Nitrate d’ammonium

22 juin 2021

Mission nitrate d’ammonium
Communiqué n°1 : le trafic fluvial

Les fins limiers du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et du Conseil général de l’économie (CGE) ont mis la main sur plusieurs cachotteries, négligences et incohérences en préparant leur rapport sur « La gestion des risques liés à la présence d’ammonitrates dans les ports maritimes et fluviaux ».

Par ammonitrates il faut entendre nitrate d’ammonium. La substitution de langage masque l’omniprésence d’une substance qui depuis plus d’un siècle a provoqué des catastrophes meurtrières et dévastatrices. La lettre de mission signée en septembre 2020 par la ministre de l’Ecologie et le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance réussit l’exploit de ne pas utiliser une seule fois l’appellation réglementaire de nitrate d’ammonium. Le nitrate d’ammonium, c’est tabou.

Il n’existe pas en France de liste officielle des ports fluviaux. Les missionnaires du CGEDD et du CGE ont établi une liste informelle de 21 ports. Un seul a répondu à leur questionnaire. Pour consolider ses connaissances, la mission a procédé à des enquêtes par téléphone et visioconférence.

Le plus beau lièvre qu’elle a levé est le port de Saint-Aubin-lès-Elbeuf dans un méandre de la Seine en amont du port de Rouen. Chaque année sur ce petit quai de 150 m de long surveillé par une capitainerie qui ressemble à un pavillon désaffecté, 17.000 tonnes de nitrate d’ammonium haut dosage sont débarquées en vrac de cargos fluvio-maritimes. Ils font un arrêt dans le port de Rouen pour abaisser leurs mâtures et autres superstructures, passer sous les ponts urbains et se diriger vers la Seine amont. Le port fluvial de Saint-Aubin-lès-Elbeuf, près d’Elbeuf en Seine-Maritime, s’appelle port Angot.

Port Angot, Saint-Aubin-lès-Elbeuf © Google Street

A bien y regarder, il devrait s’appeler port Angoisse. Le nitrate d’ammonium en vrac est interdit de déchargement dans les ports du Havre et de Rouen. De toutes les espèces de nitrate d’ammonium, c’est le plus vulnérable aux risques de contamination, d’emballement thermique, de déflagration et de détournement. Aucun service de l’Etat n’était informé de ce trafic. « Cette situation était méconnue dans l’ensemble des services et ces opérations ne font dès lors l‘objet d’aucune prescription et d’aucun contrôle ». Surveyfert exploite simplement une installation classée relevant du régime de déclaration sous la désignation « Transit, regroupement ou tri de déchets non dangereux ». Le transit de nitrate d’ammonium était jusqu’alors clandestin. Il n’était pas pris en compte dans les Plans de Prévention des Risques Technologiques, ni dans les études de danger des 3 usines Seveso à proximité immédiate, Maprochim à 120 m, BASF Agri et Sanofi à 300 et 500 m. A cette grappe de risques industriels, il convient d’ajouter Sonolub, un gros site de transit et de traitement de déchets spéciaux soumis à autorisation, Henry Recyclage qui, sur le quai du nitrate d’ammonium, stocke des granulats de pneus et une casse auto où gisent plusieurs centaines d’épaves. Un évènement nitrate d’ammonium sur le quai et dans l’entrepôt de Surveyfert aurait des effets destructifs sur chacune de ces activités, sur les falaises de craie de la rive nord de la Seine et sur les populations riveraines.

© Géoportail – Saint-Aubin-Lès-Elbeuf / Port Angot

Les voies d’eau intérieures sont ouvertes à tous les trafics et à toutes les manœuvres de dissimulation. Voies Navigables de France (VNF) navigue à vue. Elle concède des quais ou des appontements vermoulus à des industriels, à des chambres de commerce aussi peu clairvoyantes que des chambres d’agriculture ou à des manutentionnaires camoufleurs comme Surveyfert.

L’ADN (Accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par voies de navigation intérieures – 2000 pages) n’aborde pratiquement pas la phase critique de la manutention et des ruptures de charge des cargaisons à risques. En France, les gouvernements veulent développer le trafic fluvial, de conteneurs et de marchandises sans donner les moyens à quiconque de contrôler et de garder en mémoire ce que les barges, les péniches, les fluvio-maritimes transportent, chargent et déchargent.

La sécurité du transport fluvial est quasiment orpheline. Elle a beaucoup de parents adoptifs et décomposés. Il n’y a pas de chiens de garde, il n’y a que des chiens de faïence.

La mission dans 3 vigoureuses recommandations réclame à la DGPR (Direction Générale de la Prévention des Risques), à VNF, aux DREAL (Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) et aux autres services de l’Etat un sursaut de vigilance et de coordination afin de prévenir les accidents et les fraudes sur les canaux et les bassins fluviaux.

Sans prétendre à l’exhaustivité, la mission a aussi identifié des trafics d’ammonitrates haut dosage à Neuves-Maisons et à Metz au bord de la Moselle et à Strasbourg au bord du Rhin dans un secteur à risques où cohabitent des Seveso et des silos.

 

 

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