Notre mère poule aux œufs d’or nous offre pour Noël 180.000 m3 de gaz de schiste liquéfié généreusement vendu par l’oncle Sam depuis sa case du Texas. Un mètre cube de gaz liquéfié à moins 160° se dilate en 600 m3 de gaz naturel après avoir été réchauffé. Le paquet cadeau est donc de 108 millions de mètres cubes de gaz à consommer, de quoi se gaver.
Le SK Resolute est arrivé le 16 décembre 2023 au Havre. 2h40 se sont écoulées entre son entrée dans le port et sa mise à couple du Cape Ann, le navire-usine affrété par Total au groupe norvégien Hoegh (150.000 à 180.000 US$/jour). Dans le Cape Ann, le gaz est réchauffé puis injecté à haute pression dans le réseau après odorisation au mercaptan et mesurage. Vu sa pointure (292 mètres de long, 47,8 mètres de large), le SK Resolute est entré au chausse-pied dans l’écluse François 1er, il lui a fallu 1h10 pour en sortir. Il est le troisième tanker à venir livrer du Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Le premier cadeau, le Minerva Amorgos, venait de l’Arctique norvégien, le deuxième, le Maran Gas Marseille, de Louisiane.
Le terminal gazier du Havre, une exclusivité mondiale, est installé dans un cul-de-sac privant le navire-usine Cape Ann et les tankers transporteurs de GNL de toute possibilité de s’échapper dans l’urgence par leurs propres moyens ou avec l’assistance de remorqueurs. Il est verrouillé dans un carrefour de transport de matières dangereuses et d’usines Seveso.
Les explosions de gaz dans les usines, les commerces, sur les routes et dans les gazoducs ont fait entre 1950 et 2020 plus de 5000 morts et 7000 blessés*, sans compter les faits divers et meurtriers des suicides par gaz et des fuites de gaz dans les logements et les parties communes. Dès 1944, le GNL a dévasté un quartier de Cleveland, Ohio, Etats-Unis, et tué au moins 128 personnes. Le gaz tue au quotidien et le public ne s’inquiète pas outre-mesure des agissements de ce tueur en série, malgré les catastrophes retentissantes de Paris et de Marseille par exemple. Charlotte Nithart, présidente de Robin des Bois et membre du Conseil Supérieur de Prévention des Risques Technologiques (CSPRT), s’est inquiétée pendant la réunion du 18 novembre 2020 que seulement 7 personnes aient répondu à la consultation du public (via l’Internet) par le ministère de la Transition écologique sur un projet d’arrêté portant sur la sécurité des installations de gaz dans les bâtiments d’habitation et les parties communes, alors que 11 millions de foyers sont sous la menace directe du risque gaz. Le gaz endort. Et le terminal gazier dans un bassin fermé du port du Havre, greffé en quelques mois sans consultation du public, avec l’aval massif et aveuglé de l’Assemblée nationale, en est une preuve explosive. Il a atterri là comme une bombe au milieu d’un feu d’artifice potentiel et prévisible.
Toutes les précautions basiques universellement appliquées – éloignement des zones industrielles et urbaines, facilité d’accès et de sortie en cas d’urgence, protection vis-à-vis des risques terroristes – ont été balayées. En ce moment même, la plupart des tankers LNG sont déroutés de la Mer Rouge pour éviter d’éventuelles attaques de rebelles Houthis basés au Yémen. Ce coup concocté l’année dernière par Total, en concertation avec le gouvernement pour parer à une prétendue crise énergétique pour l’hiver 2023, a bénéficié de la complicité de GRTgaz (Gestionnaire du Réseau de Transport du gaz naturel), filiale à 100% du groupe ENGIE, “votre fournisseur d’électricité, de gaz naturel et de services à l’énergie”.
Thierry Trouvé a été Directeur de la prévention des pollutions et des risques, délégué aux risques majeurs au sein du ministère de l’Ecologie et du Développement Durable de 2003 à 2006. En 2006, il entreprend une carrière fulgurante dans le secteur du gaz, d’abord directeur général adjoint de GRTgaz, ensuite directeur général d’Elengy, la filiale de GRTgaz “leader européen des terminaux méthaniers”. Il est aujourd’hui directeur général de GRTgaz. Lorsqu’il a rejoint le secteur privé, il a mis de côté les principes de base de la doctrine Seveso. Au Havre, il a mis toute son énergie et des dizaines de millions d’euros pour que le gaz importé par Total soit raccordé dans les meilleurs délais et sans enquête publique par une canalisation sous-marine et terrestre au réseau de gazoducs haute pression, pour être vendu selon les opportunités en France ou à l’étranger.
Contrairement à ce que prétendent les services de l’Etat en Seine-Maritime, Haropa Port (Havre, Rouen et Paris) et toutes les parties prenantes qui tirent profit de ce trafic, le terminal gazier du Havre est un risque inacceptable
Reportage photos et cartographies sur le Cape Ann et les LNG au Havre:
https://robindesbois.org/le-cape-ann-au-havre/
Quelques communiqués de Robin des Bois sur le risque gaz:
“Le terminal gazier du Havre en phase terminale”, 13 septembre 2023
“Note d’informations sur les risques du gaz”, 23 avril 2023
” Le gaz sort de la mer à Dunkerque”, 9 octobre 1998
* Sources
– Lagadec Patrick, Le risque technologique majeur, Collection Futuribles, Pergamon Press, 1981.
– Andurand Robert, Eléments de sureté chimique et de désastrologie, Secrétariat d’Etat chargé de l’environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs, 1989.
– https://en.wikipedia.org/wiki/Gas_explosion
– https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_pipeline_accidents
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