Ubu, commandant du Rio Tagus

8 juil. 2020

Sète est accoutumé aux navires sous-normes. Le premier port français d’exportation de viande sur pied accueille à bras ouverts des bétaillères hors d’âge, cruelles pour les animaux et insalubres pour les équipages. Mais c’est avec un cargo que le port de Sète a décroché le pompon et touché le fond. Le Rio Tagus est arrivé à Sète le 29 octobre 2010 avec 2700 t d’urée destinées à l’industrie locale. Depuis Sète et le Rio Tagus vivent à la colle.

Après plusieurs détentions dans des ports de Méditerranée et de Mer Noire dont une à Gibraltar (193 jours), c’est en effet à Sète que le Rio Tagus est définitivement rattrapé par la patrouille et condamné de par une voie d’eau, une panne moteur et des déficiences structurelles à ne plus prendre la mer. Chaque matin en ouvrant leurs volets, les habitants du quai Paul Riquet se demandent s’ils verront le bout du mât du Rio Tagus surnager ou s’ils verront un jour de plus cette ventouse de moins en moins bleue et de plus en plus rouille. En attendant de couler ou de brûler, le Rio Tagus est un terrain de jeu pour les tagueurs et une barrière de sécurité pour les voitures folles.

 

En août 2016, le Rio Tagus gîte. Les eaux de pluie et d’orage accumulées dans ses fonds menacent de le faire couler. Un pompage d’urgence est réalisé.

En octobre 2016, alors que trois tentatives de vente ont déjà échoué, le Rio Tagus est vendu pour 11.000 € au ferrailleur espagnol Varadero-Vinaros. Le prix d’achat du vieux navire est de 11 € la tonne (en 2016, le prix d’achat dans un chantier turc est de 200 US$ la tonne soit 180 €). Varadero projette de le démolir au sud de Barcelone. Robin des Bois alerte sur le danger de remorquage des vieux navires vers les chantiers de démolition et demande que le Rio Tagus soit démoli sur place. Le chantier Varadero n’est pas agréé par l’Union Européenne au moment de la transaction. Il ne l’est toujours pas en 2020.

En avril 2018, le remorqueur Paris entre dans le port de Sète. Sa mission est de prendre le Rio Tagus en remorque et de le convoyer vers le chantier de démolition espagnol. Les autorités françaises interdisent la manœuvre. Le Paris repart bredouille.

En novembre 2019 saisi en référé par le port de Sète, le Tribunal administratif de Montpellier considère qu’il n’y a pas urgence à démanteler le vieux navire. Selon lui, les pompes mises en place afin d’extraire l’eau des cales suffisent à écarter le risque d’un naufrage imminent, sous réserve de la remise en état du système électrique. En juillet 2020, le Conseil d’État confirme cette ordonnance. Le rapport d’expert estime, quant à lui, que l’état de délabrement avancé du Rio Tagus l’expose au risque de sombrer dans les 2 ans.

Le ferrailleur espagnol prétend qu’il n’a pas les moyens techniques de démolir le Rio Tagus à Sète. Pourtant, seul un démantèlement à quai dans le cadre d’une installation classée provisoire et strictement encadrée sortirait le Rio Tagus de l’impasse.

En tout état de cause, la situation doit être vite débloquée. Les coûts de renflouement du Rio Tagus s’il venait à couler à pic dans le port et le coût de traitement des pollutions seraient bien supérieurs à celui d’une opération de démolition anticipée et planifiée, sans oublier qu’une fois remis à flot, il faudra toujours le démolir. L’option « océanisation » c’est-à-dire l’immersion sous prétexte de « péril grave et imminent » tel que mis en avant pour le Cosette par le préfet de la Martinique en novembre 2014 doit à tout prix être évitée.

Le cas du Rio Tagus n’est pas isolé. Déjà en 2014, l’Edoil, un chimiquier battant pavillon des Iles Tonga avait été démoli in situ dans le port de Sète après 11 ans de tergiversations (cf. ci-dessous, extrait de « A la Casse » n°34).

Extrait de « A la Casse » n°34, février 2014, pages 2-3
La démol sur le tas (la suite) : L’Edoil
L’Edoil, un chimiquier battant pavillon des iles Tonga, construit en 1975 et reconverti dans le transport de liquides agro-alimentaires, était arrivé en février 2003 dans le port de Sète (France) pour y décharger 1.000 t d’huile de colza. Déjà pointé par la Commission Européenne comme navire à haut risque et listé parmi les 66 navires bannis des eaux européennes pour détentions multiples (5 en 5 ans), il est à nouveau immobilisé par le Centre de Sécurité de Sète pour une trentaine de déficiences dont une avarie de générateur électrique. L’armateur grec s’évanouit dans la nature, abandonnant l’équipage de 3 marins grecs et 5 pakistanais ; ils seront rapatriés en juin 2003 après 5 mois de survie grâce à la solidarité des gens de mer. La cargaison sera récupérée par l’acheteur sétois. La plainte de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme pour mise en danger de la vie d’autrui sera classée sans suite.
Fin décembre 2003, le navire est racheté par un autre armateur grec et rebaptisé Manolis I mais il ne sera jamais réparé et continuera à squatter l’ancien bassin aux pétroles. Au fil des ans, plusieurs tentatives de ventes aux enchères échouent. A la dernière en novembre 2013, la mise à prix de l’épave était de 30.000 €. Faute d’acquéreur, l’Edoil est définitivement condamné à une démolition in situ et à flot dans le port de Sète. Les résidus d’hydrocarbures et les eaux de fonds de cale ont été pompés ; le navire sera désamianté sur place. C’est Petrofer, une filiale de Veolia, qui est chargé du découpage final.
Si l’on excepte quelques thoniers démolis à terre dans des conditions précaires, c’est une première pour le port de Sète mais peut être pas une dernière puisque d’autres navires hors d’état de naviguer et orphelins encombrent toujours les quais et polluent l’eau des bassins. Dans tous les cas, les équipages n’ont été libérés qu’après de longs mois d’attente. Si le port de Sète obtient les déchéances de propriété des navires, il pourra tenter de les vendre ou les dédiera au ferraillage dans d’autres lieux ou in situ.
Le Bni Nsar, 42 ans, et le Marrakech, 28 ans, deux ferries propriétés de la Comarit-Comanav marocaine en faillite, sont immobilisés depuis janvier 2012. En juillet de cette année, le Biladi du même armateur a été envoyé à la casse à Aliaga (Turquie). (Cf. A la casse n°33, p 30).
Le chimiquier Rio Tagus est arrivé en novembre 2010 avec un chargement d’urée; son armateur était domicilié au Panama. Le navire est détenu pour des déficiences structurelles de la coque ayant entrainé une voie d’eau. Les 12 marins ghanéens, égyptiens et ukrainiens restent abandonnés pendant 4 mois ; l’un d’eux est toujours à bord, chargé de la surveillance. 3 ans plus tard, la vente aux enchères, échoue, malgré un prix plancher fixé très bas à 195.000 €. Le Rio Tagus est âgé de 35 ans.

A lire également sur le site de Robin des Bois:

Non à l’expulsion du Rio Tagus, 16 décembre 2016
Le Rio Tagus s’enlise à Sète, 25 septembre 2018
La bataille du Rio Tagus n’est pas perdue, 9 avril 2018
La mort lente du Rio Tagus, novembre 2019 – A la Casse n°57 p.6
Océanisation au large de la Martinique, 4 nov. 2014

 

 

 

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