10 à 15 % de la contrebande. Ces tortues aux motifs en forme d’étoiles sur la carapace sont réputées apporter le bonheur et sont très recherchées comme animaux de compagnie en Asie, en Europe et aux États-Unis. Leur cours à Calcutta est actuellement de 4000 à 6000 roupies pièce (de 50 à 80 €). Il grimpe à 800 € sur le marché européen. La position de la Jordanie, un des principaux pays exportateurs de tortues étoilées alors qu’elle est située hors de l’aire de répartition naturelle de cette espèce réfractaire à la reproduction en captivité, est attendue avec intérêt.
Concombres de mer (holothuries). Ils pourraient, après 17 ans de discussions préliminaires, faire leur entrée dans les annexes de la CITES. Jardiniers des fonds marins et des récifs coralliens, les concombres de mer font partie des 5 délicatesses gastronomiques incontournables en Asie avec les ailerons de requins, les nids d’hirondelles, les vessies natatoires et les ormeaux. Les principaux pays de consommation sont la Chine, la RAS de Hong Kong, l’île de Taïwan, Singapour, la Corée du Sud et la Malaisie. Mais pas seulement. A travers le monde, des restaurant chinois proposent au menu de la soupe de concombres de mer (exemple à Paris, Belleville, 22,8 € le bol). Les concombres de mer sont également réputés guérir l’anémie, combattre le cancer, atténuer les douleurs de l’arthrose, y compris des animaux domestiques. Ils sont aussi incorporés dans des cosmétiques (2). Facilement accessibles dans les eaux peu profondes, les populations sont épuisées ou surexploitées dans la majorité des pays de l’aire de répartition. Le volume de capture a été multiplié par 15 depuis les années 1950. La proposition rédigée par la France et soutenue par l’Union Européenne, les États-Unis, le Sénégal, le Kenya et les Seychelles vise à inscrire en Annexe II trois espèces d’holothuries à mamelles dont les Holothuria (Microthele) fuscogilva vendues jusqu’à 400 US$/kg à Hong Kong. La Chine est résolument contre.
Girafes. Le Kenya, le Mali, le Niger, la République centrafricaine, le Sénégal et le Tchad proposent leur inscription en Annexe II. Elles étaient environ 150.000 en 1985, elles sont deux fois moins nombreuses en 2019. La reine de la savane est menacée par l’appétit pour la viande de brousse, la chasse sportive et de loisirs, le morcellement de ses habitats et les conflits armés. Elles ont disparu d’Angola et du Mozambique après les guerres civiles qui ont frappé ces deux pays. Leurs os sont de plus en plus utilisés en substitut à l’ivoire d’éléphant dans la coutellerie et dans les crosses des armes à feu. Leurs peaux finissent en sac à main ou en tapis, leurs queues en tapettes à mouches, leurs poils en bracelets pour touristes, leurs crânes avec ossicônes (cornes) en décoration d’intérieur et leurs pattes en pieds de table (1900 € sur Amazon.fr). Les trafiquants sont des opportunistes. Ils sont toujours prêts à tirer profit de la détresse et Robin des Bois a dénoncé la rumeur selon laquelle la moelle osseuse de girafe guérirait du sida.
Éléphants. Ils sont concernés par quatre propositions d’amendements aux Annexes de la CITES. Le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Kenya, le Libéria, le Niger, le Nigéria, la République arabe syrienne, le Soudan et le Togo, au nom des 32 pays de la Coalition pour l’Éléphant d’Afrique, proposent le reclassement de tous les éléphants en Annexe I. L’Union Européenne a décidé à huis clos de s’opposer à cette proposition ; seuls la France et le Luxembourg se sont clairement prononcés pour une interdiction totale du commerce de l’ivoire. Actuellement, les éléphants revendiqués par le Botswana, l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe sont en Annexe II, alors qu’ils sont en Annexe I dans les autres pays africains. Cette aberration pour un animal migrateur – au moins 76% des éléphants d’Afrique sont transnationaux- est une aubaine pour les braconniers et les trafiquants. C’est un boulevard pour la commercialisation de l’ivoire de tous les pays. Pour son malheur, l’éléphant est un animal politique comme le prouve une nouvelle fois la volte-face du Botswana dont le ministre de l’Environnement, de la vie sauvage et du Tourisme Tshekedi Khama déclarait lors de la CITES 2016 à Johannesburg « La demande en ivoire augmente, la demande de protection doit être partout. Le braconnage gagne le sud, les réseaux sont omniprésents. Aucune population d’éléphants n’est à l’abri et nous avons une responsabilité vis-à-vis des autres pays africains. » Depuis, le gouvernement a changé. Le Botswana, s’aligne désormais sur la Namibie et le Zimbabwe et réclame l’autorisation de procéder à des ventes d’ivoire brut ou travaillé et de peaux d’éléphants. Dans la même ligne, la Zambie demande le déclassement de « ses » populations d’éléphants de l’Annexe I à l’Annexe II. Toutefois ces stratégies de redéploiement d’exportation légale d’ivoire se heurtent aux fermetures progressives des marchés domestiques en Europe, aux Etats-Unis et en Chine. Dans l’état actuel de la géopolitique de l’éléphant, seul le Japon pourrait être intéressé et il n’est pas sûr qu’il prenne le risque de se lancer dans cette périlleuse aventure.
Mammouths laineux. Une proposition inédite et subtile de leur inscription à l’Annexe II est présentée par Israël et le Kenya. Les saisies d’ivoire de mammouth à la frontière entre la Russie et la Chine se multiplient. L’ivoire de mammouth peut être vendu à Hong Kong sous la fausse appellation d’ivoire d’éléphant. En sens inverse, de l’ivoire d’éléphant est affiché comme étant de l’ivoire de mammouth pour esquiver les réglementations nationales. Déjà l’Inde interdit l’importation d’ivoire de mammouth et les Etats de New York, du New Jersey, de Californie, de Hawaï, de l’Illinois et du Nevada ont récemment associé l’ivoire de mammouth à l’interdiction de commercialiser l’ivoire des éléphants. La Russie se dit excédée par le pillage de son patrimoine paléontologique et la destruction du permafrost sibérien par les prospecteurs d’or blanc. Sa position sera déterminante pour l’avenir de cette proposition. Sauf bonne surprise, l’Union Européenne émettra un avis défavorable.
La CITES étudiera également une centaine de documents de travail, par exemple sur les lions, les jaguars et les grands félins d’Asie, sur les oiseaux chanteurs, les pangolins, les poissons-cardinaux de Banggaï et les autres poissons marins ornementaux. Les propositions et documents de travail sont disponibles en ligne sur le site de la CITES https://cites.org/fra/cop/index.php
(1) Cf. « La Flèche », journal de Robin des Bois, mai 1995.
(2) Cf. le dossier « Pour en finir avec les concombres de mer » dans le « A la Trace » n°4, p.107.
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