Jumelage Cherbourg (France)-Maputo (Mozambique)

25 nov. 2024

Jusqu’au 4 décembre 2024, les 8 thoniers (5 palangriers et 3 chalutiers) construits par les Constructions Mécaniques de Normandie (CMN) à Cherbourg en 2013 et 2014 sont à vendre aux enchères à Maputo, capitale du Mozambique. Les Pelamis I, II, III, IV et V et les Sardinha I, II et III sont mis à prix entre 138.000 US$ et 296.000 US$. Ils n’ont jamais navigué, sauf pour des essais, et les thons albacore, les listaos et les thons obèses leur ont échappé.

Pelamis I et II, Maputo, Mozambique, 2024 © Leilosoc®

Iskandar Safa†, milliardaire franco-libanais, a racheté en 1992 le chantier CMN célèbre dans le monde entier pour avoir construit les “vedettes de Cherbourg” destinées à Israël. Leur livraison avait été mise sous embargo par le général de Gaulle en 1967. Malgré cet ordre venu de très haut, elles se sont enfuies la nuit de Noël 1969.
Iskandar Safa au moment de son arrivée triomphale à Cherbourg était connu comme un marchand d’armes et de navires militaires. Il était propriétaire du fonds Privinvest basé au Liban et aux Emirats arabes unis. Malgré sa puissance financière et son carnet d’adresses, CMN a subi sous son patronage une longue période de vaches maigres. La dernière grosse livraison, le Baynunah, corvette lance-missiles pour les Emirats arabes unis, datait de 2010 lorsque, le 4 septembre 2013, en plein chômage technique, une commande inattendue en provenance du Mozambique de 24 thoniers de 23,5 m redonnait espoir aux 360 ouvriers. Elle émanait d’Ematum (Empresa Moçambicana de Atum – Compagnie mozambicaine du thon) dont personne dans le business du thon n’avait jamais entendu parler et pour cause, elle avait été fondée un mois avant. Se présentant comme une entreprise privée spécialisée dans la pêche aux thons, elle était en fait la propriété en sous-main de l’Etat mozambicain. L’accord, un peu flou, était consolidé par la présence à Cherbourg de Bernard Cazeneuve, ministre délégué au Budget et ancien député-maire de Cherbourg, d’Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, de Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur, de Manuel Tchang, ministre des Finances du Mozambique, et d’Iskandar Safa.
Trois semaines après, la veille de la mise en chantier du premier thonier, le président François Hollande escorté par une nouvelle flopée de ministres et accompagné du président du Mozambique Armando Guebuza donnait à ce contrat une nouvelle solennité.

La France avait alors en tête de contrôler le canal du Mozambique, en partenariat avec le Mozambique. Ce pays de l’Afrique de l’Est ouvert sur l’océan Indien sur 2470 km de littoral a des intérêts communs avec la France qui est souveraine (jusqu’alors) sur les îles Eparses regroupant notamment Europa, Bassas da India et Juan de Nova distantes de 300 à 500 km des côtes du Mozambique. D’une superficie totale de 33 km2, ces trois îles confèrent à la France en application de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer une Zone Economique Exclusive de 312.000 km2. La France entretient une présence permanente de quelques gendarmes sur ces 3 terres stratégiques dont les ressources marines, notamment les concombres de mer, sont régulièrement pillées par des pêcheurs de Madagascar. Le canal du Mozambique est un foyer de pêche pirate et du narcotrafic. C’est aussi dans ses fonds un gisement considérable de gaz qui a été prospecté mais qui n’est pas encore exploité et également un gisement de nodules polymétalliques. La commande des 24 thoniers était accompagnée de la commande de 6 patrouilleurs-intercepteurs chargés d’assurer la sécurité dans le canal.

Les 8 thoniers construits à Cherbourg, les palangriers Pelamis I, II, III, IV et V et les chalutiers Sardinha I, II et III, ont été livrés au Mozambique par cargo (13.000 km environ) en 2014 et 2015. Les 16 autres thoniers ont été sous-traités en Roumanie.

Les Pelamis I à en rade de Cherbourg, France, 2014 © CMN

Depuis, ils n’ont pratiquement pas navigué, faute d’équipages compétents, à cause de non-conformités et de la faillite d’Ematum.

Ematum aurait dû s’appeler Erratum. Pendant onze ans, une succession de suspicions, d’enquêtes du FBI et de sanctions du FMI (Fonds Monétaire International), d’imbroglios et de consanguinités politiques ont transformé la commande historique en catastrophe financière et industrielle. Plusieurs centaines de millions de dollars ont disparu dans ce naufrage et il n’y a pas que les thons qui en ont profité. Manuel Tchang qui était présent à Cherbourg le 4 septembre 2013 en tant que ministre des Finances du Mozambique a été arrêté en décembre 2018 en Afrique du Sud et extradé aux Etats-Unis où il est inculpé de détournement de fonds. Il risque 20 ans de prison. Au Mozambique, l’ancien chef des services de renseignement et de la sécurité, Gregorio Leao, l’ex-patron du renseignement économique, Antonio do Rosario, et Ndambi Guebuza, fils de l’ancien chef d’Etat Armando Guebuza, ont été condamnés le mercredi 7 décembre 2022 à douze ans de prison ferme.

Depuis la mi-novembre, aucun repreneur n’a fait d’enchères. Le “triomphe du made in Cherbourg” célébré par Arnaud Montebourg était un fake.

 

 

 

 

 

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