Quatre ans après l’incendie de Lubrizol et de Normandie Logistique et la dispersion dans Rouen et les hauteurs de Rouen de fragments des toitures d’amiante, l’incendie total et l’effondrement de deux immeubles désaffectés ce samedi 30 septembre 2023 a libéré et projeté des micros et macros déchets d’amiante et des milliards de fibres invisibles à l’œil nu, cancérogènes pour les poumons des mammifères et colmatantes pour les branchies des poissons.
© OlivierCoc. X, nuit du samedi 30 septembre au dimanche 1er octobre 2023
Comme dans l’incendie de Lubrizol, le panache polluant, les suies, les cendres et les débris d’amiante ont enjambé la Seine et, partis de la rive gauche, ont “arrosé” la rive droite et les communes de Bois Guillaume et de Mont Saint Aignan. Les immeubles incendiés étaient occasionnellement squattés. Ils n’étaient pas physiquement gardés par des vigiles qui auraient été capables de prévenir les incursions ou de les signaler en temps réel aux polices de Rouen Métropole.
La mort d’éventuels occupants illégaux ne peut pas à cette heure être catégoriquement écartée.
Il semble que le propriétaire des deux immeubles incendiés soit le promoteur immobilier COGEDIM qui avait pour projet de raser les 7 bâtiments (après désamiantage) et de construire un nouveau quartier résidentiel et commercial baptisé “le jardin des Pépinières”. Toutefois, cette information reste à vérifier, il n’est pas sûr que la transaction foncière et financière entre Rouen Habitat et COGEDIM ait été réalisée avant l’incendie.
Les toitures, façades, flocages, les isolations, les conduits d’évacuation et les gaines techniques étaient pleins d’amiante. Les immeubles ont été construits en 1970. La destruction de ces bâtiments traîne en longueur depuis l’année 2018. Les retards dans l’aménagement du nouveau quartier résidentiel ont favorisé la dégradation et les occupations sporadiques des bâtiments condamnés.
© Google Street. Novembre 2022, les deux immeubles avant l’incendie
On voit clairement sur les photos Google Street à partir de 2018 que les palissades interdisant l’accès ont été vandalisées et que l’épave d’une voiture brûlée est incrustée à l’intérieur du périmètre théoriquement interdit d’accès.
Dans le secteur directement touché par la projection des poussières et la retombée des résidus de l’incendie, Robin des Bois a relevé, à Rouen, 5 crèches distantes de 260m à 620m de l’épicentre, 4 écoles maternelles distantes de 67m à 580m de l’épicentre, 3 écoles élémentaires distantes de 67m à 541m et à Petit-Quevilly, 4 écoles maternelles distantes de 719m à 840m et 2 écoles élémentaires distantes de 748m à 820m. A noter qu’au cours de la campagne de diagnostic des établissements sensibles lancée en 2012 par le ministère de l’Ecologie, 3 de ces établissements situés à Petit-Quevilly ont été classés en catégorie C ” les diagnostics ont montré la présence de pollutions qui nécessitent la mise en œuvre de mesures techniques de gestion, voire la mise en œuvre de mesures sanitaires” (maternelle Robert Desnos, maternelle Elsa Triolet, élémentaire Louis de Saint-Just).
L’émotion est grande au sein des quartiers sinistrés. Des centaines d’habitants appellent le numéro d’urgence pour que les débris d’amiante et les suies déposées sur les balcons et dans les jardins privés soient enlevés le plus rapidement possible et dans les règles de l’art. Il va sans dire que les services de l’Etat vont une fois de plus minimiser les risques sanitaires de cette catastrophe et tenter de rassurer les populations avoisinantes en prétendant que les seuils de dangerosité en fonction des normes existantes ne sont pas dépassés.
Une fois encore, plusieurs tonnes d’amiante vont être définitivement “invisibilisées” et les dioxines, les autres composés chlorés, les métaux lourds, les hydrocarbures issus de la combustion des plastiques et des autres matériaux intégrés aux bâtiments vont se noyer dans le bruit de fond industriel et urbain de la Métropole Rouen Normandie.
Dans la Métropole de Rouen, les teneurs en particules fines (PM10, PM2,5) dépassent largement les recommandations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour protéger la santé humaine.
A l’évidence, ce nouvel incendie va aggraver une situation déjà critique. Sur place, les milliers de tonnes de gravats et de poutrelles enduites d’amiante vont constituer aussi longtemps qu’ils ne seront pas protégés des pluies et du vent un réservoir de polluants menaçant aussi les eaux souterraines du lit majeur de la Seine.
La perte pour la biodiversité et les dommages infligés à des espèces protégées ne font pas de doute. Les bâtiments incendiés du quartier Saint-Julien étaient des sites de nidification, de chasse ou de transit pour des rougequeues noirs, des faucons crécerelles et pour des chauves-souris notamment des pipistrelles communes. Pendant le diagnostic écologique réalisé au printemps de l’année 2021, 20 espèces d’oiseaux dont 13 protégées au niveau national ont été signalées dans les 7 immeubles qui étaient encore debout à 18h le 30 septembre (heure et date du début de l’incendie).
Imprimer cet article