Les prostates défrichent l’Afrique

27 oct. 2020

Communiqué n°1

Le prunier d’Afrique (Prunus africana dit aussi pygeum) est un arbre d’intérêt général. Il freine l’érosion et les coulées de boue sur les pentes abruptes des montagnes d’Afrique tropicale et australe jusqu’à Madagascar. Il favorise l’implantation des fougères et des orchidées et par l’abondance de ses graines et de ses fruits, il contribue à l’alimentation des singes et des oiseaux comme les gorilles, les colobes guérézas, les touracos dorés et les bulbuls concolores. Les communautés locales utilisent ses feuilles et ses racines pour traiter des maladies diverses.

L’écorce du prunier d’Afrique
© M. Hyde, B. Wursten, P. Ballings/cc-by-nc

Depuis un demi-siècle, le prunier d’Afrique est tombé dans les mains d’intérêts particuliers.

Le bien commun panafricain est devenu une rente de l’industrie pharmaceutique mondiale.

En l’absence de barrières juridiques contre la biopiraterie, l’appropriation du prunier d’Afrique a germé en France et s’est répandue dans le monde entier. La médecine traditionnelle zouloue attribue au prunier d’Afrique des vertus curatives contre l’incontinence urinaire des hommes et le docteur Jacques Debat a senti le bon filon. Les laboratoires Debat ont déposé en juin 1966 le brevet d’un médicament censé traiter l’hypertrophie bénigne de la prostate dont le principe actif est l’extrait d’écorce du prunier d’Afrique. En 1969, Debat a lancé sur le marché français et international le Tadenan® qui s’est imposé depuis dans l’esprit du corps médical comme le sauveteur des prostates en péril. 50 ans après son lancement, sur le seul marché français, le Tadenan® fait l’objet chaque année d’environ 400.000 prescriptions malgré les avis très réservés de la Haute Autorité de Santé et de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé sur son efficacité. Dans le monde, une quarantaine de spécialités pharmaceutiques sont formulées à base d’extrait de l’écorce du prunier d’Afrique et les prostates chinoises de plus de 50 ans commencent à s’y intéresser. La demande mondiale annuelle de l’écorce s’approche de 5000 tonnes. Ce prélèvement correspond à l’exploitation de 90.000 à 100.000 arbres par an.

L’initiative française et ses prolongements internationaux ont débouché sur une catastrophe culturelle, sociale et environnementale.

Au Cameroun, les autorités traditionnelles déplorent le détournement d’un arbre de subsistance au profit d’une commercialisation globale et incontrôlée. Des forêts sacrées où des chefs de village (les Fons) ont été inhumés ont été dévastées par l’exploitation des pruniers d’Afrique.

Plus le temps passe, plus les arbres sont mortellement écorcés à la serpe, voire abattus à la hache. Même les sujets immatures qui n’ont pas encore produit de graines sont exploités.

Pour enrayer le massacre, le Kenya, un des pays de l’aire de répartition, a proposé et obtenu l’inscription de l’espèce à l’Annexe II de la CITES, Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. En conséquence depuis 1995, le commerce international est soumis à la délivrance de permis d’exportation des pays producteurs. Malgré l’entrée en vigueur de cette réglementation, le pillage de l’espèce s’est aggravé notamment au Cameroun et en Ouganda où les ONG locales ont déclenché l’alarme en 2014. Des arbres sont braconnés au mépris des instructions émises par les pays exportateurs. Ces instructions sont destinées à rassurer les administrations des pays importateurs. Leur application est invérifiable. La principale astuce est de mélanger des écorces braconnées à des écorces présentant quelques garanties de légalité. Pour les écorces de prunier d’Afrique, c’est le même processus que pour les peaux de crocodiles.

En France, le Tadenan® et ses analogues sont les seuls médicaments remboursables par la Sécurité Sociale à contenir un principe actif tiré d’une espèce végétale reconnue comme menacée d’extinction. Le Tadenan® est fabriqué en France par Recipharm Fontaine à Fontaine-lès-Dijon en tant que sous-traitant de la multinationale américaine Mylan Medical SAS.
Les règlements de l’Union Européenne et le code français des douanes imposent à tous les producteurs et aux détenteurs d’être en mesure de démontrer la licéité des produits dérivés d’une espèce inscrite à l’Annexe II de la CITES. Pour apporter cette démonstration, il convient au moins de disposer du numéro du permis CITES autorisant l’importation. Or, il n’y a pas de mention de l’inscription à l’Annexe II du prunier d’Afrique sur les emballages ou la notice d’accompagnement du Tadenan® et évidemment le numéro de permis d’importation n’est pas indiqué. En pratique, tout détenteur d’une boîte de capsules molles à base d’extrait de l’arbre africain est à ce jour dans l’illégalité.

Robin des Bois demande à l’Union Européenne d’étudier les possibilités d’inscription du prunier d’Afrique à l’Annexe I de la CITES afin d’interdire son commerce international.

© Robin des Bois

 

 

 

 

 

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