L’Ece, battant pavillon des Iles Marshall, a sombré le 1er février dernier à l’ouest de la presqu’ile de La Hague par 70 m de fond à la suite d’une collision avec le vraquier General-Grot Rowecki. Le General-Grot Rowecki transportait des minerais de phosphate à destination de la Pologne et l’Ece 10.000 t d’acide phosphorique à destination de la Belgique. En 2005, le CROSS Jobourg a répertorié 246 passages de chimiquiers transportant de l’acide phosphorique et 138 navires transportant du minerai de phosphate. Immédiatement après le naufrage, les autorités et les observateurs ont déclaré que la cargaison de l’Ece ne présentait pas de risques significatifs pour l’environnement marin. L’association Robin des Bois a, quant à elle, déploré que l’Ece n’ait pas pu être remorqué dans un endroit refuge où l’acide phosphorique aurait pu être totalement ou en partie transféré. Dans un 2ème temps Robin des Bois a souligné l’écotoxicité de l’acide phosphorique auquel sont associés de nombreux métaux lourds, toxiques, persistants et bioaccumulables; d’autre part, la contribution de l’acide phosphorique à la prolifération des algues vertes et des planctons toxiques a été mise en avant. Seul le Ministère de l’Environnement a considéré en même temps que Robin des Bois que « la présence au fond de la mer de 10.000 t d’acide phosphorique était préoccupante ».
Le plan d’action aujourd’hui retenu par la Préfecture Maritime de la Manche et de la Mer du Nord et son homologue du Royaume-Uni à la suite de longues négociations avec l’armateur turc et l’Office Cherifien des Phosphates, propriétaire de la cargaison, se cantonne à la seule extraction des hydrocarbures de soute évalués à 70 t et à la libération programmée, contrôlée, et réputée inoffensive de l’acide phosphorique. Or l’étude approfondie de la composition chimique de l’acide phosphorique en provenance du Maroc révèle que son relargage en mer constituerait durablement une atteinte à l’environnement. La cargaison de l’Ece recèle du mercure (5 kg), du plomb (20 kg), de l’arsenic (130 kg), du cadmium (400 kg), du chrome (800 kg), du vanadium (1000 kg), métaux lourds, persistants, bioaccumulables, toxiques pour les organismes marins et toute la chaîne alimentaire de même que 800 kg d’uranium. L’activité radiologique de l’acide phosphorique marocain a été mesuré à 1.800 Bq/kg pour l’uranium 238, et 1.100 Bq /kg pour le radium 226 : un bilan de 29 GBq pour un rejet de 10.000 t, quand l’activité des rejets liquides de 2 réacteurs nucléaires en fonctionnement normal s’établit à 2 GBq (hors iode 131, tritium et carbone 14). La présence du cadmium dans les engrais phosphatés est particulièrement nocive pour les sols où les engrais sont appliqués et les autres compartiments de la biosphère; un projet de directive européenne entend à terme limiter le taux de cadmium dans les engrais à 20 mg/kg et souligne que les phosphates en provenance de l’Afrique du Nord contiennent plus de 60 mg de cadmium par kg. Dans le milieu marin, le cadmium a une circulation verticale, il est absorbé et bioconcentré par les planctons, puis les crustacés, les mollusques et les poissons. C’est à partir de 1970 que sa toxicité a été mondialement reconnue ; il a des effets négatifs sur les stades larvaires; l’augmentation de la température s’accompagne d’une augmentation de la toxicité. Les crustacés sont les plus sensibles à l’accumulation du cadmium, leur mobilité est ralentie, les mues sont perturbées, la fertilité peut être affectée. Le taux d’élimination du cadmium est lent.
D’autre part, le parallèle entre l’augmentation des rejets de nutriments (dont le phosphore) et la multiplication des évènements de prolifération algale a été mis en évidence; les 10.000 t d’acide phosphorique de l’Ece sont une contribution potentielle à la prolifération des planctons microscopiques toxiques et des algues vertes tout au long du littoral breton, bas-normand et haut-normand.
En conséquence, le rejet organisé de l’acide phosphorique résiduel dans l’épave de l’Ece est assimilé par Robin des Bois à une pollution volontaire. Il est contradictoire avec les objectifs de la Convention Ospar portant sur la prévention des pollutions dans l’Atlantique du Nord-Est dont la France et le Royaume-Uni sont signataires. Seul le pompage intégral de l’acide phosphorique accessible, en même temps que les hydrocarbures, éviterait une contamination supplémentaire de l’environnement marin et des ressources halieutiques. L’Office Chérifien des Phosphates et l’armateur turc, ainsi que leurs assurances, ont les moyens techniques et financiers de mener à bien cette opération.
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